Il faut décréter l’état d’urgence sanitaire

Organisation et transformation du système de santé (question préalable)

Par / 3 juin 2019

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, notre groupe a déposé cette motion tendant à opposer la question préalable du fait de notre désaccord avec la philosophie générale du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Face aux inégalités croissantes en matière d’accès aux soins, comment penser que l’efficience de notre système de santé passe essentiellement par une réorganisation et une mutualisation de moyens rabotés, chaque année, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Comment ne pas dénoncer les dangers que ce projet comporte en réformant la carte hospitalière et en réduisant les hôpitaux de proximité à de véritables coquilles vides ?

Alors, bien sûr, quelques mesures vont dans le bon sens, et si notre motion n’est pas votée, nous les soutiendrons. Mais elles sont noyées par votre refus de sortir du carcan de l’austérité budgétaire.

Ainsi, vous proposez la suppression du numerus clausus que nous demandions depuis longtemps. Mais c’est une mesure en trompe-l’œil, puisque vous en transférez la responsabilité aux présidents d’université sans leur donner plus de moyens. Et pourquoi ne pas l’avoir aussi supprimé pour les paramédicaux, singulièrement les orthophonistes, qui manquent, sur tous les territoires, en exercice libéral comme hospitalier ?

En outre, ce projet de loi fait la part belle aux ordonnances, restreignant de facto les droits du Parlement.

Vous nous avez expliqué, madame la ministre, qu’il était nécessaire de faire vite pour inscrire dans Parcoursup la suppression de la Paces pour 2020. Même si nous apprécions positivement votre intention de venir nous présenter a posteriori les études d’impact et les ordonnances, convenez qu’il soit compliqué de vous accorder ce blanc-seing.

Trente années de réformes successives, dont vous assumez la continuité, ont conduit notre système de santé dans l’impasse. Aujourd’hui, tous les voyants sont au rouge. Pour ne prendre qu’un exemple récent, mardi 28 mai, à midi, pendant cinq minutes, le président de Samu-France a appelé à cesser symboliquement le travail pour dénoncer « le point de rupture jamais atteint ». Et il a été largement suivi.

Il faut décréter l’état d’urgence sanitaire dans notre pays. Trop nombreux sont nos concitoyens et nos concitoyennes à ne plus pouvoir accéder à un médecin généraliste ou à un spécialiste, dans de bonnes conditions financières, de proximité et de délai.

Les personnels hospitaliers sont au bord de l’épuisement professionnel généralisé. Les élus locaux sont exclus des constructions des projets territoriaux de santé. Les cas de femmes accouchant dans les ambulances se multiplient, faute de maternités de proximité. Des services sont désertés par des praticiens, qui préfèrent exercer en établissement privé où ils gagnent mieux leur vie et où ils n’ont pas les mêmes contraintes. La dette des hôpitaux a atteint les 30 milliards d’euros. Les inégalités d’accès à la médecine de ville gagnent du terrain. Les ruptures de stock de médicaments se multiplient…

Nous ne sommes pas alarmistes, mais réalistes. Si notre système de santé tient debout, c’est grâce à l’engagement sans faille des personnels. Je veux ici le souligner.

Il faut donc revoir notre système de santé, ce qui nécessite de mettre en œuvre un plan d’investissement matériel, financier et humain.

Ce plan n’est pas une utopie au regard des 40 milliards d’euros trouvés par le Gouvernement quand il s’est agi de faire ce cadeau, sans contrepartie, aux grandes entreprises. C’est bien une question de choix politique !

Il faut absolument sortir du carcan financier imposé par Bruxelles et mettre en œuvre une politique ambitieuse en matière de santé. Les propositions ne manquent pas pour y parvenir. Malheureusement, nous sommes contraints par les articles 40 et 41 de la Constitution, par le recours aux ordonnances, et par la loi de financement de la sécurité sociale.

Ces propositions, qui permettraient de répondre aux besoins des populations, sont notamment en contradiction avec cette nouvelle définition en trois échelons des hôpitaux, laquelle, sous couvert de gradation des soins, éloigne encore davantage les patients des infrastructures et des professionnels qualifiés, aggravant ainsi le phénomène des déserts médicaux, qui se multiplient en zones rurales et urbaines.

Vous pouvez affirmer qu’il n’y aura plus de fermetures d’hôpitaux de proximité, mais vous les videz de leurs services essentiels, comme les urgences, la, chirurgie ou la maternité et vous supprimez des lits.

Lors de notre tour de France des hôpitaux et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, réalisé avec les collègues de mon groupe et les députés communistes, nous avons constaté, depuis quinze mois, la souffrance des personnels face à la dégradation des conditions de travail, le besoin de reconnaissance des métiers face à un sentiment d’écrasement par la machine administrative et, enfin, l’urgence d’embaucher du personnel pour arriver à soigner les malades comme il se doit.

