Oser la paix ! par Franck Marsal

Franck Marsal donne un cadre au débat que nous avons souhaité ici à propos de l’intervention de Fabien Roussel dans le JDD sur la paix. Il nous présente également l’initiative qu’ont animée des personnalités de la direction nationale du PCF et des militants de ce parti en appelant à un positionnement différent sur les relations internationales, sur la paix et sur le socialisme, tout en se situant résolument dans le courant majoritaire de la base commune. Ce texte de Franck, qu’appelait mon analyse de l’intervention de Fabien Roussel au JDD, dit qu’Histoire et société va contribuer à la discussion et à l’approfondissement de cette base commune. Histoire et société connait une croissance continue de son lectorat au plan international en particulier et a réussi jusqu’ici à être un lieu d’intervention de “tendances” très diverses à partir d’une conception commune de la paix dans la justice. Ce qui se passe au PCF, comme d’ailleurs la montée des luttes en France et dans le monde, fait partie d’un renouveau internationaliste. De cette nouvelle étape du congrès que les communistes ont choisi de mener dans la sérénité mais sur le fond, il y a beaucoup à attendre pour tous. Nous relayons donc volontiers ces débats, ce que nous demandons c’est que les interventions soient argumentées et que les insultes, les affirmations de principe sur tel ou tel, ne tiennent pas lieu d’analyses et de propositions. Nous n’avons que trop souffert de ces mœurs-là, pendant plus de vingt ans, la social-démocratisation du parti s’est accompagnée de censures, de rumeurs et du refus d’entendre les arguments que l’on frappait du sceau infamant de “stalinisme”, en évitant dans le même temps un véritable examen critique de notre histoire pour accepter celle des capitalistes et de l’UE créant un équivalent entre communisme et nazisme. Ce fut un appauvrissement théorique et politique qui a frappé de la base au sommet les communistes, il a contribué à l’effacement du parti, à sa rupture avec le monde du travail. Il faut du temps pour opérer la reconquête et chacun doit faire la preuve de sa volonté de construire le parti dont la classe ouvrière, le monde de la création, la jeunesse et toutes les formes d’émancipation collective et individuelle ont besoin en relation avec le génie propre de notre peuple que Marx définissait comme celui de la lutte des classes. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

Macron et les classes dirigeantes occidentales ont pris le parti de l’escalade, de la guerre, du surarmement. Mais désormais, face à eux, de plus en plus de voix appellent au contraire à des initiatives de paix.

Hier, dans le JDD, Fabien Roussel appelait à “Éviter l’escalade guerrière en Ukraine”, une prise de position qui démontre une prise de conscience des dangers de la situation. Nous avons publié hier sur ce blog cette contribution. Dans un communiqué du 27 janvier, le Mouvement de la Paix appelle à “renoncer à l’envoi d’armes lourdes, abandonner l’idée de livrer des chars de combat, travailler de concert avec l’ONU pour aider les parties à mettre fin à ce conflit insensé et injustifié sur la base de la charte des Nations Unies et du droit international (https://www.mvtpaix.org/wordpress/la-france-doit-dire-non-au-choix-insense-de-lescalade-militaire-en-ukraine/)”. Du 24 au 26 février prochain, le collectif national En Marche Pour La Paix appelle à contribuer partout en France, les 24 et 25 février 2023, à la mobilisation mondiale en faveur de la Paix en Ukraine (https://www.mvtpaix.org/wordpress/appel-du-collectif-national-en-marche-pour-la-paix-pour-les-journees-mondiales-daction-des-24-et-25-fevrier-2023/). Enfin, le 2 février dernier, le collectif “Oser la paix” a organisé un débat en ligne regroupant des intervenants de premier niveau sur le sujet, dont notamment :

  • Marie Christine Burricand, membre de l’exécutif national du PCF,
  • Patrick Straat, président de l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC),
  • Alain Rouy, secrétaire national du Mouvement de la Paix,

et de nombreux autres intervenants. Nous relayons ces interventions à la fin de cet article.

Cette question de la Paix, et celles indissolublement liées de l’impérialisme et de l’évolution de “l’ordre mondial” sera une des questions clés du prochain congrès du PCF. Au delà de la multiplications des prises de positions et des initiatives, la clarification d’un certain nombre de points sera nécessaire pour parvenir à agir efficacement pour la paix et à contrer l’escalade militaire et guerrière.

Relisons attentivement en particulier l’intervention de Fabien Roussel dans le JDD, Il y a une inflexion, c’est vrai, l’intervention est forte et elle vise clairement le choix fait par les pays occidentaux de lever le tabou de la fourniture de chars d’assaut modernes, en grand nombre (plusieurs dizaines) et pour certains de facture allemande (les “Léopards”) ce qui réveille de sombres et lourds fantômes. C’est donc à juste titre que Fabien Roussel déclare clairement “Alors que depuis quelques semaines, les tabous sautent, les uns après les autres, jusqu’à l’annonce de livraisons de chars, avant peut-être celle d’avions de combat, ou de missiles à longue portée, il nous semble important de rappeler notre volonté de ne pas devenir cobelligérants”.

