La publication du Bilan social de l’éducation nationale répercute avec un peu de retard les évolutions liées à la politique gouvernementale. Néanmoins, le Bilan 2019 souligne des orientations cohérentes avec la loi de transformation de la Fonction publique : la montée des contractuels et les départs « volontaires » des enseignants. Cette année comme les années précédentes l’éducation nationale n’évite ni les inégalités salariales ni celles de genre.
Doublement des démissions
Signalée par le Café pédagogique dès 2016 à la suite d’un rapport du sénateur Carle, les démissions d’enseignants sont en hausse rapide à l’éducation nationale. Le Bilan social propose une évolution depuis 2011-2012. Dans le premier degré on est passé de 322 démissions cette année là à 532 en 2015-16 , 694 en 2016-17 et 861 en 2017-18. Dans le second degré on comptait 447 démissions en 2011-12 et 351 en 2014-15. Mais dès 2015-16 ça repart à la hausse : 441 puis 527 et enfin 538 démissions en 2017-18. Ces chiffres ne concernent que les titulaires.
Dans la rubrique « seconde carrière » du Café pédagogique, nous avons souvent croisé des enseignants démissionnaires. Ainsi G Perret, expliquait » J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie », en 2012. C Malaussena évoque ainsi ses dernières années d’enseignante dans le 1er degré : » Les dernières années, au niveau du primaire, vu toutes les réformes auxquelles on a été soumis sans qu’on en comprenne toujours le sens, vu le poids de plus en plus lourd qui a commencé à se faire sentir sur le plan purement administratif, j’ai commencé à ressentir la perte de sens dans mon travail, comme si le système m’obligeait à brider ma créativité et m’imposait de plus en plus de contraintes ».
Pour le Bilan social, cette évolution des démissions « reste peu significative au regard des effectifs enseignants ». Elle est à mettre en rapport avec le nombre d’enseignants : 356 000 dans le 1er degré public et 402 500 dans le 2d degré.
Les taux français restent bien en dessous de ceux qui existent par exemple au Royaume-Uni. Une étude de la National Foundation for Educational Research (NFER) en 2016 montrait que 8% des enseignants avaient démissionné en 2015 contre 6% en 2011. Remis à l’échelle de la France cela représenterait près de 68 000 enseignants chaque année !
L’étude anglaise est aussi éclairante par les motifs qu’elle donne à ces départs. Les professeurs s’en vont parce qu’ils ont trop de travail et, entre autre à cause de réformes jugées trop fréquentes. Ils partent aussi car ils ont trop de pression hiérarchique ou parce qu’ils sentent que leur métier se dévalorise. Ces raisons semblent un peu universelles…
Il faut donc se demander pourquoi les taux de départ ne sont pas aussi forts en France. Il y a à cela des raisons administratives. Le nombre de démissions dépend d’abord des autorisations de l’administration. Or, jusque là, elle préfère garder les enseignants. Ainsi le décret de 2014 qui a restreint l’accès à l’indemnité de départ volontaire à partir de 2014, a surement freiné la hausse du nombre de démissions.
Mais le principal facteur de frein reste le statut de fonctionnaire, statut qui n’existe pas pour les enseignants outre-Manche. En ce sens la montée des contractuels et la remise en cause du statut pourraient bien être accompagnés d’une montée encore plus forte des démissions. D’autant que la loi de transformation de la fonction publique introduit la rupture conventionnelle du contrat de travail et le passage au privé en bloc de services entiers.
L’explosion du nombre de contractuels
La généralisation de la contractualisation est un des points forts de la loi de transformation de la fonction publique adoptée récemment en première lecture par l’Assemblée. Elle devrait concerner tous les emplois y compris ceux de direction. Pourtant la dernière décennie a déjà vu une montée spectaculaire du nombre de contractuels dans l’enseignement. Selon le Bilan social, 8% des enseignants et 54% des non enseignants du ministère de l’éducation nationale sont déjà des non-titulaires.
Ainsi en 2008 on comptait 2730 enseignants non titulaires dans le 1er degré, un chiffre resté stable jusqu’en 2016 où il monte à 3110 puis 4092 en 2017. Dans le second degré on passe de 24 282 enseignants non titulaires en 2008 à 33 668 en 2011 , chiffre resté à peu près stable jusqu’en 2016 (36 201) et 2017 (39 791). Si on regarde l’évolution du nombre d’enseignants dans le public de 2016-17 à 2017-18 le nombre de titulaires a légèrement régressé (de 377 postes !) alors que celui des contractuels a augmenté de 12% ! L’augmentation du nombre d’enseignants est donc totalement portée par le recours aux non titulaires.