Je pense à une phrase entendue dans différents visités : « Nous ne faisons plus de la qualité, mais de l’abattage. »

Cette conception de l’hôpital public n’est pas la nôtre. Pour notre part, nous demandons depuis longtemps l’arrêt des fermetures de lits, de services, de maternités et d’hôpitaux, ce que le collectif Inter-Urgences, qui appelle à une journée nationale de manifestation à Paris, le 6 juin prochain, a mis en tête de ses revendications.

En 2014, alors que notre groupe avait déposé une proposition de loi exigeant un moratoire sur les fermetures de services, d’établissements ou de leurs regroupements, la ministre de la santé de l’époque, Marisol Touraine, avait répondu que, contrairement à ses prédécesseurs, elle ne conduisait plus une politique de fermetures des hôpitaux. Nous voyons aujourd’hui ce qu’il en est…

Force est de constater, depuis 2014, que les fermetures se sont poursuivies malgré les engagements des ministres successives, le nombre des établissements de santé passant de 3 111 en 2014 à 3 065 en 2016. Sur la même période, 46 établissements – pour le seul secteur public – ont fermé définitivement leurs portes.

Vous nous accorderez, mes chers collègues, que voter notre proposition de loi aurait été salutaire.

Dans ce contexte très dégradé, comment comprendre que Martin Hirsch annonce la fermeture de plus d’un millier de lits en gériatrie à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris d’ici à 2024, sans que votre ministère réagisse ?

Vous proposez de libérer du temps médical avec les 4 000 assistants médicaux pour les regroupements des professionnels de santé. Vous souhaitez favoriser l’exercice regroupé en maisons et centres de santé, nous disons chiche !

Actuellement, les aspirations des jeunes praticiens à exercer en salariat dans des structures comme les centres de santé sont grandes. Donnons-leur les outils pour y parvenir en aidant réellement et concrètement les centres de santé à se développer. Il y a urgence à les accompagner en clarifiant le statut des professionnels exerçant dans ces centres, où les patients ont la garantie de bénéficier du tiers payant et de ne pas régler de dépassements d’honoraires, car il n’y en a pas.

Nous n’opposons pas médecine hospitalière et médecine de ville. Nous reconnaissons et défendons leur indispensable complémentarité.

Nous portons, avec nos collègues députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, un projet alternatif de santé que nous avons élaboré avec des actrices et acteurs de notre système de santé, rencontrés tout au long de notre tour de France des hôpitaux, pour apporter une réponse immédiate aux problématiques dénoncées.

Selon nous, l’urgence sanitaire nécessite d’agir tout de suite, sans attendre 2022, et de mettre en place un plan d’investissement pour une santé de qualité, accessible à toutes et à tous, financé par la suppression de la taxe sur les salaires dans les hôpitaux, par la suppression du CICE, du CIR et des exonérations de cotisations patronales et par une véritable lutte contre la fraude patronale aux cotisations sociales.

Avec cet argent, nous serions en capacité d’améliorer l’accès aux soins en créant 100 000 emplois à l’hôpital public et de revaloriser les carrières et les rémunérations des personnels. Est-il acceptable que les salaires des infirmières et des infirmiers en France soient les plus bas de tous les pays développés, selon l’OCDE ?

Avec cet argent, il est aussi possible de revenir sur les groupements hospitaliers de territoire, de créer 100 000 emplois statutaires par an, pendant trois ans, dans les filières gériatriques et les Ehpad, de revaloriser le point des conventions collectives du secteur d’aide à domicile, d’instaurer une véritable démocratie sanitaire en remplaçant les agences régionales de santé par des conseils cantonaux de santé, et en substituant aux conseils de surveillance des hôpitaux des conseils d’administration avec un droit de veto pour les représentants des personnels et les élus locaux.

Avec cet argent, il est possible de mettre en place un pôle public du médicament pour retrouver notre souveraineté en matière de production en France et de revaloriser le secteur psychiatrique pour garantir la continuité et la proximité du soin relationnel.

Bref, je n’entre pas dans le détail de nos 86 propositions. Il ne s’agit pas d’une liste à la Prévert, mais d’une réorientation des recettes de la sécurité sociale vers une autre politique de la santé.

C’est une question de choix politiques. Nous regrettons, madame la ministre, que votre gouvernement s’inscrive dans la continuité des précédentes lois en matière de santé – notamment la loi HPST, dite loi Bachelot, et la loi Touraine.

Comment comprendre cet entêtement à poursuivre et à aggraver une politique qui a échoué et qui nous conduit aujourd’hui à la situation de pénurie de médecins, de recrudescence des renoncements aux soins et à la souffrance des personnels qui peut déboucher sur des drames ?

Cette politique ayant prouvé son inefficacité, il faut en changer, et ce de fond en comble. Ce n’est malheureusement pas ce que vous faites avec ce projet de loi.

Mes chers collègues, écoutez-nous, écoutez les infirmières de Valence qui chantent : « Y a de la colère dans les cathéters ! » Écoutez les personnels des urgences qui se mobilisent sur tous les territoires de notre pays. Votez notre motion tendant à opposer la question préalable.

 


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.