Travailler à en mourir ? Par P. Le Hyaric

Marche blanche en hommage à Christine Renon, directrice d’école qui s’est suicidée après avoir dénoncé la détérioration des conditions de travail de la profession, le 5 octobre 2019 à Pantin. Geoffroy Van Der Hasselt, AFP

Une immense émotion, un chagrin irrépressible ont envahi les écoles de France et bien au-delà après le suicide de Christine Renon, directrice d’école à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Une femme qui donnait tout aux enfants, jusqu’à ses deniers personnels pour pallier aux manques de l’Etat. On rencontre les mêmes douleurs, les mêmes suicides dans des commissariats, dans des secteurs de la santé, à la poste comme dans les fermes quand, en France, deux paysans en finissent avec la vie chaque jour.

Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on considérer qu’on est « au bout du rouleau » jusqu’à décider de disparaitre. Son travail n’aurait plus de sens. Il n’est plus respecté. Il n’est évalué aujourd’hui qu’au regard de grandes masses aux consonances barbares : PIB, compétitivité, taux de marges, etc…  L’utilité du travailleur dans la société, l’utilité de son métier est remise en cause au profit de critères comptables d’une administration ou des profits de son entreprise. Quel choc que d’entendre dans ce contexte le président de La République oser demander, à Rodez, de censurer le mot « pénibilité » en lançant son Grand monologue sur la contre-réforme des retraites, au motif qu’il « donne le sentiment que le travail serait pénible ? Faut-il être gangréné par le plus pur cynisme pour déclarer pareille sottise ?

Sait-il que des milliers de caissières chaque soir exténuées, sont confrontées à des maladies professionnelles ? Connaît-il la dureté de la vie paysanne, celle du maçon ou de l’ouvrier qui tient le marteau- piqueur, de la condition ouvrière en usine, l’exposition aux matières dangereuses, l’usure des corps des salariés du bâtiment, la fatigue des esprits, le syndrome d’épuisement professionnel des cadres, des créateurs, le profond malaise qui affecte les trois fonctions publiques, les conséquences sociales, familiales, mentales  de la « modération salariale » imposée par les institutions du capital complices du pouvoir ?

Nous ne comprenons que trop bien que ces propos honteux visent à raboter le système de retraites sur le dos des travailleurs les plus exploités. Pour réaliser ce rabot tant espéré et parfaitement chiffré, il faut pour le pouvoir nier le mouvement réel, le travail asservi, le travail en souffrance. Ajoutons le mépris affiché pour de si nombreux petits entrepreneurs soucieux de donner du sens à leur entreprise et fonction reconnaissant sans peine la pénibilité de certains travaux, mais soumis à des contraintes bancaires et à la férocité des grands donneurs d’ordre.

Dans ce monde où est impulsée la concurrence de tous contre tous, on écrase le travailleur par la surexploitation mais aussi par le renversement des significations des mots qui fait autant de mal en ôtant tout sens à l’activité, à la création, au travail. Ainsi martèlent-ils l’idée que le travail serait un coût, alors qu’il est créateur de richesses, de services, voire de bien-être.

Ce sont bien deux mondes qui s’opposent : celui du travail et celui du capital auquel ce gouvernement est entièrement dédié. Deux mondes en contradiction exacerbée par la domination financière et actionnariale.  Or le travail n’a pas besoin du capital pour exister. C’est le travail qui accroît le capital et non l’inverse. Il a tout au contraire besoin de s’en libérer pour s’épanouir des lourdes contraintes qui pèsent sur sa finalité, sur celles et ceux qui l’exercent comme sur l’avenir de la planète.

Les travailleurs doivent prendre en main eux-mêmes ces enjeux, s’organiser collectivement avec leurs syndicats pour revendiquer leur utilité sociale, la hausse de leur rémunération, redonner sens et contenu à leur activité. Redonner au salariat toute sa puissance émancipatrice commande de créer un nouveau rapport de force contre le capital. Une nouvelle civilisation du travail est à inventer et  avec elle une société émancipée ou primerait le développement humain et environnemental.


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