Depuis vendredi 22 mars, un document présentant les écoles normales du XXIe siècle circule, entre les professeurs d’INSEP dans un premier temps, sur les réseaux sociaux ensuite. Si le ministère reconnaît l’existence de ce document, il rappelle qu’aucun arbitrage n’a été rendu. « Il n’a aucun statut autre que celui d’une version de travail parmi d’autres où sont exposées des hypothèses instruites entre les équipes des ministères concernés », nous dit-on. La ministre, Nicole Belloubet, a quant à elle affirmé attendre des arbitrages lors de son audition par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée, hier, le 27 mars, Pourtant, les acteurs et actrices de la formation des futurs professeur·es et les syndicats réagissent d’ores et déjà. C’est que ce dossier, ce n’est pas à Grenelle, ni même à Matignon, qu’il semble être traité, mais à L’Élysée. Emmanuel macron n’avait-il pas annoncé vouloir des écoles normales du XXIe siècle. Sa prière semble sur le point d’être exaucée.

 

Une image contenant plein air, ciel, bâtiment, façade Description générée automatiquement Le document « Écoles normales du XXIe siècle. Stratégie de formation et de recrutement des futurs professeurs », datant du 13 mars, et qui aurait fuité, présente un scénario plausible de la nouvelle version des futurs concours du professorat.

Les concours du professorat auraient bien lieu à Bac+ 3. Pour les professeurs des écoles, il se situerait après un cycle préparatoire de trois ans en Écoles normales supérieures du professorat des écoles pour 80% des effectifs au concours externe. En licence 1 et 2, les étudiants passeraient des tests. S’ils les réussissent, ils bénéficieraient d’une dispense d’épreuves. Les 20% de candidats restants accèderaient au concours après une licence disciplinaire – avec des modules de préparation au concours – mais n’auraient pas de la dispense d’épreuves.

Les candidats lauréats, qu’ils aient suivi une licence LPPE ou non, suivraient ensuite deux ans de formation en ENSP – Écoles normales supérieures du professorat. Une fois admis en ENSP les enseignants stagiaires seraient sous statut de la fonction publique et recevraient une formation de deux ans avec prise de fonction sur le terrain selon une progressivité renforcée. La première année, ils seraient pour un tiers du temps en pratique accompagnée sur le terrain et seraient rémunérés 1 400 euros net. La deuxième année, ils seraient à mi-temps en responsabilité, et donc seuls dans leur classe et prépareront la validation du M2. Ils seraient rémunérés 1 800 euros.

Pour les professeurs du second degré, le concours serait aussi positionné en fin de L3 après une licence disciplinaire et la possibilité de suivre des modules spécifiques. Pour les enseignants du collège, lycée et PLP (bivalents), les deux épreuves d’admissibilités vérifieraient les connaissances disciplinaires et la capacité d’analyse. Pour ceux de PLP en sections professionnelles, aucune vérification de la capacité d’analyse… Pour le PEPS et CPE, une maquette spécifique est prévue – mais aucune information sur celle-ci… La formation en M1 et M2 aurait la même proportion de temps devant élèves et serait rémunérée à la même hauteur.

Le gouvernement évalue l’impact budgétaire de cette réforme qui devrait être appliquée en 2025 à 616 millions d’ici fin 2030. On ne voit pas vraiment comment le gouvernement pourrait la financer…

Retour des professeurs techniciens, fin des ingénieurs pédagogiques

« Si on regarde le document de travail par rapport aux premiers scénarios, ils ont réduit la voilure sur le concours de professeur des écoles par rapport à ce qui était prévu », analyse Frédéric Pogent, responsable du département Sciences de l’Éducation à l’université de Brest. « Il était envisagé des licences labélisées et des licences LPPE qui s’appuient beaucoup sur les PPPE existants ». Pour rappel, le PPPE est un « est un parcours de licence dispensé en alternance entre le lycée et l’université, avec une professionnalisation et une universitarisation progressives », écrivait le Café pédagogique le 14 décembre dernier. « Il donne lieu à la délivrance d’une licence dans la majeure disciplinaire de référence qui porte le parcours PPPE. Des passerelles sont possibles avec d’autres voies de formation, mais le débouché logique de la licence est l’entrée dans un INSPE pour suivre un master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation mention premier degré et préparer le Concours de Recrutement de Professeur·es des Écoles ».

Le document qui a fuité inquiète l’enseignant-chercheur. Et cela à bien des égards. « Ce projet évoque un cadre national, avec une maquette nationale, sous un double chapeautage. Celui du ministère de l’Éducation nationale et celui de l’enseignement supérieur ». Et c’est bien cette idée de maquette nationale qui risque de ne pas passer au niveau des universités, avertit-il. « On aurait des maquettes uniques là où chaque université a aujourd’hui eu des offres de cursus différentes. À Brest, par exemple, nous avons plusieurs parcours de licences de sciences de l’éducation. On a un parcours PPPE, mais aussi un parcours école et enseignement qui est très large avec un tronc commun avec les Staps. Chaque université a sa maquette. C’est le propre de l’autonomie des universités qui élaborent leurs maquettes de formation ».

