« La suppression de Canopé est la concrétisation de la méfiance et de l’arbitraire » Lettre ouverte au ministre de l’Education nationale

Par Mireille Cifali, Catherine Gueguen, Pierre Merle, Jean-Louis Le Run, Stéphane Sanchez

19 février 2020

Un livre qui devait être édité en ce début d’année par Canopé ne paraitra pas, du fait de la récente décision de supprimer les activités d’édition du réseau. Ses auteurs nous ont adressé cette lettre ouverte au ministre.

 

Monsieur le ministre de l’Éducation nationale,

Nous, co-auteurs d’un livre qui devait être publié par le réseau Canopé en janvier 2020, avons appris, début février, que non seulement ce livre ne verra pas le jour mais, en outre, qu’aucun autre livre ne sera plus jamais publié par les éditions Canopé. Cet ouvrage s’insérait dans une des collections d’ouvrages des éditions Canopé à destination des enseignants afin d’alimenter leurs réflexions sur leurs pratiques.

L’ironie de cette situation – si tant est que l’ironie est le terme qui convient quand il s’agit de plusieurs dizaines de salariés au chômage ; du démantèlement d’un savoir-faire ; de milliers d’heures d’écriture jetées aux oubliettes – est que cette violence institutionnelle s’exerce à l’encontre d’un ouvrage – Prendre soin de soi et des autres – dont l’objet est justement l’analyse de la violence dans l’institution scolaire et des moyens d’y remédier !

Bien sûr, vous n’êtes pas, monsieur le ministre, directement responsable de cette violence et de cette censure. Vous n’avez pas lu ce livre. Vous n’avez donc pas pu vouloir empêcher sciemment que les idées qu’il contient ne se diffusent. Il est d’ailleurs presque dommage que ce ne soit pas pour ses idées que ce livre soit avorté. La réalité est pire : les livres publiés par Canopé ne sont rien d’autre qu’une ligne de plus ou de moins dans un bilan comptable. Vous déploriez que les professeurs désabusés jettent des livres en signe de mécontentement. Que dire de la suppression d’un éditeur spécialisé dans les questions éducatives ?

Ce dont nous vous tenons responsable, Monsieur le ministre est la suppression d’une possibilité de penser, et la réduction de la pensée à une valeur comptable. Alors même que par ailleurs vous avez intitulé votre loi « l’école de la confiance » et que vous prônez le dialogue, la suppression de Canopé est la concrétisation de la méfiance et de l’arbitraire. La pensée et l’éducation ne sont pas possibles si elles ne sont portées par des valeurs d’ouverture et d’échanges. Le livre est une expression essentielle de notre humanité. En supprimant les éditions Canopé, vous portez atteinte à celle-ci.

Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre, à nos sentiments dévoués à l’égard de l’Éducation nationale.

Le 12 février 2020

Mireille Cifali
Historienne et psychanalyste, professeure d’université honoraire de sciences de l’éducation à l’université de Genève, auteure de nombreuses publications en sciences de l’éducation

Catherine Gueguen
Pédiatre formée en haptonomie et communication non violente, autrice d’essais sur l’éducation et les neurosciences affectives et sociales.

Pierre Merle
Sociologue, professeur d’université à l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education, auteur de nombreuses publications en sociologie de l’éducation.

Jean-Louis Le Run
Pédopsychiatre, ancien chef de pôle Paris Centre Est Enfants, rédacteur en chef d’Enfances & Psy, auteur de nombreux essais.

Stéphane Sanchez
Docteur en philosophie et en psychologie, psychopédagogue (en CMPP et en hôpital de jour), auteur d’un essai sur les enfants en échec scolaire.

Photo de Jean-Charles Léon


À lire également sur notre site :
Nous refusons le démantèlement de Canopé ! Communiqué du CRAP-Cahiers pédagogiques d 20 décembre 2019


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