Guerre sociale : le jeu dangereux

27 juin. fier de son passage en force, Macron promulgue la loi "pour un nouveau pacte ferroviaire" à l'Elysée, tandis que sa cote de popularité ne cesse de dégrigoler

27 juin. fier de son passage en force, Macron promulgue la loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » à l’Elysée, tandis que sa cote de popularité ne cesse de dégrigoler
AFP

Macron se flatte d’aligner les « réformes » et rêve d’écraser les syndicats, au mépris de la démocratie sociale et quitte à fragiliser la démocratie politique. L’abus d’autorité du chef de l’état vire à l’inconscience.

Flanqué de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, et du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, le président de la République a apposé sa signature sur la loi « sur le nouveau pacte ferroviaire » devant les caméras de télévision convoquées pour l’occasion le 27 juin dernier à l’Élysée. Importé des États-Unis, ce cérémonial accompagne désormais chaque promulgation de texte. En se mettant en scène, Emmanuel Macron ne veut pas seulement montrer qu’il agit. Il prétend avoir le dernier mot. Après être parvenu à imposer ses ordonnances sur le Code du travail en 2017, il espère tourner la page du conflit à la SNCF et poursuivre son entreprise de détricotage des droits des salariés.

La loi « avenir professionnel », qui place l’apprentissage sous la tutelle du patronat, individualise l’accès à la formation professionnelle et les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi, est en cours d’examen au Sénat. La remise en cause du statut des fonctionnaires est dans les tuyaux. Le projet de loi Pacte et ses privatisations a été présenté en Conseil des ministres et l’automne verra le coup d’envoi de la casse des retraites. Alors Macron vainqueur ? Pas si simple…

L’objectif d’Emmanuel Macron n’est pas seulement de remettre en cause les droits sociaux et les garanties collectives, il est aussi de rallier la population à sa politique. Seule une conversion de la société dans son ensemble au libéralisme peut assurer la pérennité des mesures prises. Or, un an après son élection, l’échec est patent. La publication, le 4 mai dernier, d’un sondage Odoxa révélait que 72 % des Français considèrent qu’il est « le président des riches » (+ 7 points par rapport à celui du 16 avril). Quant à sa popularité, le chef de l’État n’en finit pas de chuter. Selon l’enquête d’Ipsos du 27 juin, seuls 36 % des Français ont une opinion favorable de son action. Les sympathisants LREM (78,9 %), Modem (43,8 %), UDI (43,5 %) et LR (42,9 %) étant les plus favorables contre seulement 25 % en moyenne des sympathisants de gauche. Bien que minoritaire, le soutien important à la grève des cheminots qui, selon l’enquête hebdomadaire Ifop/le « JDD », a varié entre 37 % et 46 % a démontré à sa façon que l’adhésion à sa politique est loin d’être unanime.

Pilotes, retraités, gaziers et fonctionnaires

En sortant « victorieux » du conflit à la SNCF, où les salariés sont plus syndiqués qu’en moyenne et où la CGT est la principale organisation syndicale, le chef de l’État espérait mettre K.-O. le mouvement avant de s’attaquer aux retraites. Pari perdu. À la SNCF, le conflit va se poursuivre durant l’été à l’appel de la CGT et de SUD rail. La décision de l’Unsa ferroviaire de « ne pas appeler à la grève en juillet » et celle de la CFDT cheminots de « suspendre » n’ont pas mis fin à l’intersyndicale, qui devrait à nouveau se manifester dans le cadre de la négociation de la convention collective.

