Réponse à Jean-Luc Mélenchon: camarade, revenons au débat de fond!

Dans son billet de blog de lundi «C’est tant ! C’est trop !» dans la partie intitulée «à bientôt camarades» Jean-Luc Mélenchon se sent obligé de commenter la fête de l’Humanité et se livre à une nouvelle charge violente contre le PCF. J’y réponds par ce texte.

Pourquoi cette intervention de Jean-Luc Mélenchon ? D’abord parce que son absence à cette édition 2018 n’a pas empêché la fête de constituer un événement politique : une fréquentation record, avec la présence de centaines de milliers de personnes dans les débats et concerts et de personnalités de toute la gauche au discours de Pierre Laurent. Ensuite parce que Jean-Luc Mélenchon prend très au sérieux la candidature d’Ian Brossat aux élections européennes et s’inquiète désormais d’une possible concurrence du jeune élu communiste qui l’a parrainé à la présidentielle, incarne le renouvellement politique et porte un projet européen très offensif.

Ainsi, le premier responsable de France insoumise veut tenter d’imposer aux participants de la fête et aux médias sa propre lecture de cet événement, pour discréditer le message du PCF en cette rentrée politique et celui porté par notre candidat aux élections européennes. L’expérience me conduit à ne pas laisser sa violente charge sans réponse car l’actualité montre chaque jour que la répétition de mensonges par des personnalités médiatiques conduit malheureusement souvent nombre de personnes à penser que ce sont des vérités.

La réponse d’Adrien Quatennens au tweet d’Ian Brossat était évidemment un prétexte pour donner de l’audience à France insoumise. Monsieur Quatennens nous avait d’ailleurs confirmé sa présence au discours de Pierre Laurent après la publication de ce tweet. Il faut dire que le jeune député est un récidiviste de la polémique politicienne. Déjà l’année précédente, alors qu’il assistait au discours de Pierre Laurent, c’est lui qui a déclenché le cirque médiatique de la délégation FI prétendant que la direction du PCF « tape sans relâche » sur Jean-Luc Mélenchon, après des propos pourtant bien mesurés du secrétaire national du PCF. Quant à affirmer que les discours de Pierre Laurent sont un « haut lieu des provocations verbales », les militants et journalistes qui le connaissent et le suivent apprécieront le ridicule du propos !

Une remarque sur la méthode de Jean-Luc Mélenchon. Dans son texte, il oppose « le cercle dirigeant du PCF » aux députés et adhérents communistes en affirmant simultanément : « nous attendons beaucoup du congrès des communistes ». La ficelle est un peu grosse : à deux mois d’un congrès du PCF, il s’agit de diviser les communistes. Ce procédé n’est pas nouveau, il l’a déjà utilisé à maintes reprises depuis les municipales de 2014 à l’occasion desquelles il faisait déjà le tri entre les communistes qui selon lui adhéraient à sa stratégie dite d’autonomie et les autres (procédé également utilisé l’année dernière pour tenter de diviser les syndicalistes et de prendre le leadership du mouvement social). Vaine tentative ! Le PCF a toujours été autonome des autres forces politiques depuis sa création en 1920, sachant promouvoir son propre programme dans les alliances électorales. Et les communistes n’ont jamais laissé, fussent leur débats internes vigoureux, un autre parti affaiblir leur unité.

Les raisons de cette tentative de discrédit du PCF et la méthode de Jean-Luc Mélenchon étant démasquées, venons-en au débat de fond, concernant les raisons de la fin du Front de gauche et l’enjeu des élections européennes.

La fin du Front de gauche découle principalement de la volonté hégémonique du Parti de gauche, attitude que France insoumise a confirmée depuis, ainsi que de l’incapacité de nos deux forces à permettre une intervention populaire durable.

« La stratégie d’alliances à géométrie variable » du PCF selon Mélenchon a permis des politiques sociales qui ont forgé le modèle social français et continuent d’innover aujourd’hui. C’est vrai au plan national, notamment avec l’alliance des communistes aux gaullistes après la guerre, dans les gouvernements de 1944 à 1946, qui ont compté plusieurs ministres communistes dont notre camarade Ambroise Croizat, créateur de la Sécurité sociale. C’est vrai aussi dans les municipalités à direction communiste, dont l’action au service des intérêts populaires a pris au fil des décennies l’épaisseur d’un « communisme municipal », qui continue aujourd’hui de produire des innovations sociales, écologiques et démocratiques. C’est vrai enfin dans les municipalités à direction socialiste auxquelles nous participons, comme à Paris, dans laquelle des dizaines de milliers de familles des catégories populaires peuvent encore vivre grâce à l’action d’élus comme Ian Brossat, qui a tant fait pour le logement social et contre la spéculation immobilière, comme le démontre à nouveau son combat contre la multinationale AirBnB.

