Guillaume Meurice : « La gauche doit retrouver le goût du spectacle »
Il est de ces voix qui ont émergé de l’audiovisuel public. Guillaume Meurice, rigolo patenté à France Inter, fait rire et réfléchir le peuple de gauche. Quand il ne tend pas un micro goguenard aux réacs décomplexés, il filme, écrit et joue. Entretien avec un homme-orchestre qui n’aime pas qu’on le mène à la baguette.
Le rendez-vous était pris au Village du livre, sur la Fête de l’Humanité, le 10 septembre. Et pour pouvoir mener l’interview, il a fallu, aux côtés de Guillaume Meurice, traverser les allées. Quelle aventure ! Les militants l’arrêtent, le félicitent, le remercient, se prennent en selfie avec lui. Et lui, bonhomme, de dégainer dans la foulée son enregistreur Nagra en vue de sa chronique, le lundi après-midi, dans « C’est encore nous », sur France Inter. Gentil, accessible et plein d’humour, le quadragénaire aux cheveux gris se livre sans détour sur ses livres, le service public audiovisuel, sa vision de la vie, son podcast et ses déboires avec Vincent Bolloré.
Vous avez décidé cette année d’être moins présent sur l’antenne de France Inter. Est-ce par lassitude ou est-ce par envie de faire autre chose ?
J’avais besoin de temps, tout simplement, pour mener d’autres projets : des documentaires, des livres et des podcasts. Et puis ça fait quand même huit ans, depuis 2014, que je réalise mes micros-trottoirs presque tous les jours. J’ai donc eu envie de me libérer un peu. Et aussi de laisser ma place aux autres. Ne pas truster l’antenne plus que de raison a joué dans ma réflexion.
Jusqu’ici, vous meniez pourtant tous vos projets de films, de spectacles en parallèle. Quelle est la différence ?
J’en ai vraiment beaucoup ! Je suis sur un tournage de documentaire sur la vie des cétacés en captivité. Et un tournage, c’est toujours plus long que ce que l’on croit : il faut se rendre sur les lieux, mener des interviews, etc. Il y a toujours des retards, des imprévus. Je reprends aussi mon podcast sur Spotify (« Meurice recrute » – NDLR), où je compose mon gouvernement idéal. J’ai enregistré Brigitte Gothière, qui sera potentiellement ma ministre des animaux non humains, et Albert Moukheiber, un docteur en neurosciences, qui sera possiblement mon ministre de la réalité. Je ne me plains pas.
Les divisions à gauche ne sont pas un si gros problème : ils ont toujours fonctionné comme ça. Toutes ces sensibilités se complètent.
Votre podcast donne la parole à des personnalités très progressistes.
Mon podcast est un peu l’antithèse de ce que je fais à France Inter. Je n’ai rien contre les gens que je rencontre dans la rue. Mais là, j’ai choisi des personnes dont le discours me plaît plutôt que d’aller chercher les contradictions et les discours problématiques de la société. Avec ce podcast, je suis plutôt en recherche de solutions. C’est hyperstimulant intellectuellement.
D’autant que les propos que vous ramenez de votre micro-trottoir dans « C’est encore nous » sont parfois un peu déprimants.
Pas trop, en fait. Souvent, mes interlocuteurs ne pensent pas forcément ce qu’ils disent, ou ils répètent des choses entendues, sans pousser la réflexion jusqu’au bout. Je ressens plutôt de la compassion, pour nous humains, à les entendre. J’ai tendance à dire que je vais toujours chercher la connerie qui est à l’intérieur de nous. Nous tenons tous des discours que l’on répète sans les avoir remis en question. Dans tous les milieux, dans tous les domaines.
N’y a-t-il pas une dimension militante dans votre travail ?
Disons que je donne mon avis, un peu comme tous les artistes, voire comme tout le monde. J’essaie de le faire de la manière la moins ennuyeuse possible avec des blagues. On reproche souvent aux militants de ne pas avoir d’humour et d’être coincés dans leurs luttes. Mais c’est tellement dur d’être militant : il est très rare de remporter des victoires, il y a souvent des luttes fratricides dans les associations et au sein même des combats. J’ai beaucoup de respect pour les vrais militants, ceux qui ont les mains dans le cambouis, qui vont organiser des débats, coller des affiches, faire des réunions publiques, donner de leur temps libre. Moi, ce que je produis, c’est vraiment léger, et en plus je suis payé pour le faire. J’ai donc vraiment du mal à me définir comme un militant. En revanche, oui, je donne mon avis, mon point de vue.
Dans le contexte lourd que vous décrivez, l’humour que vous dispensez n’est-il pas une respiration pour les citoyens de gauche ?
Je n’écoute pas trop les grands médias, donc je ne me rends pas bien compte de la place que j’occupe. Et sans fausse modestie, je ne pense pas que ce succès soit dû à la qualité de ce que je fais. Nous ne sommes pas nombreux à produire ce genre de contenu. Avant, il y avait les Guignols de l’info, de la presse, etc. C’est peut-être en ça que je ne suis pas un militant : je ne me considère pas comme quelqu’un d’influent, je n’ai d’ailleurs pas la volonté d’être influent ni la prétention d’avoir raison. Je donne mon avis et on en discute, de manière virulente ou pas.