Emmanuel Macron doit compter aussi avec les conflits sociaux dans d’autres secteurs. Dans l’énergie, le mouvement des salariés d’Enedis et de GRDF gagne en ampleur. Chez Air France, le conflit salarial devrait reprendre dès le nouveau PDG nommé. Dans la fonction publique, la journée d’action du 22 mai dernier devrait connaître des suites à la rentrée. Dans l’immédiat, les conflits y sont nombreux, en particulier à l’hôpital. Air Liquide, SNF, Satys… les grèves se multiplient aussi dans le cadre des négociations obligatoires sur les salaires.

isoler et diviser les syndicats, c’est raté

Le candidat Macron ne s’est jamais caché du peu de considération qu’il portait aux syndicats, vestiges de ce « vieux monde » qui « bloque les réformes ». Élu président de la République, il a suivi sa ligne : à l’État seul de décider de ce qu’est l’intérêt général, l’activité syndicale devant se cantonner aux branches professionnelles et aux entreprises. Et avec moins de moyens, les ordonnances y ont veillé (fusion des instances représentatives, moins de délégués, etc.). Proclamée fin mars 2017 premier syndicat du privé, la CFDT n’a pu savourer longtemps sa victoire. Depuis 1995 et Nicole Notat défendant le plan Juppé sur la Sécurité sociale, la centrale accompagne volontiers les réformes libérales mises en place par les gouvernements successifs. Elle pouvait ambitionner depuis le quinquennat Hollande d’en devenir coauteur. Coup d’arrêt : « La méthode Macron, c’est vous discutez et je tranche », constatait cet hiver avec amertume Laurent Berger (« les Échos », 26 février). Et d’avouer : « Pour la CFDT, ce n’est pas une période facile » (challenges.fr ; 17 mai). Un désarroi partagé par les autres syndicats dits « réformistes », telles l’Unsa, la CFTC ou la CFE-CGC.

Réélu en juin à la tête de la CFDT, Laurent Berger garde pourtant le cap, malgré quelques remous au sein de ses troupes. Pour les souder, il ne ménage pas ses critiques contre la CGT, accusée de se contenter de « dénoncer » « sans jamais apporter de résultats qui améliorent ici et maintenant la situation de travailleurs ». Emmanuel Macron ne pouvait rêver mieux. Ignorer et déstabiliser la CFDT, mais la retrouver comme alliée pour tenter d’écraser la CGT, le plus honni des syndicats ! Mais ce n’est pas si simple. Sur le terrain, la CGT demeure bien vivante, et les luttes minuscules peut-être aux yeux de certains que mènent ses militants avec les salariés du nettoyage, des Ehpad, du commerce, de l’hôtellerie… engrangent des victoires et contribuent surtout à refuser la fatalité.

Pour l’isolement, c’est raté aussi. L’arrivée de Pascal Pavageau à la tête de FO, après un congrès très remonté contre la ligne conciliante de la direction sortante, a changé la donne. Le 28 juin, FO est venue renforcer la CGT, SUD et les organisations de jeunesse (Unef, UNL, Fidl) pour appeler à une mobilisation nationale interprofessionnelle contre la politique sociale du gouvernement. À travers 120 initiatives partout en France, des milliers de militants ont montré qu’ils n’étaient pas vaincus et ont pris date pour la rentrée. Le 2 juillet – fait rare –, le bureau confédéral de FO recevait celui de la CGT « pour se connaître et échanger », selon le secrétaire général de FO.

Emmanuel Macron n’a pas encore réalisé son rêve : écraser les syndicats – voire l’ensemble des contre-pouvoirs – pour régner seul en souverain face au « peuple ». Mais il joue en tout cas un jeu dangereux pour la démocratie. Au sein du salariat, colères et rancœurs s’accumulent contre la politique du président des très riches et son mépris de classe affiché en toutes circonstances. « En tentant de décrédibiliser les organisations syndicales (…) on prend le risque de voir émerger d’autres formes d’action », alerte Pascal Pavageau (l’« HD » du 21 juin). Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT énergie, ne dit pas autre chose : « La colère est telle que nous pouvons être très vite dépassés » (l’« HD » du 28 juin). Actions radicales et désespérées, abstention massive ou vote d’extrême droite ? Quelle victoire, vraiment !

Casse du service public, remise en cause des droits, fin de l’ISF… Des citoyens inquiets contre le « président des riches ».


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