Lilian Thuram : « Fêter les Bleus répond à un besoin profond de partage »

Photo : Yasuyoshi Chiba/AFP

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L’ex-défenseur, 142 sélections avec l’équipe de France, est engagé en faveur de l’égalité avec sa fondation d’éducation contre le racisme.

Les Bleus l’ont fait. Ils accrochent une seconde étoile à leur maillot. On peut dire que ce Mondial a renoué avec une équipe de France qui a touché les cœurs…

Lilian Thuram Oui. Il faut remercier les joueurs, l’encadrement, le staff pour ce merveilleux moment passé ensemble. Didier Deschamps a su patiemment ­reconstruire un collectif. Après la qualification au Mondial 2014, la finale perdue de peu face au Portugal lors du championnat d’Europe en France en 2016, l’équipe de France n’a cessé de monter en puissance à cette Coupe du monde. Elle a procuré beaucoup de joie et d’émotions bien au-delà des supporters classiques.

Au-delà des hommes en tout cas. L’intérêt des femmes pour ce type de compétition est-il une des traces laissées par la victoire des Bleus au Mondial de 1998 ?

Lilian Thuram Certainement. Car jusque-là le foot était enfermé dans l’idée d’un sport réservé aux hommes. Le foot est un sport qui fédère.

L’engouement qui s’exprime dans la rue, dans les bars, dans les familles est intergénérationnel, interculturel. Il touche les villes, les banlieues, les campagnes. Ce sont les valeurs du collectif qui créent cet élan ?

Lilian Thuram Fêter l’équipe de France permet de saisir une occasion de faire la fête ensemble, d’exprimer du bonheur, spontanément d’ailleurs car personne ne donne officiellement rendez-vous sur les Champs-Élysées après le match. On y va pour satisfaire un besoin profond de partage. Nous sommes des êtres de liens. Nous avons besoin des autres pour exister. Or nous vivons un moment où les discours politiques et leurs relais médiatiques conditionnent à la peur des autres. Des pays, des continents sont en train de se fermer, de céder au repli identitaire. Ces idéologies sont là pour casser les solidarités, briser les cohésions et empêcher de croire qu’il est possible de changer les choses. Dans ce contexte d’anxiété, les victoires de l’équipe de France servent de défouloir pour partager des émotions avec des gens qu’on aime. C’est un besoin humain. Cela fait un bien fou. On ne peut pas vivre sans cela.

Iriez-vous jusqu’à penser qu’il s’agit d’une expression du principe de fraternité que le Conseil constitutionnel vient de reconnaître ?

Lilian Thuram Le football touche à ­l’émotion. Il permet de s’identifier à un groupe, d’en faire partie. Alors oui, il a quelque chose à voir avec la fraternité. Et puis il satisfait aussi un autre besoin, celui de pouvoir espérer. Avant un match, on rêve, on se projette. Or il n’y a aujourd’hui plus beaucoup d’espaces pour le faire dans une société où on nous vend un avenir fait de catastrophes.

S’identifier à l’épopée d’une équipe métissée, ça fait du bien aussi, non ?

Lilian Thuram Nous en sommes tous très heureux. Mais cette équipe de France aurait pu être très différente. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Fin 2010, la Fédération française de foot a bien failli instaurer des quotas contre les joueurs binationaux. L’affaire a été éventée grâce à Mohamed Belkacemi, conseiller technique national pour le football des quartiers, qui a enregistré une réunion évoquant ces mesures discriminatoires. Il a été un lanceur d’alerte et nous devons remercier cette personne d’avoir osé dénoncer l’injustice. Les gens doivent savoir que le bonheur qu’ils sont en train de vivre, ils le doivent à un homme qui a eu le courage de dire « non ».

Lilian Thuram

Ancien footballeur, sélectionné en équipe de France de 1994 à 2008

Les défenseurs à l’attaque

Lilian Thuram a fait le voyage jusqu’en Russie pour assister à la finale. « Celle-là, je ne pouvais pas la rater. France-Croatie, ça me parle, ça me fait rêver », glisse l’ancien défenseur des Bleus, qui avait qualifié la France pour la finale du Mondial 1998 grâce à deux buts, les seuls marqués de toute sa longue carrière en équipe de France. Vingt ans après, le recordman de sélections en équipe de France ne s’explique toujours pas ces deux tirs. Mais il sait en revanche combien il faut savoir gérer ses émotions pour jouer un match de ce niveau. Avec humour, la Fédération croate de football a tweetté vendredi 13 pour demander à Didier Deschamps s’il comptait titulariser Lilian Thuram pour la finale 2018. Les Bleus ont répondu à leur tour sur le réseau social qu’il faudrait alors que les Croates laissent sur le banc de touche Davor Suker, auteur d’un but en 1998. Les temps changent et les arrières marquent aujourd’hui des buts, les talents de la défense française notamment, Varane, Umtiti, ou encore Pavard, auteurs de tirs décisifs lors de ce Mondial.


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