L’Humanité fut longtemps « l’organe central du PCF ». Ce n’est pas pour autant la seule propriété d’un parti. À sa manière, le titre magnifique est une propriété publique, une pièce du mobilier national. Le journal a en effet participé de la sociabilité populaire du XXe siècle. En stimulant la politisation ouvrière, il a contribué à ce qui fut la grande conquête de l’entre-deux-guerres : la réinsertion des ouvriers dans la cité qui les reléguait et le retissage des liens entre la gauche et ce qui était le peuple d’hier. Faire disparaître le journal de Jean Jaurès et de Marcel Cachin, c’est tirer un trait sur ce qui fut le grand acquis démocratique de toute une époque. En pleine crise démocratique, le signal serait pour le moins inquiétant. L’argent réussirait-il ce que les fascismes n’ont jamais réussi à obtenir ?
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L’Humanité, ce fut la présence de la politique dans les rues populaires des villes, dans les villages, aux portes des entreprises. C’était le poste de vente installé dans le paysage urbain, c’est toujours le nom accolé à la plus grande fête populaire de France. Plus d’un siècle de d’existence en a fait davantage qu’un journal : le liant d’un groupe humain, un vecteur d’éducation populaire, un pivot de culture.
Pour moi, comme pour beaucoup, la tournée de L’Humanité-Dimanche, c’était aussi l’obligation de voir ce que la société établie n’avait pas envie de montrer, les appartements sans eau courante de la rue Mouffetard au début des années 1970, la misère incrustée au cœur des cités de banlieue, les cages à lapins – les vraies – dans les HLM. Mais en contrepartie, c’étaient les sourires derrière les portes qui s’ouvraient, la chaleur de ceux pour qui l’H-D achetée était une ouverture sur le monde qui les rejetait, l’affirmation de la dignité maintenue au cœur du dénuement extrême.
Sauvons L’Huma !
Je ne cacherai pas qu’il m’est arrivé de maudire le journal à la lecture de tel ou tel article. Je n’ai pourtant jamais voulu un seul instant qu’il disparaisse, ni même imaginé que cela puisse advenir.
C’est pourquoi je serai vendredi [1] aux côtés de la foule qui dira son désir que L’Humanité vive et ait les moyens de se transformer. J’espère que notre voix sera assez forte pour être entendue, jusque dans les lieux où l’on ne veut pas entendre.
Roger Martelli