le projet Macron-Delevoye décrypté point par point + le texte

Mercredi, 4 Décembre, 2019

Le rapport du haut commissaire aux retraites a jeté les bases du projet que le gouvernement peaufine derrière le paravent des « concertations ». À l’opposé de l’« égalité » et de l’« universalité » prétendues, le système à points créerait les conditions d’une régression des droits jamais vue.

C’est le credo à la mode chez les soutiens du président de la République et du gouvernement. Comme il n’y a pas de texte de loi déposé à ce jour sur les retraites, manifestants et grévistes n’auraient aucune raison valable de se mobiliser. Le projet de réforme existe pourtant bel et bien : le rapport rendu en juillet par le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, « pour un système universel » à points, en a jeté les bases. C’est ce document qui sert de socle à la pseudo-« concertation » engagée par le gouvernement. Le chantier ouvert par Emmanuel Macron et Édouard Philippe ne part pas d’une feuille blanche, contrairement à ce que leurs hésitations stratégiques peuvent laisser croire. Pour preuve, le refus opposé, en septembre, à la demande du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, de « repartir de zéro » dans les discussions et de prendre en compte les propositions syndicales. Même si tout n’est pas ficelé, les grandes lignes du « système universel », qui « s’appliquera au plus tôt aux personnes nées en 1963 et après », sont désormais bien lisibles. À condition d’en décrypter le sens par-delà les slogans trompeurs. L’Humanité apporte sa contribution en dix-sept points au travail de révélation des dangers de ce projet.

1.  ce que le gouvernement vous raconte

« La comptabilisation en points favorisera l’égalité de traitement de tous »

Désintox C’était le grand argument de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron : demain, dans le système universel à points, un euro cotisé donnera les « mêmes droits pour tous ». Le slogan était censé répondre à l’injustice des règles différentes en vigueur dans les 42 régimes existants, selon le recensement de Jean-Paul Delevoye. Mais, derrière cette apparente « égalité de traitement », il y a la réalité des inégalités de parcours professionnels et de salaires qui, si elles ne sont pas en partie corrigées par des droits plus avantageux accordés aux plus faibles, se reproduisent à la retraite. Le principe de la réforme par points est en effet de bâtir des retraites qui soient le « reflet » des carrières, or celles-ci sont très disparates d’un individu à l’autre. Certes, des mécanismes de solidarité pour compenser les périodes de chômage, maladie ou maternité sont prévus, mais le rapport Delevoye est peu explicite sur ce volet (voir plus loin). Et de toute façon, le contrat de « l’égalité de traitement » est rompu d’emblée : en effet, du fait du projet d’instaurer une « décote » et une « surcote » (bonus-malus) autour d’un « âge pivot », deux personnes ayant une carrière et des cotisations identiques, mais un âge différent d’un an seulement au moment de partir en retraite, n’auront pas les mêmes droits.

2. ce que le gouvernement vous raconte

« Un système plus avantageux pour les petites rémunérations et les carrières heurtées »

Désintox Le rapport Delevoye part d’un postulat de départ qu’il n’entend pas discuter : par nature en quelque sorte, un système qui permet d’accumuler des droits à la retraite (les points) sur tous les salaires serait plus avantageux que le système actuel, qui ne prend en compte qu’une partie des salaires. Dans le système par trimestres cotisés, il faut en effet cumuler 150 heures travaillées pour valider un trimestre ; et en-dessous de ce seuil, les cotisations ne se transforment pas en droits pour la retraite. Mais la pension, elle, s’établit sur la moyenne des 25 meilleures années de salaires, et non sur tous les salaires : en neutralisant les plus faibles, la retraite doit donc s’en trouver théoriquement augmentée. Dans les faits, pour les carrières longues et ascendantes, c’est le cas. C’est moins vrai pour les carrières hachées et courtes, qui ne laissent pas le « choix » des années de salaire à prendre en compte. C’est ce qui fait dire au Conseil d’orientation des retraites (COR) – et à Jean-Paul Delevoye – que cette règle agit « en défaveur des assurés à carrière courte ». Cela rend-il le système Delevoye forcément meilleur ? Non, car, ajoute le COR : « L’idée de prendre en compte l’intégralité des salaires de la carrière (…) serait globalement moins favorable aux assurés ». En clair, les inégalités seraient réduites… par le nivellement des pensions vers le bas ! Mais, cela, Jean-Paul Delevoye se garde bien de le dire.

