Dans son dernier rapport, rendu public ce mercredi, la Fondation Abbé-Pierre dresse un bilan critique de la politique de l’habitat menée par Emmanuel Macron. Cinq années caractérisées par le désengagement budgétaire.
C’est le plus gros poste de dépenses obligatoires, et son augmentation pèse lourdement dans le niveau de vie des Français : les 10 % les plus pauvres y consacrent même 40 % de leur budget. Le logement est pourtant le grand absent de la campagne présidentielle. Il l’était déjà en 2017. À l’époque, Emmanuel Macron, alors candidat, s’était contenté de promettre de « libérer » les contraintes pesant sur la construction et de « protéger » les personnes à la rue. Ce désintérêt a perduré tout au long du quinquennat. « Le logement n’a jamais été une priorité de l’exécutif au cours de ce mandat », souligne le 27e rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre (FAP), rendu public ce mercredi 2 février.
À défaut d’ambition, c’est la logique d’économies budgétaires qui s’est imposée. En cinq ans, la part des aides au logement dans le PIB est passée de 1,82 % à 1,63 %, une baisse record. À force de coupes, le secteur est aujourd’hui incapable de répondre aux besoins des 4 millions de mal-logés. Mais, en vingt ans, ses contributions aux recettes de l’État ont néanmoins doublé, pour atteindre 79 milliards d’euros. Malgré la crise sanitaire, qui a rappelé l’importance de disposer d’un logement décent ainsi que la fragilité des locataires les plus pauvres, il n’y a pas eu de changement de cap. Le logement n’a bénéficié que des miettes du plan de relance. Et en dépit de la hausse continue des prix, l’encadrement du marché, contraire à la vision libérale du président, est, lui, resté au niveau minimal.
1. Des attaques multiples contre les APL
C’est une des mesures les plus emblématiques du quinquennat. À l’été 2017, sans concertation, ni préavis, le gouvernement annonce une baisse de 5 euros des aides personnalisées au logement (APL). Cette mesure contre les plus fragiles – le plafond pour bénéficier des APL est inférieur au Smic – va contribuer à forger l’image d’Emmanuel Macron en « président des riches ». Elle est l’arbre qui cache la forêt. « Le gel, puis le quasi-gel des APL entre 2017 et 2019, a davantage diminué les APL que la baisse de 5 euros, note la FAP. Ce coup de rabot a davantage touché les ménages pauvres, puisque leurs APL sont plus élevées. »
L’encadrement du marché, contraire à la vision libérale du président, est resté au niveau minimal.
En 2021, nouvelle attaque. Cette fois, les APL sont « contemporéanisées », c’est-à-dire calculées sur les revenus des mois écoulés, au lieu de ceux perçus deux ans plus tôt. La réforme permet à l’État de faire 1,1 milliard d’euros d’économies. Et fait plus de perdants que de gagnants, générant une baisse sans précédent du nombre d’allocataires (5,7 millions en 2021, contre 6,5 millions en 2020). Au total, l’ensemble des mesures ont, selon la FAP, coûté près de 15 milliards d’euros aux plus modestes.
2. Haro sur les HLM
L’existence d’un secteur subventionné par l’État pour loger les catégories modestes et pauvres colle mal avec l’idéal macroniste de résorption des problèmes par la seule vertu du marché. Le logement social a donc fait l’objet d’une attaque en règle tout au long du quinquennat. L’aide à la pierre, qui avait déjà décru sous les précédents mandats, a été totalement supprimée en 2018, laissant aux bailleurs sociaux et à Action Logement (ex-1 % logement) la mission d’abonder seuls ce fond.
