PSG-Basaksehir. Footballeurs, le tournant du match contre le racisme

Le droit de retrait exercé mardi soir par les stars de Paris et d’Istanbul en Ligue des champions démontre que les joueurs ne veulent plus subir de discriminations. Les instances sportives restent sur la défensive.

Le foot européen tient son moment de bascule dans la lutte contre le racisme. C’est du moins l’espoir qu’ont exprimé une foultitude de voix, sportives, non sportives, officielles comme anonymes, depuis mardi soir et la décision des joueurs du match de Ligue des champions entre le Paris SG et le Basaksehir Istanbul, de quitter le terrain pour mettre vraiment et, une fois n’est pas coutume, les discriminations hors jeu. À vrai dire, on ne pensait plus un tel geste collectif possible, tant le ballon rond s’est acoquiné à travers les époques avec ce fléau des tribunes et des terrains, se cantonnant au mieux à apporter un soutien mou aux quelques joueurs victimes de chants ou de propos orduriers ayant eu le courage de sortir du jeu en signe de protestation. Mais c’est dans ce Parc des Princes qui a connu certains des pires épisodes de cette haine trop ordinaire que le changement est survenu.

En peu de mots, le flagrant délit de racisme était qualifié

Le quatrième arbitre roumain par qui le scandale est arrivé pourra toujours arguer que « noir » se dit « negru » dans la langue des Carpates. Cette seule façon qu’il a trouvée de désigner à son collègue arbitre central un adjoint à l’entraîneur de l’équipe stambouliote un peu trop remuant à son goût a provoqué la révulsion de tous les joueurs. «  C’est le Noir ici, va voir et identifie-le », a-t-il formulé. Parce qu’il était remplaçant, donc sur le banc de l’équipe turque, Demba Ba a tout de suite saisi la portée de ce raccourci rance : « Vous ne dites jamais “ce Blanc”, vous dites “celui-là”. Alors, quand vous parlez d’un homme noir, pourquoi dites-vous “ce Noir” ? » En peu de mots, le flagrant délit de racisme était qualifié. Dix minutes plus tard, les vingt-deux acteurs du spectacle sportif imposaient le baisser de rideau : le show ne devait plus continuer.

Il a repris. Mercredi soir, les deux équipes se sont retrouvées pour disputer leur rencontre. Contrairement aux États-Unis avec le mouvement Black Lives Matter, la lutte contre le racisme n’interrompt pas encore la compétition européenne la plus richement dotée. Mais, date est prise pour un changement profond. Les conditions semblent en tout cas réunies du côté des protagonistes de ce sport. « Il y a vingt ans, quand Lilian Thuram a commencé à parler du racisme dans le foot, on entendait dire qu’il exagérait. Cette fois, en pleine Ligue des champions, aux enjeux sportifs et financiers considérables, des joueurs ont estimé que la situation n’était plus tolérable. On est agréablement surpris parce qu’ils ont exercé collectivement leur pouvoir de dénoncer les dérives du sport. Ils ont mo ntré qu’ils pouvaient être moteurs du changement », relève Bruno Cremonesi, secrétaire national du Snep-FSU, syndicat de l’éducation physique et sportive. Pour le professeur d’EPS, la dimension du geste des Demba Ba, Kylian Mbappé ou Presnel Kimpembe est plus grande car elle traduit aussi les préoccupations et aspirations des gamins des quartiers populaires franciliens, dont ils sont eux-mêmes issus, eux aussi trop souvent définis par leurs origines présumées ou leur couleur de peau.