J’ai beaucoup de respect pour les vrais militants, qui ont les mains dans le cambouis, qui vont organiser des débats, coller des affiches.
Le tout dans un climat à gauche un peu tendu…
C’est vrai que si l’on regarde la réalité des dix ou quinze dernières années, c’est un peu déprimant. Mais pour moi, le point de bascule, il n’est pas très compliqué à atteindre. Je ne suis pas un optimiste béat, mais je me dis que le pouvoir fait tellement de la merde… Et les divisions à gauche ne sont pas un si gros problème : ce sont des humains, ils ont toujours fonctionné comme ça. Dans un même combat, certains sont plus ou moins radicaux. Il faut arrêter de lutter contre cette réalité, parce qu’on s’épuise. Toutes ces sensibilités à gauche se complètent, donc la différence n’est pas grave. Un exemple : la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. S’il n’y avait pas eu les zadistes, l’aéroport serait construit. Seuls, les zadistes n’ont pas pu faire capoter le projet. Ils ont eu besoin de gens dans les instances politiques, des associations, de personnes plus réformistes qu’eux qui sont allées négocier. On perd beaucoup de temps à critiquer les stratégies des autres.
Justement, la politique est un de vos terrains de jeu. Dans vos chroniques, mais aussi dans votre dernier spectacle.
La vie politique est facile à pasticher parce que la hiérarchie du pouvoir est ridicule : la promesse initiale du gugusse qui a toutes les réponses aux questions et aux problèmes des 67 millions d’autres, c’est à mon sens bête, drôle et déjà caricatural. Je pousse juste un petit peu le curseur avec tout ce qu’est le cirque politique des meetings, le clip de campagne, le drapeau bleu-blanc-rouge, le pupitre, le costard-cravate. Tout cela, c’est du théâtre, et même du mauvais théâtre. Comme ce n’est pas leur métier, ils le font mal, et j’avoue que c’est assez marrant de le caricaturer. C’est peut-être Mélenchon qui s’en sort le moins mal, parce qu’il assume la dimension de spectacle, contrairement aux autres.
Qu’est-ce qui relie tout ce que vous faites ?
C’est peut-être pompeux mais c’est comment l’espèce qui se considère comme la plus évoluée de la biosphère est à ce point stupide. C’est quand même fascinant : on est censés avoir la pensée, la réflexion, on sait à peu près où on va, et on y va quand même. Et je suis aussi un peu perplexe sur les rapports de domination. Je ne comprends pas comment quelqu’un peut se prétendre au-dessus ou en dessous de quelqu’un d’autre. Donc, tout ce qui relève de la hiérarchie me paraît absurde. Tout ce qui est de l’ordre de la compétition m’a toujours questionné. Pourquoi des gens passent leur vie ou bousillent leur jeunesse pour essayer de courir ou nager plus vite que quelqu’un qui lui aussi bousille sa jeunesse à l’autre bout de la planète ? Ce n’est pas vrai que dans le sport, on retrouve ça partout, à l’école, etc. C’est incroyable le temps que l’on perd en tant qu’êtres humains à se positionner par rapport aux autres plutôt que de nous demander comment coopérer avec les autres ! J’ai une espèce de goût de la tentative, aussi. Je n’ai pas trop peur de l’échec. Je ne fais pas ce métier pour être aimé, j’ai l’impression qu’il me sauve un peu. Je me dis par exemple que si France Inter s’arrête, je ne serais pas malheureux. J’étais heureux avant, je serais heureux après.
Comment voyez-vous la fin de la redevance et les menaces de financement sur l’audiovisuel public ?
Le libéralisme veut briser tout ce qui relève du service public. C’est classique. Ses acteurs le font de biais, parce que de front, ils affronteraient des grèves à n’en plus finir. La stratégie est assez claire. Des gens me disent : « Ça ne change rien, puisque les impôts vont servir à financer. » Sauf que jusqu’ici il y avait une somme allouée à l’audiovisuel public tous les ans dans le budget. Là, ce sera une ligne dans le budget global de l’État. Dès lors, on peut te dire : « Désolés, mais on va devoir faire des économies. » C’est un premier coup de pioche dans l’édifice. À terme, leur idée est de tout privatiser. Ce n’est pas un scoop, je ne spoile rien.
Je m’amuse à dire aux gens qui sont contre l’audiovisuel public : “Je pense que vous nous regretterez.
L’économiste et spécialiste des médias Julia Cagé disait récemment dans les colonnes de « l’Humanité Magazine » que les pays qui avaient supprimé ou minoré leur service public audiovisuel revenaient sur leur choix parce qu’un service public fort garantit une vie démocratique plus forte. Partagez-vous cette réflexion ?