3. ce que le gouvernement vous raconte

« La valeur du point ne pourra pas baisser »

Désintox Le haut-commissaire aux retraites le répète partout, tout le temps : il n’y a aucune inquiétude à avoir pour le niveau de sa retraite, car la valeur du point ne baissera pas. Un bel engagement… que les concepteurs du système sont en réalité incapables de tenir. Primo, parce que la valeur du point sera amenée à être revalorisée chaque année, étant l’un des « leviers », avec l’âge de départ, à la disposition du conseil d’administration de la future caisse de retraite universelle pour gérer le régime (voir plus loin). Si la revalorisation « par défaut tiendra compte de l’évolution du revenu moyen », une autre règle pourra s’y substituer au regard de « la situation du système », et notamment des objectifs budgétaires fixés par le Parlement. Mais, au-delà de ce flou entretenu, Jean-Paul Delevoye joue sur la confusion qui entoure la « valeur du point » : l’indexation promise sur les salaires concerne en premier lieu la valeur accumulée des cotisations transformées en un « capital » de points durant toute la carrière. Mais si la pension s’appuie sur ce stock de points, elle dépend aussi d’une autre valeur : le « rendement » attribué à chaque point. Par exemple, au démarrage, il est proposé que le point coûte 10 euros à l’achat et rapporte 0,55 euro de pension annuelle, soit 5,5 % de son« prix » d’achat. Or ce rendement ne sera réellement arrêté que l’année précédant le départ en retraite. Si la valeur d’achat des points monte, mais pas la pension qui lui est associée, le rendement chute… et les retraites avec. C’est ce qui pourrait arriver avec ce système en cas de crise, comme l’a explicitement admis Jean-Paul Delevoye.

4. ce que le gouvernement vous raconte

« 100 % des actifs seront couverts »

Désintox Tout le monde cotisera au nouveau régime par répartition, universel et obligatoire : qui dit mieux en matière de solidarité ? Ça, c’est l’affichage. Mais, dans les faits, c’est un peu différent : certes, tous les salariés cotiseront… mais sur la part de leurs revenus n’excédant pas la limite de trois fois le« plafond » de la Sécurité sociale. Qu’est-ce que cela signifie ? Le « plafond » de la Sécurité sociale est une valeur de référence, fixée chaque année et qui sert à calculer les prestations sociales. En 2019, il est de 40 524 euros annuels (3 377 euros par mois). Pour chaque salarié, les cotisations à la retraite seront donc payées sur une base maximum d’environ 10 000 euros de salaire par mois (120 000 euros par an). Les pensions étant proportionnelles aux cotisations versées, ceux qui gagnent des revenus au-delà de cette limite et veulent améliorer leur retraite seront donc incités à aller placer leur argent dans des fonds d’épargne privés, ou fonds de pension… Ça tombe bien, la loi Pacte, votée en avril, a prévu un régime fiscal très allégé pour ces placements. Jusqu’alors, les très hauts salaires cotisaient dans le système solidaire jusqu’à huit fois le plafond de la Sécu (324 192 euros par an) via la retraite complémentaire Agirc-Arrco, ce qui laissait peu de place au marché des retraites par capitalisation pour se développer.

5. ce que le gouvernement vous raconte

« Des points attribués en cas de chômage, maternité, invalidité »

Désintox Dans le système actuel, les salariés peuvent, sous certaines conditions, valider des trimestres qui comptent pour leur future retraite en cas de chômage, de maternité, d’invalidité ou de maladie. Dans le futur système universel, ces politiques de solidarité seraient « harmonisées » et transformées en points de retraite supplémentaires. Le rapport Delevoye y voit « une avancée par rapport au système actuel », dans la mesure où le gain de trimestres est sans effet pour les salariés ayant travaillé suffisamment d’années pour prétendre au taux plein. Ce raisonnement ne tient pas compte de l’allongement des durées de cotisation à la retraite introduit par les réformes successives : avec bientôt 42, et même 43 années exigées pour le taux plein, impossible d’obtenir le compte si l’on ne bénéficie pas de trimestres en cas de maladie, de chômage ou de maternité. Surtout, le rapport Delevoye promet l’acquisition de points « sur la base » des revenus du travail, mais ne les chiffre pas : impossible de savoir si le niveau de la solidarité, essentielle dans la réduction des inégalités, sera équivalent ou non à l’existant. Enfin, il prévoit de financer ces dispositifs « par l’impôt » et non par la cotisation, ce qui les rend entièrement dépendants des ajustements budgétaires des gouvernements.

