De Malik et Abdel à Rémi, Zineb, Cédric…
Violences policières Trente-six ans après la mort de Malik Oussekine et Abdel Benyahia, ni la brutalité de la police ni le racisme n’ont été éradiqués de la société française, regrettent les défenseurs des droits humains. Pire, ils s’aggravent.
NDLR de MAC: « Je peux dire que j’y étais…. »
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris, un jeune homme de 22 ans était battu à mort par la police. Personne n’a oublié son nom – Malik Oussekine – ni le contexte de ce drame : des étudiants qui manifestent depuis des semaines pour protester contre le projet de loi Devaquet ; un peloton de voltigeurs mandaté par le duo Pasqua-Pandraud pour « nettoyer » les rues des « casseurs »… Cette même nuit, de l’autre côté du périphérique, à Pantin, un autre jeune Français d’origine algérienne est abattu par un policier ivre, à la sortie d’un café. Rares sont ceux qui se souviennent de son nom : Abdel Benyahia. Il avait 19 ans.
Sur les écrans, à partir de ce mercredi 7 décembre, Nos frangins, de Rachid Bouchareb, remet à l’honneur l’histoire de ces deux crimes racistes, l’un resté dans les mémoires de plusieurs générations, l’autre largement effacé de la postérité. La démarche est salutaire, même si la famille d’Abdel regrette aujourd’hui la façon « caricaturale » dont elle serait dépeinte dans le film (lire page 6). Surtout, ce nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, troisième volet d’un triptyque commencé avec Indigènes (2006) et Hors-la-loi (2010), pointe en creux la permanence de ces maux qui empoisonnent toujours la vie des habitants des quartiers populaires et de nombreux militants : violences policières, racisme… « Tout le mouvement des gilets jaunes, et les violences autour, a contribué à renforcer l’idée de faire un film sur Malik et Abdel, explique le cinéaste. On est encore dans cette actualité. »
« les usages disproportionnés de la force sont réguliers »
Lundi 5 décembre, un rassemblement était d’ailleurs organisé à l’appel du Mrap et des délégations parisiennes du PCF, de la CGT, de la FSU ou de Solidaires pour protester contre les violences policières et demander que la rue Monsieur-le-Prince soit renommée « rue Malik-Oussekine, frappé à mort par la police dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 ». Signe que les deux slogans phares des manifestations qui ont suivi ces événements – « On n’oublie pas » et « Plus jamais ça » – résonnent encore aujourd’hui. « La situation est pire maintenant que dans les années 1980, assure même François Sauterey, coprésident du Mrap. Le matériel des policiers s’est beaucoup alourdi, et les usages disproportionnés de la force sont réguliers. Sur le maintien de l’ordre, on a vu se mettre en place des nasses pendant les manifs, comme en 2010 à Lyon, non seulement illégales mais inefficaces, car elles suscitent encore plus de violences. » Saisi par plusieurs associations et syndicats (LDH, CGT, Syndicat de la magistrature…), le Conseil d’État a réaffirmé, en juin 2021, l’illégalité de ces pratiques d’ « encerclement des manifestants » et les a retirées du schéma du maintien de l’ordre, publié en septembre 2020 par Gérald Darmanin.
