Pour Philippe Meirieu, dans les annonces du Ministre, rien ne va. « Les professeurs n’ont pas besoin qu’en un geste profondément démagogique et, à vrai dire, assez méprisant, le ministre leur donne plus de pouvoir » écrit-il dans cette tribune.

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Description générée automatiquement Quelques minutes à peine après la publication de l’enquête PISA, avant même que l’on puisse en analyser les résultats, le ministre de l’Éducation nationale a dévoilé, dans une lettre aux professeurs et aux membres de la communauté éducative, ses projets de réforme. Sans doute lui fallait-il donner le sentiment qu’il avait tout prévu et que, dans la guerre des clics qui fait rage, il ne perdait pas un instant pour réagir et coiffer tout le monde au poteau.

Mais l’immédiateté, en matière éducative, n’est pas une vertu. Les professeurs le savent bien, eux qui, au quotidien, travaillent justement pour que leurs élèves échappent aux lieux communs et aux solutions faciles afin d’accéder à une pensée réfléchie… Et les politiques devraient le savoir : les questions éducatives relèvent du temps long et exigent un travail en profondeur avec l’ensemble des partenaires concernés. Il faut de vraies concertations pour faire émerger, dans la confrontation des expériences et des expertises, des solutions nouvelles susceptibles d’entraîner l’adhésion de tous les acteurs. On ne peut se contenter de piocher, en fonction des mouvements de l’opinion, quelques formules du passé qu’on juge rassurantes. Il faut se coltiner la complexité du présent, envisager divers scénarios, identifier les enjeux, anticiper les coûts et les conséquences, trouver les lignes de passage entre des exigences souvent contradictoires. Une consultation-express par questionnaire ne suffit pas : elle ne donne, au mieux qu’une photographie des avis existants quand on aurait besoin d’une réflexion collective, à tous les échelons, pour construire des solutions nouvelles.

Mais sur la photographie, le ministre ne se trompe pas : il a compris que les professeurs vivent une période de profonde dépression. En manque de reconnaissance salariale et sociale, malmenés par des réformes successives appliquées brutalement, caporalisés par des instructions descendantes qui les réduisent à de simples exécutants, ils subissent de plein fouet aujourd’hui les effets de la libéralisation du système scolaire. Au point que même les professeurs les plus optimistes sont souvent découragés et que tous sont inquiets sur la place qu’ils auront dans la société de demain.

En réalité, les professeurs sont en demande d’autorité, au sens étymologique du terme : ce qui les autorise à remplir leur mission, une mission d’émancipation et de construction d’une société solidaire. Ils ont besoin d’autorité et le ministre croit les rassurer en leur donnant… du pouvoir ! Pouvoir sur les redoublements, bien sûr, la mesure emblématique de ses annonces. Pouvoir sur les notes qui, désormais, ne seront plus corrigées par le trop égalitaire « correctif académique ». Pouvoir sur le passage en seconde qui sera assujetti à l’obtention du DNB. Pouvoir de répartir les élèves en « faibles / moyens / forts » pour organiser des groupes de niveaux, dont on voudrait être certain qu’ils seront vraiment « flexibles ». Pouvoir de priver les mauvais élèves d’arts plastiques et de musique avant de les envoyer en stage pendant les vacances. Pouvoir de sanctionner finalement… bien loin de l’autorité authentique à laquelle les professeurs aspirent.

Le ministre veut nous faire croire qu’il nous « soutient » ainsi dans notre « expertise pédagogique ». Il se moque de nous ! Car nous avons effectivement besoin de soutien pour exercer cette expertise : ce soutien, c’est la revalorisation du métier, l’amélioration des conditions de travail, l’allègement des effectifs, la nomination de maîtres surnuméraires, une augmentation des heures d’enseignement dans les disciplines où elles ont fondu, une relance de l’éducation prioritaire, une vraie politique de mixité sociale… et, bien évidemment, une formation continue à la hauteur des enjeux que nous avons à affronter. Le ministre aurait, à ce sujet, dû étudier plus précisément les résultats de PISA depuis plusieurs années : il y aurait vu que les pays qui « réussissent » le mieux sont ceux où la formation continue des enseignants est la plus importante. Formation continue que, justement, il vient de réduire à une peau de chagrin en la cantonnant en dehors des horaires scolaires au lieu de recruter des titulaires-remplaçants.

Non, les professeurs n’ont pas besoin qu’en un geste profondément démagogique et, à vrai dire, assez méprisant, le ministre leur donne plus de pouvoir. Mais oui, les professeurs ont besoin d’une vraie autorité. Celle que leur confère une compétence sans cesse remise à jour. Celle que leur donne une institution de service public arrimée à des valeurs plutôt qu’aux fluctuations de l’opinion publique. Celle que leur donne la confiance de leur tutelle : une confiance qui ne leur impose pas la dernière méthode à la mode, n’éprouve pas le besoin de choisir à leur place les « bons » manuels ou de les faire assister par une intelligence artificielle qu’elle contrôle… Mais une confiance qui parie sur leur liberté pédagogique et les accompagne tout au long de leur carrière pour leur permettre d’en faire le meilleur usage au service de l’École de la République.

Philippe Meirieu

Dernier livre paru : Qui veut encore des professeurs ? Edition du Seuil