Le naufrage moral des gouvernements de l’UE

Sous les désaccords de façade, un Conseil européen unanime pour consolider la forteresse.

Sous les désaccords de façade, un Conseil européen unanime pour consolider la forteresse.
 

La chronique de Francis Wurtz, député honoraire au parlement euopéen : « Des centres contrôlés, des retours forcés, des centres de tri, y compris dans l’enfer libyen… Cruelle solidarité que celle des dirigeants européens ! »

«L’accord de Bruxelles est l’incarnation d’une Europe solidaire, responsable et digne » : on a beau se frotter les yeux, c’est bien Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, qui a, sans ironie, salué en ces termes le résultat du sommet des chefs d’État et de gouvernement du 28 juin dernier sur la question de l’accueil des migrants (1) !

Si solidarité il y eut entre les dirigeants des 28 États membres, ce fut une solidarité de voyous ! Leurs seuls points d’accord sont de verrouiller les frontières extérieures de l’UE aux réfugiés ; de transférer les personnes secourues en Méditerranée vers des « centres contrôlés » (à créer dans les pays européens volontaires) d’où la grande majorité sera vouée à la « reconduite » ; de tenter d’installer en Afrique du Nord – y compris dans l’enfer libyen – ou dans les Balkans des « plateformes de débarquement », sortes de centres de tri pour sélectionner hors des frontières européennes ceux des demandeurs d’asile jugés « éligibles » ; enfin, de n’imposer à aucun État membre d’accueillir le moindre réfugié !

« Responsable », l’accord auquel sont ainsi parvenus les leaders de nos pays respectifs ? Bien malin qui peut y entrevoir le début d’une solution durable à un enjeu pourtant incontournable ! Où seront ouverts ces fameux « centres européens contrôlés » ? Aucun pays, à l’exception de la Grèce, n’a annoncé qu’il y consentait. L’Italie a, sans surprise, exclu toute participation à ce projet. Quant à Emmanuel Macron – à l’origine de cette proposition –, il a d’emblée précisé que « la France n’ouvrira pas de centre de ce type » ! De leur côté, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, tout comme l’Albanie ont, à ce stade, clairement refusé l’hypothèse d’ouvrir sur leur sol des « centres » destinés dans les faits à empêcher le départ des migrants transitant par leur pays. La Libye réclame de l’argent pour s’acquitter de la basse besogne…

Tout cela nous renvoie à la « dignité » : où le chef de la diplomatie de la « patrie des droits de l’homme » la trouve-t-il dans ce naufrage moral de la quasi-totalité des 28 gouvernements de l’UE ? Dans la bouche du ministre italien, Salvini, annonçant que les ports de son pays seraient fermés « tout l’été » aux navires des ONG engagés dans le sauvetage des réfugiés ? Dans les propos d’Orban soulignant que « la Hongrie restera un pays hongrois et ne deviendra jamais un pays de migrants » ? Dans le recul d’Angela Merkel, prête à renvoyer en Grèce ou en Espagne les migrants enregistrés dans ces pays s’ils ont été interpellés à la frontière germano-autrichienne, elle qui s’était écriée naguère : « Si l’on commence maintenant à devoir s’excuser de montrer un visage ami face à des situations d’urgence, alors ce pays n’est plus le mien » (2) ?

Pendant le sommet des dirigeants européens, la guerre se poursuivait au Sahel ; l’épidémie du virus Ebola s’étendait en République démocratique du Congo ; 100 personnes se noyaient au large des côtes libyennes.

(1) « Ouest France », 30 juin 2018.

(2) Conférence de presse, 15 septembre 2015.


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