Mais le gouvernement a été au-delà du désengagement. Il a ponctionné le secteur via l’augmentation de la TVA et la création, en 2018, de la réduction de loyers de solidarité (RLS) – un dispositif reportant sur les bailleurs la diminution des APL des locataires du seul parc social –, dont le montant s’élève désormais à 1,3 milliard d’euros par an. « En cinq ans, l’État a pris aux HLM plus de 6 milliards d’euros, les privant ainsi de la capacité de produire 200 000 logements sociaux », résume Christophe Robert, délégué général de la FAP. Résultat, la production est passée de 124 000 logements avant la présidence d’Emmanuel Macron à un peu moins de 100 000 en 2021. Même la promesse gouvernementale de réaliser chaque année 40 000 Plai (prêts locatifs aidés d’intégration), la catégorie de HLM aux loyers les plus bas, n’a jamais été atteinte. Les bailleurs sociaux ont aussi été poussés à compenser la baisse des aides de l’État par la vente de logements, au risque de réduire encore un peu plus l’offre, déjà très insuffisante au regard des 2,2 millions de personnes en attente d’un HLM.
À long terme, ces réformes d’apparence technique sont une menace sur la nature même du logement social. La FAP alerte sur le risque que certains organismes, confrontés à un fort endettement et privés de l’aide de l’État, « cherchent à attirer d’avantage de capitaux privés, au risque d’une marchandisation ». Parallèlement, le gouvernement a promu le logement intermédiaire, dont les loyers ne sont accessibles qu’ « à des classes moyennes supérieures ». Seul geste en faveur des HLM et de la mixité sociale, le gouvernement a défendu la prolongation de la loi SRU, qui impose aux communes 25 % de logements sociaux.
3. Marché privé, une régulation à reculons
Le président n’a jamais caché son scepticisme face à la régulation du marché. Pour maîtriser les prix, il a préféré miser sur la hausse de l’offre. « Force est de constater que le “choc de l’offre” annoncé par le candidat Macron, qui devait libérer la construction et faire baisser les prix, n’a pas eu lieu. Sous l’effet des coupes budgétaires, le bâtiment a connu des années de baisse, accentuées avec la crise du Covid. Au final, la production s’est affaissée, la pénurie dans les zones tendues a perduré, et les prix de l’immobilier ont continué à grimper », analyse Christophe Robert. En cinq ans, les prix dans l’ancien ont augmenté de 23 %. Les loyers, eux, ont connu en dix ans une hausse de 50 %, quand les salaires restaient plafonnés.
Dans les grandes métropoles surtout, ces tarifs prohibitifs rendent le logement inaccessible pour toute une partie de la population. Face à ces hausses, le gouvernement a opté pour « une politique très timide d’encadrement des loyers », estime le délégué général de la FAP. La mesure a été autorisée par la loi Elan et devrait être prolongée dans la loi 3DS, mais à titre expérimental et pour les seules collectivités locales dont la demande a été acceptée par l’État. « L’application de la loi repose essentiellement sur les recours de locataires peu avertis et peu enclins à s’en saisir spontanément », constate le rapport. L’adoption de sanctions contre les bailleurs contrevenants, légalement possible, reste boudée par les préfectures. Ainsi, à Paris, où plus de 30 % des locations ne respectent pas les plafonds de l’encadrement, le préfet n’a infligé que dix amendes depuis 2018.
Le gouvernement Macron a fait preuve de la même timidité vis-à-vis des plateformes de locations saisonnières. Il a autorisé les villes à encadrer la pratique, mais de manière limitée. Pis, le gouvernement, en créant le « bail mobilité », « s’est adonné à une forme de dumping réglementaire », estime la Fondation. Dans un contexte de rareté, ce contrat, d’une durée d’un à dix mois à destination des précaires, vient, comme airbnb, concurrencer les baux classiques et limiter encore le nombre de logements pérennes présents sur le marché.