La mort de Malik Oussekine aurait-elle été sans effet ? « Non, elle a eu un impact majeur sur la façon dont les responsables politiques envisageaient le maintien de l’ordre, explique le journaliste et réalisateur David Dufresne, auteur du documentaire Un pays qui se tient sage (2020). Pendant des années, il va être demandé à la police de ne plus aller au contact des manifestants, pour éviter ce genre de drames, très “coûteux” politiquement. Mais cette doctrine va être abandonnée, par Nicolas Sarkozy d’abord, lors des mobilisations contre le CPE, puis lors de la loi travail (2016), et bien sûr au moment des gilets jaunes. » Un mouvement né fin 2018, qui aura provoqué à lui seul, en quelques mois, plus de blessés côté manifestants que lors des vingt années précédentes : entre 2 000 et 3 000, dont plusieurs dizaines gravement, 353 blessés à la tête, dont 30 éborgnés et 6 mains arrachées, selon diverses sources… citoyennes. « Et pour cause ! La Place Beauvau est capable de nous dire à l’unité près combien de cartouches de LBD sont tirées sur chaque opération, mais elle ne tient aucune comptabilité des dégâts qu’elles ont faits, fustige David Dufresne. C’est un problème majeur. »
Pour étouffer le scandale, on sort l’argument des « comorbidités »
Avocat et membre de la LDH, Arié Alimi dénonce cette absence (volontaire) de statistiques, mais aussi la « droitisation extrême des syndicats de police » et « l’explosion des violences ces dernières années ». Des violences régulièrement fatales. « Rémi Fraisse en 2014 lors d’une manifestation, Zineb Redouane à son balcon en 2018, Cédric Chouviat en 2020 lors d’un simple contrôle… » égrène Arié Alimi. « Et je ne parle pas des décès lors des refus d’obtempérer : 1 en 2020, 4 l’an dernier, déjà 12 cette année ! Comment justifier une telle flambée ? » Si ces violences ne passent plus inaperçues, elles font toujours l’objet de communications douteuses, pour étouffer le scandale, justifier l’action des policiers, ou expliquer les décès par des « comorbidités », comme avec Malik Oussekine. « Pour les familles, c’est comme une deuxième mort à affronter, insiste l’avocat . Dans ces affaires, les combats judiciaires sont toujours longs et pénibles. Et rarement victorieux. » De fait, un non-lieu a été confirmé l’an dernier dans l’affaire Rémi Fraisse ; l’instruction commence à peine dans celle des 151 lycéens de Mantes-la-Jolie, mis à genoux il y a quatre ans, jour pour jour ; et la militante Geneviève Legay, agressée à Nice en mars 2019, attend toujours que le commissaire Souchi soit traduit en justice…
Symbole des violences policières en 1986, les pelotons de voltigeurs motorisés (PVM), dissous après la mort de Malik Oussekine, ont été relancés en 2019 sous un autre nom (Brav-M), à l’initiative du préfet de police de Paris, Michel Delpuech, et leur présence rendue systématique par son successeur, Didier Lallement. « Le principe de ces unités, c’est la violence, prévient François Sauterey, du Mrap. On l’a vu le 18 octobre dernier lorsqu’ils ont chargé, deux fois, en plein cortège syndical. Tous les ingrédients sont là pour reproduire une “bavure” comme celle de décembre 1986. » Des ingrédients comme les discours provocateurs de certains responsables publics. Quelques heures après la mort de Malik Oussekine, le ministre délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, déclarait au Monde : « La mort d’un jeune homme est toujours regrettable, mais (…) si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con dans la nuit. » Une sortie qui peut évoquer celle d’Emmanuel Macron, commentant les violences subies par Geneviève Legay : « Quand on est fragile, (…) on ne se met pas dans des situations comme celle-ci. » Gérald Darmanin, depuis, est allé plus loin. « Quand j’entends le mot “violences policières”, personnellement, je m’étouffe », avait osé le ministre, en juillet 2020, détournant les derniers mots d’un Cédric Chouviat ou d’un George Floyd…
Si les violences policières se sont aggravées depuis 1986, a-t-on au moins progressé sur le terrain de l’égalité ? Non, constate froidement Samuel Thomas, président de la Fédération nationale des Maisons des potes (FNMP), qui termine samedi prochain un « tour de France de l’égalité » organisé en hommage à la « Marche des beurs » de 1983. « Le discours xénophobe s’est installé, normalisé. En 1986, l’expulsion de 101 Maliens par charter avait créé un tollé. Aujourd’hui, la politique d’expulsion des étrangers est devenue massive. Et Marine Le Pen a fait 42 % des voix au second tour, il y a 89 députés RN à l’Assemblée… » Pour ne pas lâcher sur ce terrain, la Fédération poursuit ce mardi, à Nanterre, le parti d’extrême droite pour incitation à la discrimination. En cause : la préférence nationale revendiquée dans son « Guide pratique de l’élu municipal FN », publié fin 2013.
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