Pacte de Marrakech : sachons raison garder

Photo : Albert Facelly

Photo : Albert Facelly

Par Marie-Christine Vergiat, députée GUE-NGL au Parlement européen.

Ce 10 décembre marque le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, date choisie par l’ONU pour signer à Marrakech un « pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ». Le texte final est sur la table depuis juillet 2018 et ne contient rien de bien révolutionnaire après dix-huit mois de négociations à 190 pays.

Pourtant, depuis quelques jours, la fièvre semble s’être emparée des réseaux sociaux et les rumeurs les plus hallucinantes circulent. Qu’on en juge : « Emmanuel Macron va vendre la France aux étrangers. » « Il va remettre les clés de la France à l’ONU », laquelle « voudrait nous imposer sa vision d’un monde sans frontières ». « Huit pays seraient obligés d’accueillir 480 millions de migrants » et on créerait « un droit à la migration ».

On est habitué à lire tout et n’importe quoi sur le sujet, mais là, on atteint des sommets de mauvaise foi. Il en va de même au niveau international. Suivant les traces de Donald Trump, une dizaine de pays membres de l’Union européenne ont annoncé qu’ils ne signeraient pas ce « pacte diabolique », pour reprendre l’expression de Marine Le Pen, Hongrie et Italie en tête bien évidement. Quant à Emmanuel Macron, toujours téméraire, il a décommandé sa visite à Marrakech… Tout cela est surréaliste ; ce pacte ne fait que reprendre le contenu de conventions déjà existantes et se contente d’établir « un cadre de coopération juridiquement non contraignant » qui « respecte la souveraineté des États ». Au final, ce texte est plutôt fade et déçoit largement les attentes de ceux qui défendent les droits des migrants. Il reflète par contre la triste évolution des pays européens au regard des droits de l’homme.

Combien de fois faudra-t-il dire et répéter que le nombre de migrants internationaux est de 285 millions, dont 60 millions d’Européens et seulement 36 millions d’Africains ? Ce nombre a peu augmenté au regard de la mondialisation, passant de 2, 9 % en 1990 à 3,3 % de la population mondiale, alors qu’il était de 5 % en 1900. L’immense majorité des migrations sont régulières et seuls les États décident de qui peut entrer sur leur territoire (ce qui est le cas pour 2,5 millions de personnes dans l’UE, dont 250 000 en France, en moyenne, ces dernières années).

Alors, oui, les migrations se sont mondialisées, et c’est la raison même du pacte mondial. Tous les pays sont désormais pays d’origine, d’accueil et de transit ; la France en est un parfait exemple avec un solde migratoire quasiment nul et 2,5 millions de Français qui vivent à l’extérieur du territoire. Mais l’instrumentalisation de cette question à des fins électoralistes fait des ravages croissants parmi la population européenne, alors que nous sommes loin d’accueillir toute la misère du monde. Nous n’y prenons même pas notre part. 85 % des migrations contraintes se font dans les pays voisins des pays de départ ; seulement 6 % des réfugiés sont installés dans l’Union européenne – 1 réfugié pour 1 000 habitants.

Ce sont les plus vulnérables qui font les frais de ce délire politique, obligés de prendre des routes dangereuses, livrés aux mains des passeurs au risque de leur vie : 90 % des personnes ayant bénéficié d’une protection internationale en Europe, ces dernières années, sont arrivées de façon irrégulière et le plus souvent en traversant la Méditerranée. C’est l’absence de droits qui crée la misère. À force de refuser de voir les réalités en face, on creuse le lit du racisme et de l’extrême droite. Or, c’est de solidarité dont notre monde a le plus besoin. Il est temps de redonner du sens au joli mot d’hospitalité.


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