6. ce que le gouvernement vous raconte

« Les droits à la retraite constitués dans les anciens régimes seront garantis »

Désintox Le rapport Delevoye a beau assurer que « les droits à la retraite constitués (…) avant le 1er  janvier 2025 seront garantis à 100 % », la plus grande vigilance est de mise. Car il est aussi précisé que, « par souci de lisibilité, ces droits seront transformés en points du nouveau système ». Les droits acquis seront donc bien conservés… mais des pertes ne sont pas à exclure avec l’adaptation des règles d’un système à l’autre. L’exemple qui figure dans le rapport n’est pas rassurant : une salariée née en 1980 se verrait appliquer, au moment du changement de système, une « proratisation » de ses droits sur la base des anciennes règles. Ainsi, pour le calcul de sa pension, on prendrait en compte ses 13 meilleures années de salaire perçues avant la réforme… Sauf que, dans l’ancien système, ces années-là n’auraient peut-être pas toutes été retenues en bout de carrière parmi les 25 meilleures années de salaire. Les années les mieux rémunérées sont en effet peut-être encore à venir. Autre point délicat : la valeur des points issus de la conversion des droits acquis dans les régimes antérieurs sera-t-elle soumise au flou des règles de revalorisation du nouveau système ?

7. ce que le gouvernement vous raconte

« Le maintien d’avantages spécifiques » à certaines professions

Désintox On en a peu parlé : certains « avantages spécifiques » seraient maintenus dans le nouveau système pour les professions qui bénéficiaient jusqu’alors d’un taux de cotisation réduit. Il s’agit principalement des artistes, des marins et des journalistes. En effet, si on applique à ces professions qui cotisent moins que les autres le principe d’ « un euro cotisé donne les mêmes droits à tous », cela se traduirait par une baisse de leurs pensions. Le rapport Delevoye estime donc « légitime de financer par le budget de l’État la prise en charge » des points manquants. Sur le principe, cela semble solide… mais attention, danger : qui dit prise en charge par l’État dit remise en cause possible de ces droits à chaque loi budgétaire votée par le Parlement !

8. ce que le gouvernement vous raconte

« Un âge légal de départ maintenu à 62 ans »

Désintox C’est l’une des grandes promesses du candidat Macron de 2017 : l’âge légal de la retraite « restera fixé à 62 ans »… sur le papier. Le rapport Delevoye reprend la proposition sans même faire semblant d’y croire : s’il sera toujours formellement possible de partir à 62 ans, « le système universel incitera au prolongement de l’activité », affirme le projet. Pour cela, il est proposé de fixer un « âge pivot », sur le modèle de ce qui existe pour les retraites complémentaires à points Agirc-Arrco. Dans un premier temps, cet « âge pivot » serait fixé à 64 ans : un malus de 5 % par an (une « décote ») serait appliqué à ceux qui partent avant cet âge, un bonus équivalent (une « surcote ») récompenserait ceux qui partent plus tard. En frappant les futurs retraités au portefeuille, beaucoup n’auront d’autre choix que d’attendre les 64 ans pour partir, même en cas de chômage, fréquent chez les seniors… La tendance est, il est vrai, déjà présente dans le système actuel, depuis l’introduction des réformes qui allongent la durée de cotisation. Mais il est encore possible, pour ceux qui ont validé tous leurs trimestres, de partir à 62 ans à taux plein. Demain, ce sera impossible dans tous les cas avant 64 ans. Et cet « âge pivot » progressera avec l’espérance de vie : selon les prévisions du rapport, il serait repoussé à 66,25 ans pour la génération 1990 !

