À mesure que s’exprime une haine à l’égard des représentants politiques, qui ne défendraient que les intérêts des leurs, se dessine une soif de démocratie plus représentative et moins affairiste.
Le café, niché dans le 11e arrondissement de Paris et réquisitionné pour le « grand débat » par la République en marche (LaREM), est coupé en deux en cette fin janvier. D’une part, les habitants sont invités à débattre de la fiscalité. Mais ils ont du mal à s’entendre car, de l’autre, on se coupe, s’interpelle. Le thème qui enflamme l’assemblée : la démocratie. référendum d’initiative citoyenne (RIC), référendum de 2005, « privilèges » des élus, nécessité de baisser les salaires des hauts fonctionnaires, homogénéité sociale des élus, affaires après lesquelles certains ne sont pas « virés »… les sujets se bousculent de manière décousue. Sous les yeux médusés du député de la majorité, Pacôme Rupin (LaREM), qui peine à défendre les idées de la Macronie.
«les citoyens veulent que les élus se consacrent à l’intérêt général »
Cette crise démocratique, que ne veut pas entendre la majorité présidentielle, s’est exprimée de façon condamnable ces dernières semaines. L’Assemblée nationale a été prise pour cible lors de l’acte XIII des gilets jaunes, le domicile de son président, Richard Ferrand, a été incendié et de nombreux députés LaREM ont reçu des courriers de menaces de mort. Le ressentiment – voire la haine – à l’égard des élus s’est démultiplié sous le slogan « tous pourris », jusque-là porté par l’extrême droite. Si le politologue Bruno Cautrès observe que « les citoyens ont le sentiment que les hommes politiques les ont laissés sur le bas-côté de la route », c’est bien parce que 85 % des sondés par le Cevipof à la mi-décembre – pic de la mobilisation – pensent que les politiques ne se préoccupent pas des Français comme eux. Le chercheur pointe ainsi un « sentiment d’abandon » de la part de nos représentants et un « très fort sentiment qu’ils vivent dans une forme de bulle, de caste à part, (ce) qui génère un sentiment de manque de respect ».
74 % disent qu’ils sont déconnectés de la réalité. Quand Benjamin Coriat, des Économistes atterrés, parlait en décembre d’un « président affairé à sauver les siens », ayant permis la suppression de l’ISF et la flat tax, le sociologue Nicolas Duvoux estimait que « le choix de favoriser ceux qui sont déjà les plus aisés a accrédité l’idée que le pouvoir s’était rangé du côté des vainqueurs et converti leur fortune en morale ». En cela, la majorité a une responsabilité, selon le président d’Anticor, Jean-Christophe Picard, incarnée dans son manque de volonté de lutter contre la fraude fiscale et la corruption. Un « impératif moral » puisque, pour « se serrer la ceinture, les citoyens veulent qu’en échange les élus se consacrent à l’intérêt général ». Mais aussi économique, car « ces pratiques impactent, par un manque à gagner, le niveau de vie de la majorité des Français, les services publics ou encore les prestations sociales », principales revendications des gilets jaunes.
« La majorité n’a pas compris le message des Français »
Le sentiment de persécution à l’égard des gilets jaunes poursuivis par la justice s’y est vite ajouté. Avec un pic : les deux procès de figures du mouvement, Christophe Dettinger et Éric Drouet la semaine dernière. Au même moment, ont remarqué de nombreux gilets jaunes sur les réseaux sociaux, l’ancien collaborateur du chef de l’État Alexandre Benalla – mis en examen après des actes de violence – se relaxait au Maroc. Les peines étaient également comparées à la condamnation à deux ans de prison ferme de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale, sans passage par la case prison. Détournements de fonds publics, corruption… les affaires, impliquant majoritairement une droite affairiste, secouent la vie politique française depuis des années. Sans compter les pratiques légales comme le cumul d’un mandat de présidence de département et de poste à Bercy, comme Hervé Gaymard, ou de pantouflage, comme Virginie Calmels, tout juste partie de la municipalité de Bordeaux pour devenir « PDG d’un très beau groupe français ». Celles qui ont secoué Nicolas Sarkozy ne se comptent plus sur les doigts d’une main (financement libyen de la campagne de 2007, Bygmalion, arbitrage Tapie, Karachi, les sondages de l’Élysée, affaire Bettencourt…).
Pendant la campagne de 2017, c’est l’affaire du Penelopegate qui éclate. Là-dessus, le candidat Emmanuel Macron se présente comme celui du « renouveau démocratique » et fait la promesse d’« interdire définitivement (des) pratiques d’un autre temps ». Sa loi de moralisation de la vie publique, avec l’interdiction des emplois familiaux, sera alors portée par le ministre François Bayrou, avant que soit divulguée une affaire d’emplois supposés fictifs au Parlement européen (voir ci-contre). « La majorité n’a pas compris le message des Français et l’exaspération. Ils font comme avant et risquent d’être à terme balayés », analyse Jean-Christophe Picard, pour qui l’un des symboles est la nomination au Conseil constitutionnel d’Alain Juppé, condamné en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs du RPR. En ce sens, le sentiment de « tous pourris » prend aussi sa source dans cette capacité à « réhabiliter démocratiquement » ces élus, quand bien souvent ils ne sont pas inquiétés par la justice. Si « on laisse faire les pires élus », « on parle peu et n’accompagne pas les élus très investis ». C’est dans cette impasse, qui impacte désormais l’ensemble des organisations représentatives, que la majorité présidentielle obsédée par sa volonté de maintenir son cap politique glisse le débat démocratique. Au risque que l’extrême droite récolte cette colère aux prochaines échéances électorales.
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