Paysans, un monde au bord du gouffre

Photo Mehdi Fedouach/AFP.

Photo Mehdi Fedouach/AFP.

Un an après son discours de Rungis qui promettait de meilleurs prix, le président Macron demande aux paysans de se débrouiller seuls face aux transformateurs et aux distributeurs. Alors même que le monde rural affronte les effets de la sécheresse et s’inquiète de l’avenir de la PAC.

C’était le 11 octobre 2017 au Marché d’intérêt national (MIN) de Rungis. Trois mois plus tôt, le nouveau président de la République avait mis en place les états généraux de l’alimentation dont les travaux des différentes commissions devaient contribuer à une montée en gamme des produits alimentaires, à une moindre utilisation de la chimie en agriculture et, surtout, à une meilleure rémunération du travail des paysans. Ces échanges devaient faciliter le travail des parlementaires afin que la loi, prévue pour le printemps 2018, permette aux paysans de tirer un revenu décent de leur travail.

À Rungis, Emmanuel Macron avait déclaré : « Je souhaite que nous puissions acter, à la lumière de vos travaux, quelques décisions concrètes. La première, c’est la mise en place d’une contractualisation rénovée avec un contrat qui serait proposé par les agriculteurs et non plus par les acheteurs, ce qui est à ce titre et à mes yeux fondamental. Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production. » Voilà qui semblait clair aux yeux des paysans. Même si la formulation concernant « cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production » pouvait être piégée, « en même temps ».

Douche froide

C’était le 9 octobre 2018 au matin, à l’Élysée. La loi alimentation venait d’être votée quelques jours plus tôt et Emmanuel Macron recevait les seuls représentants des principales filières de production de la viande bovine et porcine, des œufs, du lait, des fruits et légumes qui subissent des prix trop bas depuis plus de trois ans. Ils étaient reçus sans leurs interlocuteurs de l’aval que sont les industriels de l’agroalimentaire, qui transforment leurs produits, et les distributeurs, qui les vendent aux consommateurs.

Avant même que ne débute cette réunion, le service communication de l’Élysée distillait des informations laissant entendre qu’Emmanuel Macron avait choisi de culpabiliser les syndicalistes paysans, les rendre seuls responsables des difficultés qu’ils rencontrent face à des firmes comme Bigard dans la transformation de la viande ou Lactalis dans celle du lait. En occultant aussi la pression que Leclerc, Carrefour, Auchan et autres Casino mettent sur les PME de l’agroalimentaire dans la négociation annuelle qui se déroule entre novembre et février pour être référencés douze mois durant dans les magasins de ces enseignes. Le matin même de la tenue de la réunion du 9 octobre, le quotidien « les Échos » titrait un éditorial écrit la veille au soir : « Macron se veut ferme avec les agriculteurs ». Et notait de manière objective que « les industriels les plus radicaux ont repris leurs positions, laissant peu, voire pas de place à autre chose que la loi du plus fort ».

Des députés godillots

Dans les éléments de langage, distillés par les communicants de l’Élysée en direction de la presse, figurait un argumentaire étudié pour trahir le monde paysan tout en le culpabilisant. En voici un petit florilège : « On ne peut pas se substituer à des acteurs qui, depuis des années, ne savent pas se structurer. (…) L’État a fait pleinement sa part en faisant une loi forte, avec des outils, une vision et un cap clairs pour que les agriculteurs puissent vivre pleinement de leur travail. C’est aux acteurs de s’en emparer. La balle est dans leur camp. »

Pour décrypter ce langage, il faut savoir que le chef de l’État et le gouvernement n’ont pas voulu utiliser les chiffres fournis chaque année par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Confrontés à la mauvaise foi de leurs interlocuteurs de l’aval, les syndicalistes paysans des différentes filières ont souhaité que la loi intègre ce recours aux chiffres de l’observatoire. Ce fut voté par une majorité de sénateurs. Mais, le mot de la fin revenant aux députés, les « godillots » du groupe LaREM furent sommés par l’Élysée et Matignon de ne pas ternir cette possibilité lors du vote final.

Le vote de cette loi est intervenu après un été et un début d’automne marqués par la sécheresse. Les rendements céréaliers sont en baisse de 20 à 25 % par rapport à une année moyenne. Les prairies ne produisent plus d’herbe depuis des mois, ce qui augmente le prix de revient de chaque litre de lait et de chaque kilo de viande, que l’on produise de la viande bovine ou ovine. Les producteurs de viande porcine, de volaille et d’œufs subissent les effets de la hausse du prix des céréales. Les producteurs d’œufs ont démontré que leur prix de revient a augmenté de 10 % entre décembre 2017 et août 2018. En effet, le prix des aliments composés a grimpé de 16,6 % entre ces deux dates alors que ce poste aliments représente à lui seul 60 % du coût de production. Mais rien dans la nouvelle loi n’oblige les distributeurs à en tenir compte et à augmenter le prix d’achat en conséquence. Il leur suffit de dire qu’ils ne sont pas d’accord avec les chiffres fournis par les éleveurs. C’est pour leur laisser cette possibilité de contester la vérité des chiffres que le chef de l’État a refusé que la loi permette de recourir à ceux de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

Négation du temps de travail

Alors que les conséquences de la sécheresse vont augmenter durablement les coûts de production dans l’élevage, les paysans ne vont pas pouvoir faire admettre cette réalité à leurs partenaires de l’aval. Président de la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA, Bruno Dufayet pouvait dire lors du récent sommet de l’élevage, dans la banlieue de Clermont-Ferrand : « Nous avons proposé le prix de revient en tenant compte de nos charges, des aides de la politique agricole commune, en nous appuyant sur les indicateurs de l’Institut de l’élevage et en ajoutant notre rémunération sur la base de 2 600 heures annuelles de travail. Cette prise en compte du temps de travail n’a pas été acceptée », par les partenaires de l’aval.

Nous sommes dans un pays où les transformateurs comme les distributeurs peuvent importer sans limites des produits alimentaires des autres pays membres de l’Union européenne, voire des pays tiers pour faire chuter les cours des animaux comme de divers produits sur le marché intérieur. En suggérant en ce début d’automne que les paysans, maillon faible de chaque filière, puissent obtenir des prix rémunérateurs alors qu’ils vont devoir vendre trop d’animaux, faute de pouvoir les nourrir cet hiver, le locataire de l’Élysée les a trahis de manière ignoble. Mais c’est aussi cela le « et en même temps » cher à Emmanuel Macron.

Gérard Le Puill

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