Je m’amuse à dire aux gens qui sont contre l’audiovisuel public : « Je pense que vous nous regretterez. Même si vous n’êtes pas d’accord avec nous, même si vous râlez après nous. » Parce que si tu laisses tous les médias au privé, eux, c’est clair et net, ils font ça pour l’argent. Ce n’est pas un jugement moral ; ça fonctionne comme ça. On critique beaucoup l’idéologie de BFMTV. Mais leur idéologie, c’est l’argent. Donc si une poubelle brûle, la chaîne la filme. Il lui faut des images pour que les gens restent devant l’écran. C’est une logique d’antenne et d’audience. Il se trouve qu’elle est très corrélée à l’idéologie du pouvoir, mais je suis certain qu’aux conférences de rédaction de BFMTV, ils ne se disent même pas : « Tiens, comment on va dire du bien de Macron aujourd’hui ? » Ce serait plutôt : « Comment on va pouvoir scotcher les gens devant leur télé pour que l’audience soit bonne et qu’on vende les espaces de publicité plus chers ? » Je dis ça parce qu’il y aurait moyen, à gauche, de prendre cette dimension en compte. Et de riposter : « Vous voulez de l’audience ? Eh bien on va aussi faire du spectacle, on va aussi scotcher les gens devant la télé. » Je viens de lire « le Puy du Faux », enquête de quatre historiens sur un parc qui déforme l’histoire (1). À la fin, ils concluent : « Mais pourquoi on ne ferait pas un parc d’attractions de gauche ? » Il y a un aspect spectaculaire aux luttes sociales, il y a moyen de faire du spectacle ! On peut les prendre à leur propre idéologie aussi.
Julia Cagé suggérait également que la casse de l’audiovisuel permettait de justifier la baisse de financement.
Ils font ça avec les hôpitaux, l’école… Avec le service public audiovisuel, ils sont emmerdés : leur grammaire, c’est l’audience, et Radio France et France Télévisions, ça marche. Donc, ils déconstruisent petit à petit. Leur logique, ce sont des bulles spéculatives à l’échelle de la société. Ils savent bien qu’à un moment, ils vont se casser la gueule. Mais ils prennent le pognon tant qu’ils peuvent se servir. Je pense qu’ils sont au courant que ça ne durera pas éternellement. Mais ils entraînent tout le monde dans leur chute. L’idée serait de les sortir du poste de pilotage.
Début septembre, les éditions le Robert, qui appartiennent à Vincent Bolloré, ont annoncé que l’ouvrage que vous avez coécrit avec Nathalie Gendrot, « le Fin Mot de l’histoire en 200 expressions décapantes », ne paraîtrait pas parce que Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de la maison d’édition, s’y opposait. Comment avez-vous réagi ?
Ce livre est un recueil d’expressions qui viennent de l’histoire de France. Il entre dans une collection chez le Robert qui recense les expressions qui viennent de la nourriture, du jardinage, etc. Et à chaque fois, ils demandent à un invité de mettre son grain de sel dans l’ouvrage. Quand c’est la bouffe, c’est un cuistot, le jardinage, un jardinier. Le nôtre, il porte sur l’histoire. Comme j’avais écrit ce livre sur Triboulet, le bouffon de François Ier, ils m’ont demandé de venir mettre des blagues dans le bouquin. Il y a deux cents expressions, j’ai ajouté 200 blagues. Mais le corps du texte, c’est Nathalie Gendrot, qui a bossé six mois d’arrache-pied pour aller chercher l’origine de ces expressions dans les archives. Nous avons lancé avec nos avocats une mise en demeure de publication pour avoir en main une preuve écrite où ils assument de ne pas assurer le contrat. Si la justice dit que c’est autorisé, alors nous saurons que nous vivons dans un pays où chaque auteur est potentiellement sous le couperet d’un actionnaire majoritaire de grand groupe.
Quel argument vous a-t-on donné ?
La vraie raison, c’est que Bolloré n’en a pas voulu. Mais l’argument a été de dire que sept phrases posent problème et pourraient les amener en diffamation. C’est un argument complètement caduc. Je ne vois pas bien le scoop ni la diffamation dans le fait de remarquer que les Louboutin sont chères ! Le plus drôle est la phrase sur Bolloré : il ne va pas porter plainte contre le Robert, donc contre lui-même.
Avant de signer avec cette maison d’édition, saviez-vous le rôle occupé par Vincent Bolloré ?
Non. Il est partout. C’est fou. Tu mets tes chaussettes le matin, c’est Bolloré, tu respires de l’air, trop tard, il a pris l’oxygène. C’est de la dinguerie.
Vous sortez un autre livre en février 2023, « Petit éloge de la médiocrité ». De quoi s’agit-il ?
Les éditions les Pérégrines demandent aux auteurs d’écrire de petits éloges sur un thème qui les inspire. Ils m’avaient soumis l’idée de « la mauvaise foi » au début. Mais c’est un peu limité. D’où l’idée de cet éloge de la médiocrité. Parce qu’on vit dans une société de la performance, où l’on est toujours en compétition les uns avec les autres. J’ai voulu prendre un contre-pied total, dire qu’on est tous nuls et que chacun fait comme il peut. Et que si nous ne réfléchissons pas en collectif, on ne s’en sortira pas.
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