Le parti de Marine Le Pen incite ses militants à être très présents sur Internet, tout en essayant d’encadrer leur activité pour éviter les risques de dérapage.
29 avril 2015, à Strasbourg. Gaëtan Dussausaye, directeur du Front national de la jeunesse, anime une séance de formation pour une vingtaine de militants de son parti. Le jeune homme, proche du vice-président du FN Florian Philippot, interroge ses troupes : « Où chercher les informations ? » « Sur Egalité et réconciliation ! », le site de l’association fondée par Alain Soral, répond l’un. « Sur Polémia », celui de l’idéologue identitaire Jean-Yves Le Gallou, répond l’autre. « Sur Fdesouche », ce site qui agrège des faits-divers sur l’insécurité et l’immigration, avance un troisième. En bref, sur ce que d’aucuns appellent la « fachosphère ». Un rien désemparé, M. Dussausaye lâche, laconique : « C’est intéressant… » Et conseille plutôt à son auditoire de se diriger vers des lectures traditionnelles, comme Le Figaro ou Libération. « Soyez très prudents sur les réseaux sociaux, on trouve de tout… », ajoute-t-il.
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Etrange paradoxe que celui du Front national.
D’un côté, le parti de Marine Le Pen ne cesse de s’en prendre aux médias traditionnels : « Les Français n’ont plus aucune confiance dans les médias », répète à l’envi la candidate frontiste à l’élection présidentielle, qui enjoint plutôt aux électeurs de consulter directement son site de campagne pour s’informer. De l’autre, le FN ne se prive pas d’« utiliser » télévisions, radios et journaux pour essayer de faire passer son message. Et certains de ses dirigeants expriment volontiers leurs réticences face aux médias de la redoutée fachosphère. « Fdesouche passe son temps à dire du mal de nous », déplore Louis Aliot, vice-président du FN. « Fdesouche et [l’hebdomadaire d’extrême droite] Minute n’ont pas la même audience, mais ils sont aussi nuisibles », ajoute un cadre important de la campagne mariniste. En clair, tout ce qui n’est pas contrôlé devient potentiellement hostile.
Des campagnes électorales parasitées
Ce paradoxe s’applique aussi aux réseaux sociaux. Le Front national compte sur Twitter et Facebook pour élargir son audience, et influencer la « couleur » de la campagne, les thèmes qui seront mis en avant. Marine Le Pen avait donné le ton devant ses militants, le 1er mai 2016 : « Je le vois tous les jours, sur Facebook, sur Twitter, sur les forums : vous faites vivre le débat. Vous êtes intelligents, drôles, convaincants, vous ne correspondez pas à l’image que les médias veulent donner de vous. Pour 2017, j’espère que, grâce à Internet, vous serez une redoutable force de frappe démocratique ! » Mais le parti d’extrême droite craint comme la peste les dérapages potentiels de ses ouailles – en particulier sur Facebook – qui ont parasité les campagnes des élections municipales et départementales, en 2014 et 2015. « Nous devons utiliser les réseaux sociaux, car c’est eux qui feront gagner Marine Le Pen, à l’instar de Donald Trump. Le message est non modifié, non filtré », appuie Jean-Lin Lacapelle, secrétaire national aux fédérations et aux élections. Qui reconnaît dans le même mouvement : « Il y a eu une veille sur les réseaux sociaux dans le cadre des préinvestitures pour les législatives. Cela permet de voir rapidement si les personnes sont conformes, fidèles à la ligne politique et disciplinées. » Une question de contrôle, toujours…
Pour l’élection présidentielle de 2017, le Front national tente d’encadrer et d’impulser au maximum l’activité de ses militants sur Internet. Lors des assises présidentielles de Marine Le Pen, à Lyon, les 4 et 5 février, deux responsables de la cellule numérique de la candidate, Gaëtan Bertrand et Estelle Arnal, se sont relayés à la tribune pour prodiguer leurs conseils. Cette dernière a invité les militants à s’abonner aux comptes des dirigeants du parti et à partager en masse leurs messages. Mais aussi : « Dès qu’un article vous semble douteux ou caricatural, vous n’hésitez pas à commenter. » En s’efforçant de se montrer « constructifs », bien entendu. Pour l’autoproclamée candidate « du peuple », il convient de donner l’impression d’avoir une foule mobilisée en sa faveur.
L’usage de la publicité négative
Le FN a étudié la façon dont les militants favorables au Brexit, au Royaume-Uni, ou à la candidature de Donald Trump, aux Etats-Unis, ont agi en 2016. « Les mœurs ne sont pas les mêmes », convient Gaëtan Bertrand, qui dirige la cellule de quinze personnes chargée d’animer la campagne numérique de Mme Le Pen. Mais le trentenaire en a quand même tiré quelques enseignements. L’usage de la publicité négative, notamment.
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Dans la foulée de la victoire de François Fillon lors de la primaire de la droite, en novembre dernier, le Front national a lancé une campagne virale, « Le vrai Fillon », destinée à insister sur les handicaps supposés du député de Paris et de son programme : suppression de postes de fonctionnaires, déremboursement de médicaments, inauguration d’une mosquée à Argenteuil en 2010… Les différentes têtes de pont du parti, comme Marion Maréchal-Le Pen, David Rachline ou Florian Philippot, forts de leurs centaines de milliers d’abonnés sur Twitter ou Facebook, ont été invitées à relayer les bannières et autres mots-clés.
Certains jours, des mots-clés sont mis en avant sur Twitter, comme « #world4marine » (le monde pour Marine). Et l’on retrouve des internautes anonymes dans les forums de jeux vidéos, comme Discord, organiser la bataille pour le compte de la candidate. Mais, officiellement, tout cela se passe en marge du FN. « Il peut y avoir des contacts personnels entre un membre de l’équipe et un webmestre », reconnaît Gaëtan Bertrand, pour qui la fachosphère au sens large trouve sa « force » dans son « indépendance ». Des contacts plus officiels ont été pris avec l’administrateur du compte Twitter « Avec Marine », perçu comme influent, qui relaye des messages et informations favorables à la fille de Jean-Marie Le Pen. Une tentative de contrôler le flux qui prend des airs de vœu pieux.
En décembre, rien n’a empêché les cadres du parti d’afficher spontanément leur soutien à Marion Maréchal-Le Pen, qui avait été qualifiée de « personne seule et isolée » au sein du FN par Florian Philippot. « Le FN n’est pas un appareil aussi discipliné que vous l’imaginez. C’est aussi le cas sur Twitter ou Facebook », reconnaît un mariniste. Et c’est bien là tout le problème de sa direction.
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- Olivier Faye
Journaliste au Monde
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