4. Sans-logis : grands besoins et petits pas
S’il y a un point sur lequel Emmanuel Macron a pris des engagements, c’est celui de la lutte contre le sans-abrisme, avec notamment la mise en place du plan « logement d’abord », qui consiste à fournir un logement pérenne aux ménages à la rue ou en hébergement d’urgence. Mais, là aussi, le bilan est en demi-teinte. « À la fin de l’année 2022, à peu près 300 000 personnes seront passées de la rue au logement. Cela va dans le bon sens. Mais 300 000 personnes sont encore sans domicile », rappelle Manuel Domergue, directeur des études à la FAP. Des efforts ont cependant été faits : le nombre de places mobilisées dans le privé, via le système d’intermédiation locative, est passé de 5 000 à 40 000 ; davantage de pensions de famille ont été créées, même si seulement la moitié de l’objectif chiffré en début de quinquennat est atteinte ; quant à la part de HLM attribués à des SDF, elle est passée de 4 à 6 %.
Mais ces progrès sont court-circuités par d’autres choix politiques : baisse du nombre de HLM, refus d’allocations pour les moins de 25 ans, mais aussi expulsions locatives à répétition des habitants de lieux informels, absence de politique de prévention des expulsions, etc. Autant de points qui limitent l’impact de la stratégie du « logement d’abord », en faisant grossir les rangs des sans-domicile. Avec, pour résultat, une pression accrue sur le secteur, pourtant coûteux et parfois indigne, de l’hébergement d’urgence. Malgré la pérennisation des places (40 000 créées lors de la pandémie) par le gouvernement, ce dernier n’a toujours pas les moyens de résorber l’ensemble des demandes de mise à l’abri des personnes à la rue.
12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique
5. Une rénovation énergétique en trompe-l’œil
Là encore, les promesses étaient ambitieuses. Le président s’était engagé à rénover 500 000 logements et à éradiquer en dix ans les 5 millions de passoires thermiques. Mais, à l’heure où 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique, le gouvernement a préféré une politique d’affichage. Il a choisi « des dispositifs d’aides qui gonflent les chiffres du nombre de travaux enclenchés en ciblant de simples gestes de rénovation, peu efficaces s’ils restent isolés, au détriment de la performance à long terme », déplore la FAP.
Autre obstacle, les aides sont attribuées sans ciblage, et l’importance du reste à charge pour les ménages (39 % pour les très modestes et 56 % pour les modestes) rend ces travaux souvent inaccessibles. L’accompagnement et l’information, indispensables pour les bénéficiaires confrontés à des aides évolutives et à un secteur de la rénovation encore mal encadré et opaque, ne sont pas non plus à la hauteur. Selon une étude menée par la FAP, début 2021, 40 % des appels au réseau Faire, service public d’accompagnement à la rénovation énergétique, sont non décrochés, et 62 % ne permettent pas d’obtenir des avis adéquats dans les délais requis.
Nuit de la solidarité Légère décrue du nombre de sans-abri à Paris. 2 600 personnes sans abri ont été recensées dans la capitale lors de la Nuit de la solidarité, du 20 au 21 janvier 2022. Dans l’ensemble des 9 communes limitrophes qui participaient pour la première fois à l’opération, les bénévoles en ont compté 487, dont 240 – essentiellement des familles – dans un même campement à Bobigny. Pour Paris, on constate une baisse de 10 %, par rapport à 2021, du nombre de personnes à la rue (2 829 en 2021, un chiffre déjà en baisse par rapport à 2020). En 2022, 90 % sont des hommes et 10 % des femmes (contre 13 % en 2021). Il s’agit pour 78 % de personnes isolées, pour 5,5 % de familles et pour 16,5 % de groupes. Leur répartition géographique par arrondissement est stable, les 18e, 19e, 12e et le centre de la capitale comptant chacun plus de 200 personnes à la rue. Pour Léa Filoche, adjointe (PS) à la maire de Paris en charge des solidarités, de la lutte contre les inégalités et contre l’exclusion, « l’analyse fine des résultats de cette opération va permettre de mettre en place des dispositifs spécifiques comme des conciergeries ou des lieux d’accueil pour les familles ».
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