9. ce que le gouvernement vous raconte

« Une transition entre l’emploi et la retraite facilitée »

Désintox C’est une idée chère à la CFDT, revue et corrigée par le gouvernement. Car, en fait de passage en douceur entre le travail et la retraite sur le modèle de la cessation progressive d’activité, c’est le travail sans fin qui se profile à l’horizon, sous la forme de la généralisation du cumul emploi-retraite. Le rapport du haut-commissaire aux retraites préconise ainsi « la possibilité de reprendre une activité sans plafond ni limite après sa retraite au taux plein et d’acquérir de nouveaux droits » pour compléter cette même retraite, ce qui était jusqu’alors impossible. La perspective se dessine alors plus nettement : les retraités continueront de travailler demain pour compléter leurs droits, devenus insuffisants pour vivre de leur pension au terme de leur « première » carrière.

10. ce que le gouvernement vous raconte

« Un minimum de retraite fixé à 85 % du Smic »

Désintox Cette avancée sociale… est inscrite dans la loi depuis plus de dix ans ! La loi sur les retraites de 2003 avait en effet fixé l’objectif pour 2008 d’un minimum de retraite à 85 % du Smic net pour une carrière complète… En vain. Attention à la méprise : il ne s’agit pas du minimum vieillesse (qui est un minimum social versé à toute personne âgée sans ressources, et sans condition de périodes cotisées), mais du « minimum contributif », c’est-à-dire de la retraite plancher acquise au bout d’une vie de cotisation. Ces 85 % du Smic – soit environ 1 000 euros actuels – seraient donc conditionnés à la réalisation d’une carrière complète : 43 années d’assurance pour la génération 1973, durée qui pourra se prolonger dans le futur – le rapport pose l’hypothèse de 44,25 ans pour la génération 1990… Versé à l’« âge pivot » (64 ans en 2025, et jusqu’à 66,25 ans pour la génération 1990 selon le rapport), ce minimum sera « proratisé » en cas de carrière incomplète : les 1 000 euros sont un montant maximal théorique. Enfin, ce progrès pour les plus modestes a un revers : il est en quelque sorte la « contrepartie » que lâche le gouvernement à l’écrasement programmé de l’ensemble des pensions pour les contenir dans les 14 % du PIB, en dépit de l’augmentation du nombre de retraités. Cela signifie que demain, le minimum serait certes (un peu) relevé, mais beaucoup plus de retraités seraient réduits à ce niveau de pension. Et ça, c’est une régression.

11. ce que le gouvernement vous raconte

« Des départs anticipés maintenus » pour les carrières longues

Désintox Le projet de réforme Delevoye promet de maintenir le dispositif pour « carrières longues », qui permet à ceux qui ont commencé de cotiser avant l’âge de 20 ans de partir à la retraite dès 60 ans, au lieu de 62 ans dans le droit commun. Pour eux, il n’y aura pas de décote en cas de départ avant l’âge pivot fixé à 64 ans, et ils auront même droit à une surcote s’ils prolongent leur activité après 60 ans. Un progrès ? Pas vraiment… Car un loup se cache dans le tableau : il est en effet proposé que, même dans un système à points qui abolit la référence aux annuités de cotisation, ce droit soit conditionné, comme le minimum retraite (voir ci-dessus), à une durée d’assurance égale à une carrière complète, soit 43 années pour la génération 1973, durée qui « pourra être prolongée pour les générations les pus jeunes ». Le rapport pose ainsi l’hypothèse d’une durée de 44,25 ans pour la génération 1990. Dans ce cas, commencer de travailler avant 20 ans ne suffira pas : il faudra dans les faits avoir débuté à 15 ans et demi pour prétendre partir à 60 ans… Un droit virtuel, en somme.

12. ce que le gouvernement vous raconte

Pénibilité : des « règles communes » pour tous

Désintox Le projet Delevoye propose en quelque sorte le « marché » suivant aux salariés : l’extinction des départs anticipés dans les « régimes spéciaux » de retraite et la fonction publique contre l’accès de tous les salariés exposés à des tâches pénibles, dans le public comme dans le privé, au compte professionnel de prévention (C2P). Celui-ci accorde des points de pénibilité (à ne pas confondre avec les points de retraite) en fonction de critères (travail de nuit, répétitif, dans le bruit, le froid ou la chaleur, etc.). Ces points de C2P peuvent donner droit, dans certains cas, à une retraite anticipée de deux ans maximum par rapport à l’âge légal. Dans ce troc, les salariés des « régimes spéciaux » et les fonctionnaires dits de « catégorie active » ont beaucoup à perdre : leur pénibilité était reconnue par des dispositions spécifiques (pour les cheminots, agents RATP, fossoyeurs, égoutiers, éboueurs, infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, etc.), même si celles-ci ont été largement affaiblies par le report de l’âge de départ (de 50 à 52 ans et de 55 à 57 ans, en fonction des métiers) et, surtout, l’allongement de la durée de cotisation alignée sur le droit commun (jusqu’à 43 ans pour le taux plein pour la génération 1973). Dans le régime universel, leur âge de départ sera aussi aligné sur la règle commune : dès 62 ans en théorie, plutôt à 64 ans en pratique (âge pivot), et « c’est dans le cadre du C2P » que « la pénibilité sera prise en charge ». Une maigre compensation.

