La mèche rebelle de Mahsa devenue arme de combat
Iran Le décès d’une jeune femme, trois jours après son arrestation pour un voile mal porté, provoque une vague de manifestations dans le pays. La condition féminine revient au centre des débats au pays des ayatollahs.
Mahsa Amini est décédée à 22 ans parce que femme, victime des agissements sordides de la police iranienne dite des mœurs qui patrouille dans les rues de Téhéran, la capitale. Sa mort a ébranlé une société jusque-là en léthargie sous la chape de plomb du régime islamique. La colère monte et des slogans inédits fusent sur le ton du défi. Les réseaux sociaux donnent un écho à l’indignation, le #Mahsa_Amini a généré plus de 1,5 million de tweets. De nombreuses Iraniennes se sont coupé les cheveux ou ont brûlé leur voile face à des caméras vidéo. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, a demandé l’ouverture d’une enquête. Elle se poursuivra « jusqu’à la clarification de l’affaire », a-t-il promis à la famille. Assiste-t-on à un tournant dans le sort réservé aux femmes, quarante-trois ans après l’instauration de la République islamique ?
Originaire de la région du Kurdistan (nord-ouest), Mahsa a été arrêtée le 13 septembre, alors qu’elle était à Téhéran en visite avec sa famille. La brigade des mœurs avait jugé son port du hidjab « inapproprié ». Elle est décédée vendredi, à l’hôpital, après trois jours de coma. C’est à cause d’ « un problème cardiaque soudain », a expédié la police, affirmant l’absence de tout « contact physique ». La famille et les associations de protection des droits humains ont aussitôt contesté la thèse de l’accident. Elles attribuent le décès à un mauvais traitement, voire des actes de torture durant la garde à vue. Elle a été « battue à l’intérieur d’un véhicule de la police alors qu’elle était détenue, ce qui a entraîné sa mort prématurée », a déclaré le père de Mahsa à la presse.
« Femme, vie, liberté ! », « À bas le dictateur ! »
Selon un communiqué des étudiants iraniens à Paris, les agents se sont comportés avec violence dès le début de l’interpellation. « Ils ont utilisé du gaz lacrymogène pour attaquer son frère qui tentait d’empêcher son transfert dans le célèbre centre de détention Vozora », rapportent-ils. Les funérailles de la jeune femme ont eu lieu samedi matin, dans sa ville natale de Sagqez, en présence d’une foule dense. « Bien-aimée Mahsa, tu ne mourras pas, ton nom sera un symbole », lit-on sur sa pierre tombale.
Un symbole d’ores et déjà brandi lors des manifestations qui se sont immédiatement multipliées à la suite du drame. « Femme, vie, liberté ! », « À bas le dictateur ! » a-t-on scandé. « Pas seulement dans la province où Mahsa est née, mais partout en Iran, y compris dans la ville sainte de Mashhad (lieu de pèlerinage – NDLR). Les étudiants se sont aussi massivement rassemblés, lundi, à l’université de Téhéran. Partout, les rassemblements ont été durement réprimés, entraînant la mort de deux personnes et faisant une dizaine de blessés dans une petite ville du Kurdistan », précise Behrouz Arefi, membre dirigeant de l’Association pour la défense des prisonniers politiques et d’opinion en Iran (Adpoi), en exil à Paris.
Selon une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, Ravina Shamdasani, la police n’a pas hésité à « tirer à balles réelles » et à faire abondamment usage de gaz lacrymogène.
Le pouvoir iranien reste de marbre
Ces réactions populaires inédites « vont au-delà de la question du voile, qui relève d’une contrainte et qui constitue un prétexte pour la brigade des mœurs. Elles posent courageusement la question de la condition des femmes », explique le militant associatif iranien. La mort de Mahsa à la suite de son arrestation a en effet déclenché un mouvement de solidarité des hommes, laquelle était jusque-là plutôt marginale. Le drame semble avoir provoqué une prise de conscience de l’existence « sociale » des femmes, du rôle et de la place qui leur sont refusés dans la vie courante, hors du foyer. « Le pays compte de nombreuses diplômées de l’enseignement supérieur, mais beaucoup d’entre elles sont au chômage car l’on donne la priorité aux hommes et l’application stricte des règles religieuses en fait des êtres de seconde catégorie », rappelle Behrouz Arefi. Attitude inhabituelle, un parlementaire iranien s’est même risqué à critiquer la redoutable Gasht-e Ershad (patrouille d’orientation). « Elle n’obtient aucun résultat, sauf à causer des dommages au pays. (…) Le principal problème, c’est que certaines personnes ne veulent pas voir la vérité », a-t-il déclaré à l’agence de presse des étudiants iraniens Isna.
Le pouvoir iranien reste de marbre face au drame et aux réactions dans la population et sur la scène internationale. La répression, très dure, n’a pas faibli et point de discours d’apaisement. La police, quant à elle, s’est empressée de balayer toute hypothèse de responsabilité de ses agents. La mèche rebelle de Mahsa n’en demeure pas moins désormais une arme de combat pour les femmes iraniennes.
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