Dernier point à souligner : la plupart de ces contractuels sont sur des contrats précaires. Sur 43 883 contractuels enseignants publics seulement 8 380 sont en CDI et 35 459 en CDD. On compte même 44 vacataires dans l’enseignement public.
Un écart aussi important souligne l’échec des plans de titularisation. Le faible taux de couverture des concours réservés illustre aussi ce phénomène. Mais il faut aussi prendre en compte la mauvaise volonté de certaines académies pour passer en CDI les contractuels.
Lors d’une table ronde des contractuels organisée par la Fsu le 6 mai, les enseignants présents montraient la grande variété des situations. Ainsi Paul, contractuel sur Clermont Ferrand depuis 1993 n’a jamais été « dans les clous » pour aucun des plan de titularisation. Aurélie, contractuelle à Reims depuis 2013 perd sa possibilité de CDIsation pour 4 jours fort opportuns de décalage… Marie, professeure dans l’académie de Montpellier cumule un CDI à temps incomplet et trois CDD, les quatre contrats aboutissant à un bulletin de salaire unique. Cette situation rend très compliquée sa vie professionnelle écartelée entre 4 établissements. Mais ça perturbe aussi fortement l’accès à ses droits sociaux , les organismes sociaux ne comprenant pas des situations aussi exotiques.
La loi fonction publique vise à doubler au moins le taux de contractuels très rapidement. Sur ce terrain l’éducation nationale pourrait prendre modèle sur l’enseignement agricole. Selon F Cardon, secrétaire général adjoint du Snetap, le syndicat de l’enseignement agricole de la Fsu, on compte environ 6 000 enseignants titulaires dans l’enseignement agricole, 1500 contractuels nationaux et 4500 contractuels payés sur les budgets des établissements.
Cela a un impact fort sur les conditions de travail des enseignants y compris titulaires. « Les agents titulaires en ont assez de voir des collègues qui tournent tout le temps », nous a dit Julie Charnet , coordinatrice Snetap des commissions paritaires des contractuels. « Le travail en équipe en souffre.
La montée des contractuels s’accompagne d’une remise en cause des statuts. « Les académies n’appliquent pas les textes relatifs aux contractuels », nous a dit Benoit Teste, secrétaire général adjoint du Snes Fsu. Elles évitent de reconnaitre les droits au CDI et même les textes relatifs à la progression des rémunérations des contractuels. Dans l’enseignement agricole, ce sont les textes sur les dédoublements automatiques des classes qui sont remis en question. Les syndicats du public et du privé de l’enseignement agricole ont appelé à la grève des examens pour cette raison.
On est là devant un paradoxe. L’Etat veut développer la contractualisation des enseignants. Certaines académies font des efforts pour attirer des contractuels. Ainsi l’académie de Versailles cherche à identifier les berceaux où trouver des contractuels et, par exemple, va recruter directement en Espagne des professeurs d’espagnol. Mais d’autres académies misent sur un turn over incessant de contractuels. C’est semble t-il la solution préconisée par la loi Blanquer qui va recruter massivement des étudiants pour les mettre dans les classes.
Des inégalités hommes – femmes maintenues
Le troisième point intéressant de ce Bilan social renvoie aux inégalités hommes – femmes. « Dans le premier degré public, le salaire net des hommes est supérieur de 11 % à celui des femmes (5 % dans le secteur privé) et, dans le second degré public, de 8 % (7 % dans le secteur privé) », note le Bilan social. « Quels que soient le corps et le secteur, les hommes enseignent davantage à temps plein et sont plus avancés dans leur carrière. Le niveau et la part des primes sont également plus élevés pour les hommes. Parmi les professeurs des écoles du public, l’écart de primes est de 43 % entre hommes et femmes, en lien avec une relative surreprésentation des hommes dans les directions des écoles et sur des établissements de plus grande taille (la prime de direction étant en partie liée à la taille de l’établissement). Dans le second degré, public comme privé, et plus encore parmi les professeurs agrégés et de chaire supérieure, les hommes perçoivent en moyenne 26 % (dans le privé) à 29 % (dans le public) de primes de plus que les femmes. Ces derniers ont en particulier une plus grande propension à effectuer des heures supplémentaires, percevant, en moyenne 45 % (dans le privé) à 51 % (dans le public) de rémunérations pour heures supplémentaires de plus que les femmes ».
On aura compris que le pourcentage de femmes décroit avec l’accès aux catégories d’enseignants ou de non enseignants les mieux rémunérées.
Mais il est intéressant de constater que même les disciplines d’enseignement ont un sexe. Ainsi on compte 83% de femmes chez les professeurs de langues, 79% en lettres, 86% en santé environnement et même 91% en paramédical. Mais seulement 4% en génie, 9% en informatique et STI et 44% en maths.
François Jarraud
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