Quant à penser que « les adhésions directes au Front de gauche » auraient permis l’investissement populaire, c’est d’une part ne pas avoir compris que les succès du Front de gauche ont reposé sur la diversité de ses forces. C’est d’autre part sous-estimer les problématiques de l’engagement politique : comment penser que le manque de confiance dans la politique et dans l’action collective puisse être résolu magiquement par une carte d’adhésion unique à un front de forces ? Construire cette confiance exige de développer des actions de proximité et de solidarité, de travailler à l’obtention de victoires locales concrètes, qui montrent que l’action collective peut changer la vie ou encore de transformer nos organisations pour que la parole populaire puisse s’y exprimer et participer à égalité avec les autres aux décisions démocratiques. C’est un défi de constance politique et d’humilité à mille lieues de proclamations et de coups de mentons, qui peuvent susciter un temps l’engouement électoral mais ne déboucheront jamais sur une participation durable du peuple à la vie politique. Au passage, à propos de « la voix des urnes », Jean-Luc Mélenchon affirme « nous espérons tout d’elle », confirmant ainsi que l’implication citoyenne au-delà du vote n’est pas pour lui une priorité, alors que l’histoire du mouvement ouvrier montre l’inverse : c’est grâce à l’intervention populaire que les grandes avancées se réalisent et sans elle les expériences de gouvernements de gauche ne tiennent pas leurs promesses.

Concernant les élections européennes, Jean-Luc Mélenchon affirme : « Nous ne sommes pas d’accord pour que l’immigration soit le débat central de la prochaine élection » et s’acharne sur un soi-disant « refus de dire si oui ou non leur politique européenne se fait à traités constants, comme le disent Hamon et Brossat ».

L’interview donné par Ian Brossat à l’Humanité le 5 juin dernier balaie ces deux mensonges. À la question de savoir quelles ruptures il portera dans la campagne, il répond : « D’abord, nous voulons en finir avec une Europe qui met en concurrence les salariés en proposant, face au dumping social, un salaire minimum européen et une clause de protection des salariés en France. Les services publics forment un autre pilier absolument fondamental de notre projet. Nous défendons, en écho à la bataille du moment sur la réforme ferroviaire, un moratoire sur les directives de libéralisation et l’abrogation du traité budgétaire. L’Union européenne a également failli sur l’accueil des migrants. Bon nombre de ceux qui composent les campements de rue à Paris sont dits « dublinés ». L’État français leur explique qu’ils vont devoir retourner en Italie parce que leurs empreintes y ont été enregistrées en premier. On marche sur la tête. Les gouvernements européens jouent au ping-pong avec des vies humaines. L’Union européenne doit prendre ses responsabilités et organiser une prise en charge digne de l’ensemble des réfugiés. »

Ainsi chacun constatera qu’Ian Brossat commence par porter des propositions contre la mise en concurrence et pour le développement des services publics et développe ensuite l’enjeu de la politique migratoire. Chacun constatera également qu’il appelle à l’abrogation du traité budgétaire. Dans la même interview, notre candidat dénonce tous les traités, dont celui de Maastricht, que les communistes n’ont pas voté, rappelons-le, contrairement à Jean-Luc Mélenchon. Nous n’avons donc aucune leçon de radicalité à recevoir. Quant à l’immigration, la position d’Ian Brossat affirmant un accueil inconditionnel des migrants fait honneur à la gauche et la fierté de tous les communistes. Et nous nous félicitons que la constance de notre camarade sur cet enjeu, comme celle d’autres personnalités de gauche, ait fini par conduire Jean-Luc Mélenchon à désavouer Djordje Kuzmanovic, dirigeant de FI, dont la rhétorique flirte depuis longtemps avec les propos de l’extrême droite.

Les élections européennes vont déterminer le sort de l’Europe alors qu’une montée identitaire nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire. Emmanuel Macron et les forces d’extrême droite essaient de faire de leur opposition médiatique l’enjeu de l’élection. Or, non seulement les politiques néolibérales ont conduit à faire progresser l’extrême droite mais cette progression conduit désormais les dirigeants néolibéraux a céder de plus en plus de terrain aux politiques xénophobes. Toutes ces forces sont unies par les liens sacrés du marché et agissent au service des intérêts financiers d’une minorité. L’enjeu des élections européennes est de savoir si nous pouvons faire progresser une alternative crédible portant, comme l’affirmait récemment Ian Brossat au Monde, « une Europe ouverte, multiculturelle, sociale », l’ambition de « créer des droits pour les peuples et non leur en ôter, s’attaquer de plein fouet aux inégalités sociales plutôt que les conforter, organiser l’accueil des migrants plutôt que refouler les navires de sauvetage ». Nous tendons la main à toutes les forces de gauche qui veulent discuter avec nous sur ces bases. Nous nous sommes adressés dès janvier dernier à France insoumise, bien avant la mise à disposition de la candidature d’Ian Brossat, dans une lettre restée sans réponse, et nous continuons d’affirmer notre disponibilité pour un rassemblement, tant l’attente d’unité est forte à gauche et contribuerait, si elle se faisait sur des bases solides, à faire reculer l’Union européenne des multinationales. Mais nous refusons de rester inactifs devant le danger qui s’annonce. Nous sommes en campagne sur nos idées communistes, avec notre candidat, pour refonder l’Europe au service des intérêts des peuples européens.

Camarade Mélenchon, revenons au débat de fond !

Igor Zamichiei, membre du comité executif national du PCF

 

 


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