Même si les PPPE ont bien une partie de leur maquette qui est définie nationalement, c’est seulement sur la partie lycée et pas sur celle où la formation est dispensée en université, explique-t-il. « Cette uniformisation des maquettes sera un point d’achoppement extrêmement fort. Si ce scénario est retenu, le gouvernement va loin ». Pour les professeurs des écoles, c’est la totalité de la maquette qui serait cadrée, pour les enseignants du second degré, ce serait sur le modèle des PPPE. « On sent une volonté de reprise en main par le gouvernement du pédagogique », alerte Frédéric Pogent.

« Faire le choix de ce scénario, c’est vouloir un retour des professeurs techniciens, fonctionnaires de catégorie B. C’est signer la fin des ingénieurs pédagogiques que sont les enseignants et enseignantes aujourd’hui », commente-t-il. Mais ça ne l’étonne pas vraiment. « C’est dans la continuité du formatage initié sous ce gouvernement : labélisation des manuels, guides orange, rouges, verts… ».

Réactions syndicales : désaccord sur le niveau de recrutement

Si à la FSU-SNUipp, syndicat majoritaire du premier degré, on « peut se satisfaire du niveau de recrutement au niveau de la L3 et la validation du Master », c’est le contenu de la formation qui inquiète. « La généralisation d’une licence PPE – sur le modèle des PPPE – va limiter l’accès au métier », nous explique Guislaine David. « Quid des autres licences de types sciences de l’éducation, Staps ou autre discipline qui pouvaient conduire au métier de PE ? ». « Cette licence va enfermer les étudiants dans un seul parcours et si au final ils ne veulent plus être professeur des écoles après la licence, que feront-ils de cette licence si spécifique ? », interroge-t-elle. « On sent également une reprise en main par le ministère de l’Éducation nationale de la formation initiale au détriment des compétences des INSPE et des universités. Avec la mise en place de la politique du choc des savoirs, c’est très préoccupant », s’inquiète la porte-parole du syndicat. Autre motif d’inquiétude, la référence à des « enseignants repérés et choisis ». « Comment? Par qui ? Su quels critères? » s’exaspère Guislaine David qui estime que « la deuxième année de Master à mi-temps en responsabilité n’est pas une bonne idée », « on sait que la mise en responsabilité sur des moyens d’enseignement ne permet pas une bonne entrée dans le métier ».

Au Snes-FSU, le concours à bac+3, on n’en veut pas, il est synonyme de « régression ». Selon le premier syndicat du syndicat des enseignant·es du second degré, « il signifie une moindre qualification disciplinaire qui fragilise les métiers, mais aussi le service public d’éducation ». Sophie Vénétitay s’agace, aussi, du « mépris du dialogue social » du gouvernement qui « continue d’avancer ». « Nous découvrons ce document alors que nous avons eu en tout et pour tout une multilatérale et une bilatérale lorsque Gabriel Attal était encore ministre de l’Éducation nationale. Et on découvre, comme tout le monde, ce document ». « Faire cette réforme au pas de charge en six mois est d’un profond mépris pour le terrain, cela va mettre sous tension tous les acteurs pour avancer au pas de charge », ajoute-t- elle.

Sur le fond, le Snes-FSU estime que « le gouvernement s’entête sur un calendrier intenable, mais surtout sur une réforme inacceptable ». Outre le niveau de recrutement, le manque de communication, plusieurs éléments inquiètent le syndicat. La mention « professeur de collège » est l’un d’entre eux, « comme si les professeurs de lycée allaient être traités à part », s’exaspère la secrétaire générale. « Le corps existant est bien celui des PLC – professeurs de collège et de lycée. Si l’orientation présentée se confirme, cela serait une attaque frontale contre l’unité du second degré ». « C’est donc bien un projet idéologique et non pas une réforme qui vise à traiter correctement les questions de formation », conclut-elle.

Alors que les INSPE sont déjà à pied d’œuvre pour préparer la rentrée prochaine et que les maquettes sont en train d’être finalisées, tout est en suspens. Ce document qui aurait « fuité » est-il un ballon d’essai, une façon de « prendre la température » ? Les prochaines semaines devraient être éclairantes. La rentrée universitaire, c’est dans six mois…

Lilia Ben Hamouda

Ecoles normales du XXIe siècle v130324-20h00 (1)-1Ecoles normales du XXIe siècle