Cela fait des semaines, voire des mois, que les syndicats d’enseignantes et enseignants de lycée agricole alertent, le Café pédagogique évoquait déjà leur situation le 15 novembre dernier. Pourtant, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau reste sourd à leurs revendications. À l’image de l’action des agriculteurs, ces professeur·es ont occupé cinq DRAAF (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) – autorité académique de l’enseignement technique et supérieur agricole. Mais la réponse à leur mobilisation n’a pas reçu la même réponse que celle apportée à celle des agriculteurs et agricultrices…

Une image contenant habits, personne, homme, drapeau Description générée automatiquement Le 14 novembre dernier, une centaine d’enseignantes et enseignants de lycée avaient manifesté contre le changement de la méthode de calcul de leur temps d’enseignement dans le cadre de la réforme de la voie professionnelle. Pour ces enseignants, dès le 1er septembre, il s’agira de travailler plus pour gagner autant, voire moins dans certains cas. Au lieu de diviser le volume horaire de pluridisciplinarité par le nombre de semaines de présence des élèves dans l’établissement (en règle générale entre 27 et 29), la nouvelle règle sera de le diviser par le nombre de semaines à l’année. Pour donner un exemple, un professeur qui comptabilisait 1,07 heure hebdomadaire pour les cours pluridisciplinaires verra ce volume horaire passer à 0,78 heure avec le nouveau système de calcul.

Depuis, rien n’a changé. « On n’a pas avancé d’un iota » s’agace Frédéric Chassagnette du Snetap-FSU. « À deux reprises, nous avons interpellé le ministre de l’Agriculture. Malgré les promesses, notre situation est la même qu’il y a deux mois. Pire, Marc Fesneau nous a annoncé la généralisation de ce nouveau mode de calcul de nos rémunérations. C’est irrespectueux, nous sommes face à un ministre qui balaie d’un revers de main notre mobilisation, notre ras-le-bol ».

Cette position du gouvernement a de quoi étonner à la veille de la présentation d’une loi Avenir agricole – qui n’en finit pas d’être reportée, censée être centrée sur le renouvellement des générations d’agricole, et donc de la formation des futurs agriculteurs et agricultrices. « Au moment où tous les champs des métiers de l’agriculture font part de leur souffrance, envoyer un tel message est désastreux » selon le secrétaire général du syndicat. « Mobiliser les enseignants et enseignantes en leur donnant de l’élan, de la confiance, des moyens financiers et humains aurait été d’autrement pertinent que cette mesure en gestion minable ».

C’est dans ce contexte que l’intersyndicale, réunie sous la bannière « l’élan commun », a appelé ses adhérents à occuper pacifiquement les locaux de cinq DRAAF (Amiens, Bordeaux, Dijon, Lyon et Rennes). « À l’attitude irréprochable de tous et toutes les agents présents ce mardi dans les 5 DRAAF, le ministre, comme la DGER, n’ont apporté aucune réponse – sinon l’intervention des forces de l’ordre pour déloger les personnels mobilisés : quel mépris! », écrit l’élan commun dans un communiqué. « À des enseignant·es qui réclament le respect de leur métier et le fait de continuer de voir leur service pris en compte et être payé 1 heure pour 1 heure de travail fait sur les bases qui font consensus depuis 2004, le Gouvernement répond par l’envoi des forces de police et pas par une invitation au dialogue… ». « Deux poids, deux mesures selon les professions considérées ou non… » relèvent les syndicats, en référence à la mobilisation actuelle des agriculteurs et agricultures avec laquelle le gouvernement fait preuve d’une grande indulgence.

Des personnels en mal-être dans le public et dans le privé

Les difficultés que rencontrent les enseignants et enseignantes de lycées professionnels agricoles publics ne sont pas sans rappeler celles de celles et ceux de l’enseignement privé agricole comme le révèle la Fep-Cfdt, principal syndicat du secteur.

Et le privé, dans l’enseignement agricole, ça compte, et pour beaucoup. 60%des établissements de l’enseignement agricole sont privés sous contrat avec l’État. Ce sont quelque 88 000 collégiens et lycéens (contre 48 000 dans le public), et 560 établissements (contre 226). Il faut toutefois différencier les lycées agricoles privés (207), des maisons familiales rurales (369) et autres établissements spécifiques (26). Du côté des enseignants et enseignantes, s’ils avoisinent les 7 000 dans l’enseignement public, ils sont quelque 4 800 dans les collèges et lycées privés sous contrat à être rémunérés directement par l’État et à avoir leur carrière gérée par le service ressources humaines (SRH) du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA). Dans ces établissements, d’un point de vue pédagogique, il n’y a pas de grandes spécificités du privé par rapport au public. Les lycées privés sont tenus, de par le contrat passé avec l’État, de respecter les programmes et les politiques éducatives décidées par le MASA. « La grosse différence entre l’enseignement agricole public et l’enseignement agricole privé réside essentiellement dans la méthode de calcul du temps de travail des enseignants », explique André Jeffroy secrétaire national du syndicat. « En effet, dans le privé, le temps de travail est annualisé, ce qui n’est pas sans poser de problème. C’est l’un des combats de la Fep-CFDT ».

« La Fep-CFDT constate une nette dégradation du service et dénonce aujourd’hui, à travers un recueil, « Couacs en série », son incapacité à traiter correctement les dossiers administratifs de ses agents : retards sur salaire, enseignants absents des fichiers de promotion, erreurs d’indice… » explique le responsable syndical. « Cela fait maintenant plus d’un an que nous alertons le ministère sur le sujet. Celui-ci ne cherche pas à nier le problème. Il vient de lancer une campagne de recrutement de personnels et projette la création d’une plate-forme de suivi des requêtes. Mais, sur le terrain, les enseignants ne voient pour l’instant aucune amélioration et continuent de s’embourber dans des démarches administratives dont ils ne voient pas l’issue. Certains y voient du mépris, d’autres parlent de maltraitance et envisagent de démissionner… ».

Et le recueil publié par le syndicat est éloquent, il illustre par des exemples concrets les manquements du service des ressources humaines. « Avec cet ouvrage nous tentons de créer un électrochoc afin que le MASA se dote rapidement d’un service « ressources humaines » de qualité. C’est un minimum quand on souhaite en parallèle rendre plus attractif le métier d’enseignant, un des enjeux du pacte de loi d’orientation et d’avenir agricole (PLOAA) pour garantir la transmission des savoir-faire agricoles, accompagner la transition agroécologique et assurer le renouvellement générationnel ».

Décidément, que ce soit dans la voie générale et technologique, dans la voie professionnelle ou agricole, la dégradation des conditions de travail des enseignants et enseignantes s’accélère.

Lilia Ben Hamouda