Avec une forte participation (80,63 %), la défaite du oui (43,6 %, contre 56,8 % pour le non) tient à environ 20 000 voix. A contrario, l’île d’Ouvéa penchait nettement pour se séparer de la France, mais l’abstention était en hausse.
La population d’Ouvéa n’a pas communié longtemps hier, après la révélation du résultat du référendum, noté au feutre sur le tableau blanc de la mairie : les Calédoniens inscrits pour ce scrutin ont choisi à 56,4 % de rester rattachés à la France. Un score d’autant plus incontestable qu’il repose sur une forte participation, 80,63 % des inscrits s’étant exprimés. Quelques applaudissements épars ont salué la fin d’une journée historique, puis les pick-up, sur lesquels flottaient les grands drapeaux de Kanaky, se sont égaillés sans bruit dans la nuit noire de l’atoll.
C’est que sur l’île, splendide atoll de 40 kilomètres de long situé à l’est de la Grande Terre, les résultats ne collent pas tout à fait au tableau général : l’abstention est montée à 40,6 % parmi les 4 374 inscrits sur la liste spéciale du référendum, alors qu’à l’échelle de l’archipel, les non-votants comptent pour seulement 19 % du corps électoral spécial. Lors de cette journée de vote, ici, c’était la grande inconnue. « Les gens sont plutôt confiants, mobilisés pour le oui, même si certains appellent à boycotter. C’est la première fois qu’on demande comme ça aux Kanak de se prononcer pour un pays indépendant, donc on ne veut pas louper le coche », expliquait à la mi-journée Didier Tangopi, électeur au bureau de Weniky, au nord de l’île. Sur l’ensemble d’Ouvéa, les suffrages exprimés lui ont donné raison, avec 84,18 % en faveur de l’indépendance, et seulement 15,82 % pour le non.
À Ouvéa, comme Didier, cousin de Benoît Tangopi (l’homme qui a joué le rôle du gardien de la grotte de Gossanah), tout le monde est de près ou de loin lié à la tragédie du printemps 1988, qui avait fait 19 morts parmi les indépendantistes, et 4 victimes parmi les forces françaises. Cette mémoire est donc toujours vivace, comme le souvenir de l’assassinat, un an plus tard, des leaders indépendantistes Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, par un pasteur de Gossanah. Depuis, le nord de l’île est marqué par de forts conflits, avec en toile de fond une question politique : accepter ou non de jouer le jeu du référendum prévu par les accords de Matignon et de Nouméa.
« Une stratégie néo-coloniale »
« Je ne vote pas. Référendum bidon. » Le tag était inscrit à même le bitume, tout au long de la moitié nord de l’île. C’est l’œuvre du Collectif de Gossanah, qui voit dans le référendum une stratégie « néocoloniale », dans la droite ligne du Parti travailliste local. Selon lui, « tout a été fait pour qu’on ne puisse pas l’emporter : la constitution du corps électoral, les flux migratoires. Le FLNKS (Front de libération nationale kanak socialiste – NDLR) cède sans cesse du terrain ». Ce mot d’ordre a-t-il été entendu ou l’abstention est-elle le fruit de convictions personnelles parmi les habitants ? Toujours est-il que cet appel au boycott a beaucoup irrité le président du bureau de vote de Héo, une autre tribu du Nord. « Vous, la presse, donnez trop la parole à Macky Wéa. Dégagez avant que je casse votre matériel », a-t-il menacé au milieu de la journée de vote, sous le regard contrit des gens de la tribu. Preuve d’une grande tension autour de ce référendum.
« On a voté pour le pays »
Cette forte abstention figurait parmi les craintes du FLNKS, mais n’entame toutefois pas sa satisfaction, puisque le score de 43,6 % dépasse ses espérances. Même si l’écart est franc, le scrutin dément en effet les prévisions des sondages, qui donnaient aux tenants du non entre 63 % et 72 % des voix. « On réalise un score supérieur à celui qu’on pensait, le peuple kanak a bien été au rendez-vous, on progresse partout, dans toutes les communes », s’est félicité Louis Mapou, chef du groupe Uni-FLNKS au Congrès. Les militants d’Ouvéa partagent cet enthousiasme : « Il s’agit d’un premier référendum, rappelle Kallé Humbwy, habitant du centre de l’île. Les prochains rendez-vous sont déjà inscrits dans l’accord de Nouméa. Même la France reconnaît que la Nouvelle-Calédonie doit être indépendante. » En effet, le point 5 de l’accord de Nouméa stipule que « l’État reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation ».
Interrogé hier sur Nouvelle-Calédonie la 1re, le directeur de campagne du FLNKS, Gérard Reignier, voyait dans les résultats du oui « un acquis », à partir duquel « il faut continuer à travailler, à bâtir cette communauté de destin que nous appelons pour notre nation ». Les indépendantistes, qui enregistrent leur progression avec satisfaction, rappellent d’ailleurs que l’accord de Nouméa de 1998 prévoit que deux autres référendums pourront être organisés au cours des quatre prochaines années si un tiers du Congrès calédonien vote en ce sens. Sur le papier, cette victoire du non n’est donc pas de nature à compromettre le processus de décolonisation. À moins que la droite calédonienne ne parvienne à faire annuler cette possibilité de deux autres consultations, comme l’ont souhaité trois partis locaux, dont le Rassemblement, présidé par le sénateur LR Pierre Frogier, qui assume pour sa part vouloir « purger » l’indépendantisme.
« La détermination sera toujours là demain, la revendication continuera tant qu’il y aura des Kanak sur cette terre », martèle Kallé Humbwy. Le vote des jeunes générations représente d’ailleurs une bonne surprise du scrutin. Illustration de cette « courbe ascendante » de l’idée d’indépendance, plusieurs assesseurs ont remarqué la mobilisation extraordinaire de la jeunesse d’Ouvéa, habituellement plutôt abstentionniste. « Là, on n’a pas voté pour une personne, on a voté pour le pays. C’est très important », explique un trentenaire à la sortie de l’isoloir. « On sait qu’on est minoritaires, nous les Kanak, mais ça fait longtemps qu’on attend, alors on y est allés. »
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