Alexandre Benalla, collaborateur de l’Élysée, a fait le coup de poing dans la manif du 1er Mai sans être sérieusement sanctionné. Une illustration du clanisme qui règne au cœur du pouvoir.
«Je n’ai aucune indulgence pour la grande violence ou les tenants du désordre. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron commentait, depuis Sydney en Australie, les heurts du 1er Mai, préjudiciables avant tout à l’image du mouvement social. Mais le président de la République ne s’est toujours pas exprimé sur cette « grande violence » qu’a commise, le même jour, un adjoint au chef de son propre cabinet ! Sur une vidéo tournée par un manifestant place de la Contrescarpe, dans le Quartier latin, et mise en ligne par le Monde, on voit ce collaborateur, Alexandre Benalla, étrangler et violemment frapper un jeune homme au sol. Il s’avère que Benalla, alors chargé d’organiser « la sécurité des déplacements du président », avait « demandé l’autorisation d’observer les opérations de maintien de l’ordre pour le 1er Mai », précisait hier le porte-parole de l’Élysée, Bruno Roger-Petit, autorisation qui lui avait été donnée car « il agissait dans le cadre d’un jour de congé et ne devait avoir qu’un rôle d’observateur ». Or on l’a vu, portant un brassard de la police, casqué comme les CRS qu’il accompagnait, une radio Acropol du même modèle qu’eux à la ceinture, intervenir à plusieurs reprises.
il y a « usurpation de fonction » selon l’article 433-13
Hier matin, la ministre de la Justice estimait, devant l’Assemblée nationale, que « les agressions (…) témoignent de gestes absolument inadaptés ». D’autant, jugeait Nicole Belloubet, que Benalla « avait usurpé (…) une identification qui l’assimilait aux forces de police et tel n’était pas le cas ». En effet, outre les « violences par personne chargée d’une mission de service public », sanctionnées par l’article 222-13 du Code pénal de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, il y a « usurpation de fonction », délit condamné (article 433-13) d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Le parquet de Paris a annoncé hier l’ouverture d’une enquête préliminaire sur ces deux délits, confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Quant aux policiers présents, qui en vertu de l’article 40 du Code pénal auraient dû empêcher toute violence, ils sont visés par une enquête de l’Inspection générale de la police, décidée hier.
Des actes judiciaires à mettre au crédit de la presse, car, à tous les étages du pouvoir, on a couvert le collaborateur. Alexandre Benalla a bien été « mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire », soulignait hier le porte-parole de l’Élysée, et « démis de ses fonctions en matière d’organisation de la sécurité des déplacements du président » pour « punir un comportement inacceptable ». Mais ce « dernier avertissement avant licenciement » n’a eu que peu d’impact : on a pu voir le collaborateur assurer la sécurité, à la cérémonie du Panthéon pour Simone Veil, début juillet, ou autour du bus des champions du monde de football, cette semaine. En matière de sanction, on fait pire…
Benalla n’est pas ce qu’on appelle un perdreau de l’année. Militant du Parti socialiste, il assurait, lors de la primaire du parti, en 2011, la sécurité de Martine Aubry. Il entre au service d’ordre de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012, avant de devenir chauffeur d’Arnaud Montebourg… une semaine seulement : selon l’ancien ministre du Redressement productif, Benalla, après avoir été impliqué dans un accident de la circulation, aurait voulu prendre la fuite, provoquant la colère de son patron. Viré ! Mais le pouvoir ne le lâche pas puisque, selon le Monde, il intègre en 2015, sur arrêté du premier ministre Manuel Valls, la session « jeunes » de l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice. Pour mieux revenir en 2016, comme responsable de la sécurité du candidat d’En marche ! (lire encadré).
Il se « distinguera » plusieurs fois. En novembre 2016, Emmanuel Macron officialise sa candidature au campus des métiers de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Grégoire (1), alors militant des Jeunes communistes, assure avoir été violemment poussé vers la sortie et frappé par Alexandre Benalla et la sécurité (la vidéo est visible sur la page Facebook des Jeunes communistes de Bobigny-Drancy). « On était quatre ou cinq militants à avoir réussi à rentrer à l’intérieur, témoigne-t-il à l’Humanité. Ils sont venus directement me voir, Benalla m’a dit de dégager et m’a agrippé pour me faire sortir. » Une fois dans le couloir, poursuit-il, « j’ai essayé de me débattre pour qu’ils arrêtent de me tenir et ils m’ont mis deux coups au visage, et Benalla m’a mis une béquille. » Rebelote en mars 2017. Au meeting du candidat Macron à Caen, Benalla empoigne un photographe qui s’était approché un peu trop près du fondateur d’En marche !, relate le Monde, et le soulève du sol…
« à l’Élysée, on se croit au-dessus de tout »
Plus que sa personnalité, c’est « l’impunité » dont a bénéficié Benalla qui fait réagir l’opposition. Le président des « Républicains », Laurent Wauquiez, se demandait hier sur Europe 1 si « à l’Élysée, on se croit au-dessus de tout », supposant qu’il y a eu « des manœuvres pour tenter d’étouffer l’affaire ». Le député PCF Sébastien Jumel pointe « l’absence de réaction appropriée au sommet de l’État », sans compter que « le chef de cabinet du président de la République n’a pas jugé utile d’en informer le procureur de la République, en contradiction avec ses obligations ». Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) va plus loin, demandant des démissions : « L’autorité de l’État a été engagée d’une manière tellement ample et tellement forte que la sanction doit être exemplaire. » Encore faut-il dégager les responsabilités, estime sur Twitter le député PCF Stéphane Peu, espérant que « François de Rugy et la majorité accepteront (sa) proposition de commission d’enquête ». Éliane Assassi, au nom du Groupe communiste du Sénat, a demandé au président de la commission des Lois, Philippe Bas, d’auditionner de toute urgence le ministre de l’Intérieur, ainsi que la garde des Sceaux et le premier ministre, « pour faire la lumière sur cette affaire » : « L’intervention des barbouzes du nouveau monde dans les mouvements sociaux » ne saurait, selon elle, être tolérée.
C’est un épisode de la campagne présidentielle révélateur de l’état d’esprit d’Alexandre Benalla et de ses proches que révèle la lecture attentive des Macronleaks, ces échanges de courriels internes à En marche ! authentifiés par Wikileaks. En mars 2017, une société de matériel de sécurité demande confirmation à la direction du mouvement d’une commande passée par Vincent Crase, le gendarme réserviste que l’on voit aux côtés de Benalla dans les vidéos du 1er mai. Alors « prestataire » pour En marche !, il souhaitait – démarche validée par Ludovic Chaker, directeur des opérations, et Alexandre Benalla, chef de la sécurité – obtenir deux pistolets Gomm Cogne avec leurs munitions et deux holsters, des boucliers, un Flash-Ball, un équipement en kevlar… Le directeur de campagne d’Emmanuel Macron, Jean-Marie Girier – devenu directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, et étrangement muet depuis l’explosion de l’affaire –, avait tranché : « Hors de question ! » Le trésorier de campagne, Cédric O, lui, s’interrogeait : « Je n’ai jamais entendu dire que les partis politiques avaient des vigiles armés. Je trouve même ça dangereux… » La commande est annulée. Mais, même après que le directeur financier de la campagne, Raphaël Coulhon, a signalé que Benalla « a un port d’arme, c’est sûrement aussi le cas de Christian Guedon (autre membre de l’équipe de campagne), et peut-être Vincent Crase », et qu’il « ne (savait) pas s’ils sont armés au QG », personne ne les a écartés du service d’ordre.
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