Cependant, il faut aussi dire clairement : l’escalade est dans la nature profonde de la guerre. Clausewitz, le grand théoricien allemand des guerres napoléoniennes, en avait fait un de ses enseignements majeurs. Pour lui, la guerre pousse toujours à aller plus loin, à faire le pas de plus pour gagner. Parce que perdre, c’est tout perdre, chacun fait le pas de plus nécessaire pour renverser la situation et l’escalade est inévitable. Clausewitz appelle cela la “montée aux extrêmes”. Ainsi, l’OTAN considère que la défaite ukrainienne serait la sienne, et que c’est pour lui inacceptable. On commence donc par livrer des drones, former des soldats, puis on apporte des canons et mortiers, aujourd’hui des chars d’assaut, demain effectivement des avions, et peut-être ensuite des soldats, voire des armes de destruction massive.

C’est pourquoi arrêter l’escalade nécessite de s’opposer clairement à toute livraison d’armes à un pays en guerre, quel qu’il soit, conformément d’ailleurs aux engagements internationaux. Il n’y a pas de seuil, en dessous duquel livrer des armes à un pays en guerre serait acceptable, alors qu’au dessus ce serait dangereux. Toute livraison d’arme est une marche de plus, une marche de trop dans l’escalade guerrière. Comment prétendre être pour la paix, et livrer des armes pour gagner la guerre. C’est incohérent.

En premier lieu, il faut donc revoir notre positionnement global dans ce conflit. Prendre parti, vouloir la victoire d’un camp contre l’autre, c’est inévitablement devenir, tôt ou tard “cobelligérant”. Prétendre le contraire est intenable.

C’est pourquoi je préfère la manière dont les choses sont formulées par le mouvement de la paix (https://www.mvtpaix.org/wordpress/la-france-doit-dire-non-au-choix-insense-de-lescalade-militaire-en-ukraine/) et dans l’appel du collectif pour la paix (https://www.collectifpaix.org/nous/#signataires) par ailleurs aussi signé par le Parti. L’objectif n’est pas la victoire d’un camp, mais la victoire de la paix, l’arrêt de la guerre, l’arrêt des centaines de morts quotidiens (notamment côté ukrainien), l’arrêt des bombardement, la recherche d’un compromis, en tous cas d’un cessez-le-feu : “La seule issue possible c’est l’arrêt des combats et la construction d’une solution diplomatique et négociée dans le cadre des institutions internationales et dans le respect de la Charte des Nations unies.” (Appel du collectif pour la paix).

Dans cet appel, il n’y a pas de logique “victime / coupable”. Dans le 1er texte, deux phrases évoquent “l’agression” russe et la solidarité avec l’Ukraine, mais pour le reste, ce sont deux textes qui permettent un large rassemblement, en faveur de l’arrêt du discours guerrier et le remplacement de la logique d’escalade par la logique du dialogue et de la recherche de solution. Le collectif appelle à se mobiliser “pour qu’en Ukraine et partout dans le monde prévalent des cessez-le-feu et l’engagement de négociations pour des solutions politiques dans l’intérêt des populations. La paix, la coopération et l’amitié entre les peuples sont nécessaires pour faire face aux défis actuels, arrêter la course aux armements et mobiliser les ressources du monde entier pour la justice, la solidarité et la transition écologique.

La différence est claire : il n’est pas question ici de chercher à juger, à ériger l’un en victime, l’autre en coupable. Le conflit est là. C’est un drame pour tous. Il faut l’arrêter et chercher des solutions. On sort complètement du discours guerrier, de tout discours qui légitimerait la violence. On sort de la logique “victime / coupable” et de la logique de “légitime défense”, une expression que je suis peiné de retrouver dans le JDD sous la plume de notre secrétaire national. Considérer que dans un conflit, il y a une victime et un coupable, et considérer de surcroît qu’il faut aider celui que nous désignons comme victime à obtenir justice par lui-même sur le terrain militaire, c’est se placer sur un terrain qui ne peut aboutir qu’à l’escalade, jusqu’à ce que les choses soient tranchées sur le terrain de la guerre.

Il ne me semble pas que, d’une manière générale, nous appelions les gens à se faire justice eux-mêmes par l’usage de la violence et nous devrions savoir pourtant que, dans les situations complexes, chacun voit facilement dans l’autre l’agresseur et en lui-même, la victime. On ne peut pas contester, d’ailleurs, j’y reviens ci-après, que les populations du Donbass ont aussi quelques raisons de se considérer comme victimes du gouvernement de Kiev, qui a abondamment bombardé, depuis 2014, les populations civiles du Donbass.