ce que le gouvernement vous raconte

« Une majoration de 5 % par enfant »

Désintox Une « avancée majeure pour les femmes », proclame le rapport Delevoye à propos de la réforme des droits familiaux proposée à l’occasion du passage à la retraite par points. La majoration de 5 % par enfant accordée à l’un des parents dès la première naissance – contre une majoration unique de 10 % à partir de trois enfants dans le régime de base actuel, mais attribuée à chaque parent –, une avancée, vraiment ? Pour qu’on y croie, les services du haut-commissaire passent rapidement sur le vrai recul majeur qui se cache dans le dispositif : la disparition du gain de trimestres comptant pour la retraite. En plus des majorations de pension déjà existantes, le système par annuités prévoit l’octroi de huit trimestres d’assurance pour chaque enfant (dont quatre trimestres obligatoirement accordés à la mère) dans le régime général des salariés du privé, et deux trimestres à la mère dans la fonction publique (avec possibilité d’interruption d’activité comptabilisée dans la durée d’assurance). Dans un système à points, ces droits sont supprimés. Et il n’est pas prévu, en l’état du rapport, de les compenser par l’attribution de points supplémentaires. De toute façon, pour le haut-commissaire, ces trimestres n’étaient « pas toujours utiles », les parents pouvant acquérir toutes leurs annuités par le travail… Les femmes aux « carrières courtes et hachées », censées bénéficier de la réforme, apprécieront. La nouvelle majoration de pension de 5 % dès le premier enfant ne compensera pas toujours cette perte. Avec trois enfants, les familles perdront même sur les deux tableaux : majoration de pension (15 % à répartir entre les parents, contre 10 % à chaque parent) et de trimestres (jusqu’à six annuités pour la mère).

13. ce que le gouvernement vous raconte

« Des pensions de réversion harmonisées »

Désintox Avant la présentation du rapport, des documents de travail avaient provoqué l’émoi, en laissant entendre que les pensions de réversion des veuves et veufs pourraient être supprimées. L’enjeu est d’importance : à elles seules, elles diminuent l’écart de pensions entre les femmes et les hommes de 15 points (25 % de moins pour les femmes après réversion, contre 40 % sans la réversion). Le rapport du haut-commissaire confirme que le principe sera maintenu, mais selon « une logique différente » : la conjointe ou le conjoint survivant « conservera 70 % » du total des pensions du couple, sans condition préalable de ressources. Aujourd’hui, la réversion est soumise à des plafonds de revenus, la veuve ou le veuf qui y a droit conservant 50 à 60 % de la pension du décédé, en plus de sa propre pension. Les effets de ce changement sont complexes et ne feront pas que des gagnants. Il favoriserait les couples aux pensions les plus inégales entre conjoints, mais dès que l’écart serait de moins de 50 %, « la pension de réversion baisserait », a calculé Christiane Marty, de la Fondation Copernic. Et « la baisse serait d’autant plus importante que les deux conjoints ont des pensions proches ». Exemple pour un couple avec deux pensions de 1 000 euros (dont 30 % de retraite complémentaire) : le survivant perdrait 158 euros par mois de réversion (400 euros de réversion dans le futur système, contre 558 dans l’actuel).

