Tribune: A qui profite la réforme des hôpitaux publics

En créant des hôpitaux de proximité, le ministère de la Santé abandonne l’idée de réguler la médecine libérale et fait la part belle aux cliniques privées, estime Jean-Paul Domin, spécialiste de l’économie de la santé.

Annoncé à grand renfort de communication en septembre dernier, le plan « Ma santé 2022 » a été présenté par Agnès Buzyn en Conseil des ministres le 13 février 2019, sous la forme d’un nouveau projet de loi « relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé ». On y retrouve pêle-mêle la suppression du numerus clausus dans les facultés de médecine, la mise en œuvre de la santé numérique et la labélisation des hôpitaux dits de proximité. La mise en place des hôpitaux de proximité constitue, à ne pas en douter, le nœud du projet de loi. Présenté à l’origine comme permettant de lutter contre les déserts médicaux, le texte abandonne néanmoins définitivement les mesures contraignantes à l’égard des médecins libéraux et accélère la fermeture des petits établissements. A qui donc profite cette réforme ?

Labellisation des hôpitaux de proximité

Depuis de nombreuses années, l’évolution de la carte hospitalière est au cœur des réformes. L’actuel projet de la ministre de la Santé est de labelliser entre 500 et 600 hôpitaux de proximité sans chirurgie ni maternité, mais recentrés sur la médecine générale, la gériatrie et certaines consultations de spécialité. En pratique, cela suppose que certains établissements (les hôpitaux généraux) vont être transformés. Des services de chirurgie et d’obstétriques vont être fermés et recentrés sur de plus gros établissements. A terme, il ne devrait plus rester que trois niveaux : les hôpitaux de proximité, les hôpitaux généraux et les centres hospitaliers universitaires (les CHU), où se regroupera l’élite régionale de la médecine et de la chirurgie.

En créant des hôpitaux de proximité, chargés d’assurer la mission des généralistes, le ministère de la Santé abandonne définitivement l’idée de réguler la médecine libérale. Pourtant, des solutions existent contre les déserts médicaux. La première est envisagée par la Cour des comptes, qui estime nécessaire d’abandonner la politique incitative et de passer à une régulation plus contraignante. En d’autres termes, il s’agirait de conditionner l’exercice en secteur libéral (pour de jeunes praticiens) à une installation, pour une durée déterminée, en zone sous-dense. Une seconde solution consisterait à réguler l’installation des médecins libéraux en secteur à honoraires libres (secteur 2) en leur imposant, s’ils veulent être en secteur 2, une installation en zone sous-dense. Cette mesure aurait deux effets immédiats : renforcer l’accès en secteur conventionné (secteur 1) dans les zones sur-denses et inciter à l’installation (en secteur 2) dans des zones sous-denses.

Ménager la médecine libérale

La volonté gouvernementale d’abandonner les mesures contraignantes à l’égard des médecins libéraux relève d’un calcul politique évident : éviter d’effrayer un électorat potentiel à quelques semaines d’échéances électorales. La ministre de la Santé ne fait que perpétuer des choix politiques qui ont été faits par ses prédécesseurs au début des années 1990 : faire peser sur l’hôpital les réformes les plus dures (mise en place de la tarification à l’activité, généralisation des méthodes de management…) et ménager la médecine libérale, qui peut constituer un allié politique, notamment en lui permettant de recevoir des revenus supplémentaires.

La mise en œuvre et la généralisation de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) en constituent un exemple caractéristique. La ROSP est une rémunération forfaitaire venant compléter la tarification à l’acte ; elle avait pour objectif d’inciter les médecins à pratiquer plus d’actes de prévention ou à privilégier les génériques. En réalité, comme son accès se fait sur une base déclarative, elle a surtout permis à certains praticiens d’augmenter substantiellement leur rémunération sans changer drastiquement leurs pratiques.

La réforme telle qu’elle a été imaginée va bouleverser considérablement le paysage hospitalier français. En effet, actuellement trois types de structures cohabitent. Les centres hospitaliers régionaux et universitaires (CHU), dont la mission est de fournir des soins spécialisés pour l’ensemble de la population d’une région. Les centres hospitaliers, qui prennent en charge les malades pour des séjours en service de médecine, chirurgie ou obstétrique, et les centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie.

Les centres hospitaliers vont être particulièrement touchés par la réforme puisque certains seront transformés en hôpitaux de proximité, ces derniers assurant, selon le projet de loi « le premier niveau de la gradation des soins hospitaliers et contribuant par des coopérations étroites avec les acteurs de la ville et du médico-social à des soins de proximité de qualité ». D’autres établissements publics de ce type risquent de fermer définitivement.

Bonne santé des cliniques privées

Les patients et les personnels paieront la note de la réforme. Les premiers risquent de voir l’offre hospitalière se modifier de façon considérable. Tout porte à croire que certains centres hospitaliers seront supprimés, d’autres fusionneront. Les patients en feront les frais dans la mesure où les distances et les temps d’accès aux soins risquent d’augmenter de façon conséquente. C’est une bien curieuse façon de lutter contre le développement des déserts médicaux. La suppression de certains établissements aura également des effets délétères sur les personnels. Ces derniers ont vu leurs conditions de travail se dégrader avec la mise en œuvre de la tarification à l’activité. Les personnels font déjà face à une pression temporelle accrue, la transformation de leur environnement de travail risque d’accroître encore le malaise hospitalier.

Enfin, la réorganisation complète du secteur hospitalier public devrait principalement profiter aux établissements privés lucratifs. En effet, la disparition de certains centres hospitaliers publics permettra aux cliniques privées de trouver de nouveaux débouchés et de développer leur activité en ouvrant des services de chirurgie ambulatoire ou des services d’obstétrique qui auront disparu des hôpitaux de proximité. Or, ces cliniques ne seront pas dans des déserts médicaux, mais dans le voisinage immédiat des centres hospitaliers, avec qui elles sont incitées à collaborer depuis le plan Juppé (1996).

Ce n’est pas un hasard si leur rentabilité économique ne cesse de croître depuis quelques années : leur croissance repose sur le recul du secteur public. En 2016, leur résultat net était de 3,7 % de leur chiffre d’affaires, le niveau le plus élevé depuis douze ans. Le retrait progressif des établissements publics dans le secteur de la santé profite donc pleinement au secteur privé lucratif. Une aubaine pour un secteur en pleine croissance.

Jean-Paul Domin, maître de conférences en économie de la santé à l’université de Reims-Champagne-Ardenne


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