Les joueurs ont-ils pris le pouvoir ? En un sens oui, mais pas entièrement, répond Stanislas Frenkiel. Pour l’historien du sport à l’université d’Artois et animateur du Temps du sport sur YouTube, « les rapports de forces ont changé. La plupart des sportifs qui ont pris la parole ces derniers temps pour remercier les personnels soignants durant le premier confinement, ou pour condamner l’assassinat de Samuel Paty et le tabassage du producteur de musique Michel Zecler, sont en position de force. Position de force sportive car ils sont champions avec leurs sélections ou leurs clubs. Économiqu e puisqu’ils peuvent dicter leurs conditions à leur employeur, les présidents de club. Médiatique car des millions de personnes les suivent sur les réseaux sociaux et ils peuvent ainsi s’affranchir des médias. Ce qui s’est passé mardi est l’expression de leur ras-le-bol contre un état de fait. ils vivent dans des clubs largement mondialisés, métissés. Mais ils voient aussi que ceux qui les dirigen t sont tous des hommes blancs et que rien ne change ».

Que la faute soit l’œuvre d’un arbitre dépositaire de l’autorité donne plus de sens au droit de retrait exercé par les stars du PSG et du club du président turc Erdogan. Un même incident vécu lors d’une rencontre anonyme de deuxième division n’aurait sans doute pas suscité la même réaction des joueurs, tant le métier de footballeur s’est précarisé et la carrière peut s’arrêter à tout moment.

« On a juste oublié que les sportifs sont aussi des citoyens »

« Les joueurs qui ont quitté la pelouse ne sont pas des héros. On a juste oublié que les sportifs sont aussi des citoyens. Maintenant, il faut qu’ils soient entendus par les instances », prévient Marie-George Buffet, ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports et député de Seine-Saint-Denis. Les joueurs du PSG et du Başakşehir ont, certes, remis en selle l’UEFA en portant hier soir son slogan « No to racism » (Non au racisme) sur leurs tenues d’échauffement. Mais la fédération européenne de foot comme l’ensemble des autorités sportives françaises étaient sur la défensive. Ils ont bien pris des initiatives ces dernières années : des campagnes de communication et de sensibilisation relancées après chaque incident, une fiche de signalement des actes racistes et antisémites mise en ligne par la Ligue de foot professionnelle et la Licra, après un travail de fond mené par Carine Bloch dans les années 2000-2010… Derrière l’affichage, « la lutte contre le racisme n’est malheureusement pas une priorité dans le mouvement sportif français. Paris 2024 et le Comité olympique et sportif français ont bien condamné les tags racistes sur les affiches de l’Insep, cet été. Puis, plus rien. Le sport n’a pas de valeur en soi. C’est celles qu’on y met qui lui confèrent sa valeur. Encore faut-il vouloir y mettre du contenu », demande Emmanuelle Bonnet-Oulaldj, présidente de la FSGT. « La réponse sera aussi d’ordre juridique », souligne Julian Jappert, directeur du groupe de réflexion Sport et citoyenneté : « Ce n’est pas aux footballeurs de porter seuls la charge de la preuve. Pour le moment, le racisme, les discriminations dans le sport font l’objet de très peu de plaintes. Les droits communs français et européen sont pourtant très complets. Mais si l’on veut que les citoyens, joueurs, clubs et fédérations puissent s’en saisir, il faut que les fédérations adaptent toute la palette de sanctions poss ibles dans leurs règles. Après la sensibilisation des instances sportives, c’est l’étape deux qui nous manque. La réaction collective des joueurs de mardi soir va nous y aider. »

Sebastian coltescu, une carrière d’arbitre qui s’achève

« C’est la page la plus honteuse de l’histoire de l’arbitrage roumain », a déclaré Ion Craciunescu, 70 ans, ancien grand sifflet roumain. Sebastian Coltescu, au cœur de l’énorme scandale suite à ses propos racistes durant la rencontre Paris SG-Basaksehir, a eu de fait un parcours mouvementé. L’ingénieur de formation a été, après un début de carrière prometteur, relégué en 2e division en 2007 pour de graves erreurs commises lors d’un match du championnat roumain. En 2015, il écope encore d’une suspension après son retour en 1re division, pour plusieurs bavures, dont le refus de trois buts au Steaua Bucarest. Cette fois-ci, il semble bien que sa carrière s’arrête définitivement.


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