De fait, si on dit que “notre soutien ne doit pas se réduire à la seule dimension militaire“, c’est qu’on admet néanmoins (par acceptation de la logique “victime / coupable”) que nous devons soutenir l’Ukraine par des moyens militaires. A nouveau, à partir de ce moment, on est inévitablement dans l’escalade comme nous l’avons vu dans tant de conflits dans l’histoire : il faut soutenir militairement le gouvernement de Kiev, qui veut “la victoire”, donc, aujourd’hui, il faut des tanks de combats par dizaines, demain il faudra des avions et après-demain des soldats, sans parler du risque d’escalade nucléaire. C’est une voie sans issue, car nous devons également constater que de son côté, le gouvernement russe bénéficie d’un large soutien de sa propre population, que l’envoi d’armes occidentales ne font que renforcer. A l’escalade répondra toujours l’escalade, jusqu’aux (pires) extrêmes.

Nous sommes la France, un pays qui a un lourd passé colonial, qui a joué un rôle catastrophique dans le déclenchement de la 1ère guerre mondiale et un rôle inconstant et trouble (pour dire les choses a minima) face à la montée du nazisme puis dans la seconde guerre mondiale. Un pays qui dispose de l’arme atomique et d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Nous avons de surcroît joué un rôle également trouble dans toute la période précédent ce développement du conflit, en cosignant par deux fois les accords de Minsk sans jamais inciter concrètement le gouvernement de Kiev à les appliquer. Les différents gouvernements français ont leur part de responsabilité dans le long pourrissement de cette situation.

Le véritable rôle positif que peut jouer la France est de cesser d’être le “petit caniche” des américains et des allemands. Notre ambition de communistes doit être que la France joigne sa voix aux grands pays du monde qui ont choisi – comme vient de le faire le président brésilien Lula – la neutralité, la position de médiateur et l’appel à la négociation. Cela suppose d’arrêter de prendre systématiquement parti, diplomatiquement, politiquement, médiatiquement et militairement pour l’un des combattants.

La deuxième clé qui nous est nécessaire pour ouvrir une voie de paix, c’est d’interroger la notion (communément employée) de “peuple ukrainien”. Il est évidemment plus facile de susciter la sympathie pour le “peuple ukrainien” que pour son gouvernement corrompu. Mais, lorsque Fabien l’évoque en parlant des “droits nationaux inaliénables du peuple ukrainien“, de quoi s’agit-il et de quel peuple parle-t-on ?

Cette expression pose problème. Si la Catalogne, qui a fait un référendum pour son indépendance, poursuit dans cette voie et que les choses s’enveniment … que signifierait alors l’expression “les droits inaliénables du peuple espagnol” ? Même chose avec l’Écosse, ou avec la Nouvelle Calédonie. La France est un état souverain et la Nouvelle Calédonie fait juridiquement partie de la France. C’est “l’intégrité territoriale de la France” au sens de la Charte des Nations Unies. Pense-t-on résoudre la question calédonienne ou la question catalane avec cette seule formule des “droits inaliénables du peuple français” et des “droits inaliénables du peuple espagnol” ? En faisant de cette “intégrité territoriale” un droit “inaliénable du peuple français” ? Il ne me semble pas que telle soit notre position.

Dès lors qu’on parle de “Peuple ukrainien”, on fait l’impasse sur la situation réelle de ce pays, telle qu’elle s’est développée depuis la destruction de l’URSS et envenimée à partir de 2013. Ce fut, d’abord, une situation de conflit interne intense, dégénéré en sécession (de la Crimée d’abord, puis du Donbass) et en guerre civile puisque, d’emblée et avec le soutien de l’OTAN et de l’Occident, le gouvernement de Kiev a choisi d’employer la force, plutôt que le dialogue avec ses propres régions.

Pour un habitant de Donetsk ou de Lougansk, que signifient “les droits inaliénables du peuple ukrainien” ? Durant 8 ans, ce fut le droit de subir des bombardements quotidiens et, lorsque des territoires furent repris, de subir l’ukrainisation forcée et des actes de vengeances et des crimes de guerre qui sont bien documentés par les agences internationales, mais jamais repris par les médias français et dont nos compatriotes sont dans l’ignorance totale : arrestations arbitraires, exécutions sommaires, tortures, dont s’est notamment rendu coupable le tristement célèbre bataillon Azov.

Dans la solution diplomatique à laquelle nous appelons, l’ensemble des populations civiles doivent être protégées, y compris celles du Donbass et des régions russophones de l’Ukraine. Aucune solution sérieuse n’est envisageable si cette protection n’est pas sérieusement garantie.

Pour aller plus loin sur la compréhension de cette période et de ses enjeux, voici les principales vidéos du débat du 2 février :

Intervention VIDEO de Marie-Christine Burricand

Les autres vidéos sont accessibles sur le site : https://oserlapaix.fr/Un-debat-riche-pour-la-paix


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