14. ce que le gouvernement vous raconte

« un pilotage garantissant le niveau de vie des retraités  »

Désintox Avec le futur système universel des retraites, fini les réformes « paramétriques » engagées périodiquement par les gouvernements pour corriger les déséquilibres financiers du système. Car qui dit réforme dit débat public, voire mouvement social et risques politiques, pour des mesures dont l’effet se fait sentir souvent des années plus tard… Le régime universel a été pensé pour éliminer ces désagréments : « Afin (…) d’assurer un meilleur pilotage de nos retraites, c’est un système qui s’adapte aux évolutions du monde du travail et de la société et qui sait faire face aux incertitudes économiques ou démographiques qu’il faut mettre en place », affirme le rapport Delevoye. Le régime à points permet cela. Il donne les leviers nécessaires – valeur du point, « âge pivot », règle de revalorisation des pensions – à un petit cénacle pour piloter le système en fonction d’un impératif principal : le maintien de « la trajectoire des finances publiques » édictée par les lois de finances. Principale variable d’ajustement : le niveau des pensions, dont il est déjà décidé que le poids est « conçu pour respecter l’enveloppe projetée » par le Conseil d’orientation des retraites (COR), soit 14 % du PIB maximum. Le conseil d’administration devra ainsi « délibérer chaque année sur les leviers à sa disposition » pour « tenir compte des éventuels écarts » avec les prévisions budgétaires . Ce pilotage s’effectuera « dans le respect d’une règle d’or » interdisant les déficits sur des périodes de cinq ans. Dans ce cadre, « le conseil d’administration aura la possibilité de proposer une autre règle de revalorisation » du point que l’évolution des salaires. Ainsi, les retraites seront en réforme permanente, mais cela se fera discrètement, via un simple réglage de la valeur du point.

15. ce que le gouvernement vous raconte

 « une clarification financière »

Désintox Avec la fiscalisation croissante du système de protection sociale, qui va de pair avec le recul de la part des cotisations sociales au nom de la « baisse du coût du travail », les circuits de financement des retraites sont aujourd’hui enchevêtrés entre de multiples taxes. Dans le régime projeté par le rapport Delevoye, ces circuits sont simplifiés à l’extrême : la part dite contributive du système – qui correspond aux prestations proportionnelles à la contribution de l’assuré – serait financée par les cotisations. Quant au volet des dépenses de solidarité – à l’instar des points attribués en cas d’interruption d’activité ou des minima de retraite –, il serait « exclusivement financé par des mesures fiscales », via la création d’un Fonds de solidarité vieillesse (FSV) « universel ». En clair : le financement de ce qui relève de la redistribution serait transféré sur les contribuables, les entreprises ne prenant à leur compte, via la part des salaires affectée aux cotisations, que la part dite contributive. Au bout de cette logique, il y a la fragilisation du cœur redistributif du système des retraites, à la merci des arbitrages budgétaires des gouvernements.

16. ce que le gouvernement vous raconte

« une redistribution vers les retraités les plus modestes »

Désintox Le rapport Delevoye l’assure : le projet de réforme opérerait une vaste redistribution des richesses. « 40 % des assurés ayant des retraites faibles » bénéficieraient « d’une hausse importante de leur retraite », souligne le document, qui s’appuie sur les « simulations réalisées » à partir des pistes exposées. Cette affirmation appelle deux remarques. Primo, le haut-commissaire n’a fourni aucune des données de base et des formules utilisées pour ses calculs, en dépit des demandes en ce sens du collectif citoyen Nos retraites (reformedesretraites.fr). Il faudrait donc croire ses hypothèses sur parole. Secundo, le rapporteur s’est même cru autorisé, dans la comparaison des systèmes sur des « cas types » de carrières, à tordre les paramètres actuels des retraites avec pour effet de les désavantager face au projet de réforme. Les durées de cotisation appliquées aux générations les plus jeunes (1980 et 1990) pour une retraite à taux plein ont ainsi été délibérément augmentées au-delà du seuil légal en vigueur, à 43,5 années, voire 44,25 ans « pour tenir compte des gains d’espérance de vie », ce qui, en soi, exigerait une réforme des retraites ! Un croisement des sources entre le rapport Delevoye pour le futur régime universel, d’une part, et le Conseil d’orientation des retraites pour les effets du système actuel, d’autre part, tel que l’a effectué le collectif Nos retraites (voir notre infographie page III), donne des résultats bien différents. Pour une carrière au Smic par exemple, la chute de pension avoisinerait les 20 %. Très loin de la redistribution annoncée

Décryptage réalisé par Sébastien Crépel

 


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