Le 3 avril, le train des ripostes accélère

Photo Julien Jaulin/Hanslucas.com

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La mobilisation nationale des cheminots du 22 mars a tourné à la démonstration de force. Et la grève, à l’appel de l’intersyndicale CGT, CFDT, Unsa ferroviaire et SUD rail, s’annonce suivie le 3 avril. Le même jour, un débrayage est annoncé à Air France et dans la collecte des déchets, tandis que le 19 avril, la CGT passe à nouveau à l’action. Le gouvernement craint la contagion…

Des pétards qui détonent. Des sifflets de train, des sonos qui hurlent, des manifestants qui s’époumonent en scandant des slogans hostiles à la réforme ferroviaire, à la direction de la SNCF, au patronat, au gouvernement et au « président des riches ». Beaucoup de bruit, mais aussi des sourires et des rires qui traduisent un état d’esprit combatif. Le 22 mars, les cheminots ont massivement répondu à l’appel de la CGT, rejointe par la CFDT, l’Unsa et SUD rail. Ils sont 25 000, selon les organisateurs, à avoir battu le pavé parisien. Ils auraient pu être plus nombreux si la direction, inquiète de ce succès annoncé, n’avait pas annulé plusieurs trains de manifestants. Avec la grève suivie à 35,4 % alors que seuls SUD rail et l’Unsa avaient déposé un préavis essentiellement pour permettre aux manifestants de se rendre à Paris, la mobilisation a tourné à la démonstration de force.
Loin de les assommer, le déchaînement de propagande les désignant comme des « privilégiés » a attisé leur colère. Ce « cheminot bashing », comme le dénonce Emmanuel, strasbourgeois et syndiqué CFDT, a même pour effet de ressouder les salariés entre eux alors que la désunion syndicale et les cloisonnements internes de l’entreprise, fruits des restructurations incessantes imposées par la direction, ont contribué à les diviser ces dernières années. Dans le cortège dominé par les couleurs de la CGT, beaucoup de jeunes et de non-syndiqués à l’image de Laura, guichetière à Paris qui, à 30 ans, défile pour la première fois et dit son « ras-le-bol » d’être désignée « responsable de la situation alors que, nous, subissons la dégradation des conditions de travail ». Les cadres, sur lesquels la direction avait pris l’habitude de s’appuyer pour réduire les effets des conflits en leur faisant remplacer des grévistes, sont aussi très nombreux. « Du jamais-vu, mon service Ingénierie et Développement est en grève à 50 % », témoigne David, syndiqué l’Unsa, « révolté contre la casse de l’entreprise » et « bien déterminé à obtenir l’abandon de la réforme ». Les adhérents des syndicats dits « réformistes » sont au diapason de ceux de la CGT. « Le service public n’est pas négociable », assène ainsi Rémy, conducteur de train, syndiqué CFDT, venu d’Alsace. Les Nancéiens Lucie et Julien, qui dansent en agitant le drapeau de leur syndicat CGT, ne cachent pas leur joie. « Il y a une vraie prise de conscience dans la SNCF. À part la direction, il n’y a plus grand monde pour soutenir le gouvernement », expliquent-ils. Absentes de la mobilisation contre la réforme ferroviaire de 2014, pourtant inspirée par la même logique que celle de Macron, la CFDT et l’Unsa sont, cette fois-ci, partie prenante. « La culture de l’Unsa, c’est la négociation, mais nos mandants sont en colère », explique son secrétaire général, Roger Dillenseger.
Le gouvernement, qui a perdu la bataille idéologique dans l’entreprise, va-t-il remporter celle de l’opinion ? Si, selon un sondage Odoxa paru le 23 mars, 58 % des personnes jugent qu’« une grève reconductible et illimitée n’est pas justifiée », elles sont 50 % à estimer que « le gouvernement doit tout faire pour éviter cette grève, quitte à renoncer à certains points de sa réforme ». Enfin, selon une autre enquête du même institut parue le 21 mars, 55 % des personnes interrogées trouvaient « justifiée » la mobilisation du 22 mars. Malgré le torrent de propagande déversé, rien n’est donc acquis pour le gouvernement, comme en témoignent les prises de position nouvelles en faveur des cheminots. « Depuis le 22 mars, nous recevons de nombreux mails d’usagers nous encourageant », explique Bruno Poncet, de SUD rail, qui, récemment, rapportait au contraire dans « l’Humanité Dimanche » (n° 600 du 8 au 14 mars) des manifestations d’hostilité. Inédit, une trentaine d’écrivains, d’artistes et d’intellectuels, dont Annie Ernaux, Laurent Binet, Étienne Balibar ou encore le cinéaste Robert Guédiguian, ont aussi lancé sur Mediapart un appel à la solidarité financière baptisé « Une cagnotte pour les cheminots grévistes » (www.leetchi.com/fr/Cagnotte/31978353/a8a95db7).
L’état d’esprit combatif des cheminots est-il contagieux ? En tout cas, le secrétaire général de la CGT services publics, Baptiste Talbot, estime que « le fatalisme et le doute sur la possibilité de gagner, nourris par le passage en force de la loi El Khomri et des ordonnances Macron, reculent dans les têtes ». Le syndicaliste en veut pour preuve « une présence accrue des jeunes et non-syndiqués » aux 180 manifestations qui ont rassemblé 500 000 personnes en France (cheminots compris) à l’appel de l’intersyndicale (CGT, CFE-CGC, FSU, FO, Solidaires, FA-FP, CFTC et CFE-CGC). Un nombre en progression par rapport à la précédente mobilisation (400 000, selon la CGT). Le ministère de l’Intérieur a compté, lui aussi, plus de manifestants (323 000, le 22 mars, contre 209 000, le 10 octobre).
Après le succès du 22 mars, le gouvernement assure qu’il ne reculera pas. En déplacement à Bruxelles le jour-même, Emmanuel Macron a affirmé que « l’impact (des mouvements sociaux) n’existe pas » et qu’ils ne sont pas de nature à conduire le gouvernement à revenir sur ce qui a commencé à être mis en œuvre ». Reste que cette sérénité affichée cadre mal avec l’attitude du gouvernement. Ainsi, selon la CGT, l’exécutif a tenté de minimiser la mobilisation dans la fonction publique en faisant « disparaître les grévistes ». Alors que le nombre de manifestants est en hausse, les taux de grévistes annoncés sont en léger recul par rapport au 10 octobre (12,8 % dans la fonction publique d’État, 8,11 % dans la territoriale et 10,9 % dans l’hospitalière). Symptôme de la fébrilité qui le gagne, le gouvernement lâche aussi du lest. Après la « correction » de la hausse de la CSG pour 100 000 retraités, annoncée le 21 mars par le premier ministre Édouard Philippe, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé, le 23 mars, qu’il proposerait « des rattrapages » de salaires aux métiers « mal payés » de la fonction publique.
Ces manœuvres visent à désamorcer la crise sociale qui couve. Le succès de la manifestation nationale des cheminots annonce une grève fortement suivie les 3 et 4 avril prochains. C’est aussi le 3 avril qu’a choisi l’intersyndicale d’Air France pour une nouvelle grève sur les salaires (voir page 19). C’est la même date que les fédérations CGT des transports et des services publics ont choisie pour appeler les éboueurs à une grève reconductible pour « la reconnaissance de la pénibilité ». L’exécutif n’en a pas fini non plus avec les fonctionnaires, dont l’intersyndicale devait se réunir le 27 mars au soir. Enfin, la CGT a annoncé une journée d’action interprofessionnelle le 19 avril prochain pour « les services publics, l’emploi et les salaires ».

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