Kiti Mignotte : « MANA-Vox classe les entreprises qui nuisent à l’environnement » In Alternatives économiques

Kiti Mignotte Fondatrice de Mana-Vox.org

Fondatrice de MANA-Vox, une plate-forme en libre-accès qui évalue l’impact des entreprises sur l’environnement, Kiti Mignotte a travaillé au WWF et dans la finance responsable avant de se pencher sur les marchés carbone au sein de l’ONG Gold Standard.

Cette diplômée d’un master de l’université de Dauphine en Finance, Energie, Carbone estime que c’est surtout l’échange d’informations qui permettra de changer les pratiques des entreprises. Car elles sont sensibles au risque sur les marchés financiers. Et c’est ce que fait MANA-Vox en attribuant un niveau de vigilance aux entreprises qui causent des dégâts à l’environnement

Vous avez lancé la plate-forme MANA-Vox le 17 octobre dernier. A quels besoins souhaitiez-vous répondre ?

A lire Hors-série n°02 OBLIK – 10/2018

Faites l’expérience. Allez chez votre banquier et dites-lui que vous ne voulez pas que votre argent soit investi dans des entreprises polluantes, dans un groupe qui utilise de l’huile de palme par exemple. Il sera très démuni. Y compris les conseillères et conseillers qui travaillent dans l’investissement socialement responsable (ISR).

Il manquait un outil simple qui permette aux décideurs d’exclure de leurs portefeuilles les entreprises qui concentrent le plus de messages négatifs sur leur impact environnemental

Les informations sont très fragmentées, difficiles à analyser. La société civile, les ONG, les pourvoyeurs d’informations de type Factiva disposent de données, tout comme les agences de notation extra-financière. Mais celles-ci sont organisées en silo ou payantes. Il n’existe pas de lieu qui centralise et actualise gratuitement au jour le jour les informations sur l’impact environnemental des entreprises partout dans le monde.

Il manquait un outil simple qui permette à ces décideurs d’intégrer ces informations et d’exclure de leurs portefeuilles les entreprises qui concentrent le plus de messages négatifs sur leur impact environnemental.

Comment fonctionne cette plate-forme ?

MANA-Vox établit un ranking, un classement des entreprises en fonction de l’attention négative qu’elles suscitent en matière environnementale. Pendant plus de deux ans, nous avons développé cette plate-forme qui utilise l’algorithme Watson d’IBM.

Dans un premier temps, nous nous appuyons sur les échanges qu’entretiennent les ONG – essentiellement le WWF, les Amis de la terre et Greenpeace –  avec leurs sources. Ce qui nous a permis d’identifier 3000 lanceurs d’alerte crédibles partout sur la planète. Et nous avons surpondéré ce qui est local. En matière de déforestation, ces sources sont essentielles pour remonter de l’information depuis des zones où certains écosystèmes sont particulièrement menacés, en Indonésie ou dans le bassin du Congo pour ne citer qu’elles.

Après avoir identifié des sources nos algorithmes les « écoutent ». Ils analysent ce qu’elles relaient : pétitions, mobilisations, sanctions, retraits de label, rapports, tweets… Nous avons ainsi recensé plus de 1000 incidents que notre équipe classe ensuite dans une centaine de dossiers de controverses concernant des entreprises qui causent des dommages à l’environnement. L’algorithme nous permet de faire baisser la volumétrie des documents qui remontent. Plus il analyse, plus il affine et plus il apprend.

La plate-forme est en open source. Quel est votre modèle économique ?

Nous voulons que cet outil reste totalement gratuit. Pour le grand public comme pour les décideurs. C’est ce qui fera que MANA-Vox pourra agir comme une caisse de résonnance. Les décideurs disposent aujourd’hui du résultat, du classement, mais pas de la statistique qui permet d’y aboutir. C’est cette statistique que nous pouvons monétiser à terme. L’objectif est également de lever des fonds auprès d’institutionnels et d’acteurs publics.

Nous voulons que cet outil reste totalement gratuit

Jusqu’à présent, le développement de MANA nous a coûté 200 000 euros. Le projet a bénéficié du soutien de donateurs privés. Nous fonctionnons avec une équipe réduite de quatre personnes, dont une salariée et un jeune en contrat de professionnalisation. L’association à but non lucratif MANA Community compte par ailleurs 35 personnes, bénévoles, avec des profils très divers issus du monde de la finance, des ONG et du digital. Elles se sont énormément investies pour développer le produit techniquement mais aussi pour faire connaître MANA-Vox auprès des parties prenantes.

Existe-t-il d’autres modèles comme MANA-Vox ?

Il n’existe pas d’équivalent dans le monde. De belles initiatives comme celle de Environmental Justice Atlas (EJ Atlas) ont vu le jour. Cette coalition d’universitaires, d’origine espagnole, repère les impacts environnementaux grâce aux sources locales mais elle fonctionne différemment. Elle attend que les médias reprennent les informations. A ce jour, il n’y a pas de classement qui puisse être utilisé par les décideurs économiques, en France et à l’étranger.

Quelles sont les prochaines étapes que vous envisagez ?

Aujourd’hui, nous sommes concentrés sur la déforestation. Parce que la forêt est un sujet capital sur lequel il faut travailler si on veut vraiment faire baisser les émissions de carbone. Mais demain, l’outil MANA-Vox est duplicable sur d’autres terrain comme l’eau douce, les océans, la biodiversité…

La forêt est un sujet capital sur lequel il faut travailler si on veut vraiment faire baisser les émissions de carbone

A ce jour, nous ne suivons que 35 entreprises considérées comme ayant le plus d’impact sur la forêt mais la liste est plus longue.. A terme, notre volonté est d’en agréger des milliers d’autres. Plus nous aurons du volume, plus nous pourrons mettre au point un indice pertinent qui, au-delà du classement que nous réalisons aujourd’hui, pourra dresser un historique de chaque entreprise et établir des comparaisons entre groupes.

Notre souhait est aussi de faire participer les citoyennes et les citoyens. Nous développons en ce moment une appli qui permettra à chacun de valider sur son téléphone, de manière très simple, ce que les sources ont relevé comme incident.

Vous avez travaillé sur les marchés carbone. Sont-ils une solution pour faire baisser les gaz à effet de serre ?

J’ai cru que le marché allait financer les solutions. J’ai pensé que le marché carbone allait conduire à une réduction des émissions de CO2. Je me suis trompée. Les marchés n’ont aucune considération éthique. La tonne de CO2 est revendue et achetée comme le sont toutes les matières premières, sans que cela ne fasse baisser les gaz à effet de serre. Je pense que c’est l’échange d’information qui fera évoluer les pratiques des entreprises.

Le jour où un indice d’impact environnemental sera capable d’influer sur la cotation boursière des entreprises, nous aurons remporté une victoire pour la préservation de notre environnement

Les marchés sont très sensibles au risque. Le jour où un indice d’impact environnemental sera capable intégrer aux outils de gestion du risque et ainsi d’influer sur la cotation boursière des entreprises, toute la finance traditionnelle suivra et fera pression pour qu’elles changent leur comportement. Si nous y parvenons, nous aurons sans doute remporté une sacrée victoire pour la préservation de notre environnement.

Propos recueillis par Sandrine Foulon

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