LE CERCLE/POINT DE VUE – Autrefois libéral, le médecin est devenu aujourd’hui un salarié déguisé. Partant de ce constant, Guy Vallancien, membre de l’Académie de médecine, propose que les généralistes soient payés en salaire.

Le débat n’est pas récent, mais l’attrait des jeunes médecins pour le salariat, associé à l’inflation de prescriptions d’actes inutiles doivent nous amener à réviser nos vieux concepts reposant sur la sacro-sainte notion de médecine libérale. Avant l’émergence des organismes de solidarité, la médecine reposait sur le trio : liberté d’installation, de prescription et de paiement direct.

Aujourd’hui, le médecin n’est plus libéral au sens propre du terme, car l’intercession des organismes payeurs publics comme privés en fait, de fait, un salarié déguisé. Le tarif des consultations et des actes est en effet fixé après négociation avec les syndicats, et des enveloppes complémentaires sont allouées selon des critères co-définis tel que le contrat d’objectif de santé publique qui complètent les revenus des médecins.

Une véritable usine gaz financière a été engendrée, année après année.

Le chiffre d’affaires moyen d’un généraliste en Haute-Marne, zone de désert médical, s’élève à 165.000 euros par an en moyenne, contre 123.000 dans les Bouches-du-Rhône, région en surpopulation médicale. En moyenne nationale, il est de 145.000 euros, soit, en bénéfice non commercial (BNC) avant impôts de 78.000 euros, compte tenu d’environ 45 % de charges diverses. N’arrivant pas à s’entendre sur les modes et le niveau de rémunération, la tutelle, les assureurs et les syndicats médicaux ont engendré, année après année, une véritable usine gaz financière, qui ne satisfait personne.

Sortir des postures braquées

Que faire ? La rémunération à l’activité, tant en médecine de ville qu’à l’hôpital, n’est plus la solution, en raison de l’inflation de prescriptions et d’actes inutiles évaluée à 25 % de la production de soins par l’OCDE. Le niveau scandaleusement faible de la majorité des honoraires de consultation (en moyenne 31 euros chez le généraliste, compte tenu de la variation des tarifs selon la coordination et la complexité des actes) est la cause principale de ces effets pervers.

Transformer le paiement à l’acte en salaire aura la vertu de mieux rémunérer le médecin sans l’assujettir, tout en lui garantissant une retraite, des congés annuels et de maternité moyennant une activité déterminée sur la base du nombre de malades pris en charge, des forfaits de prise en charge et des résultats obtenus au moyen d’indicateurs simples collectés dans les bases de données des organismes payeurs.

Pour réussir ce pari, nous devons impérativement sortir des postures braquées fustigeant la fonctionnarisation des médecins, et négocier le virage d’une médecine qui doit rester entrepreneuriale sans plus s’afficher comme libérale puisqu’elle ne l’est plus.

D’autres formes de revenus

21 milliards d’euros par an sont dépensés pour payer nos médecins de ville selon la DREES. En réduisant de 25 % en dix ans leur nombre (surtout les spécialistes) à cause du développement de l’intelligence artificielle et de la robotique ainsi que grâce à l’injection massive dans le système d’assistants médicaux issus des carrières infirmières acquérant plus de responsabilités, on récupère 5.2 milliards.

Nous pourrions alors mieux financer les deux métiers qui devront collaborer étroitement. Trente mille infirmiers assistants à 4.000,00 euros net par mois représentent une dépense de 2,9 milliards. La réduction du nombre de médecins permettra de gagner 2,3 milliards à redistribuer en les payant mieux dans un partenariat gagnant-gagnant au lieu de jouer au chat et à la souris à force de conventions qui ne satisfont personne.

Croire que l’on vend son âme en étant salarié est une injure à tous elles et ceux qui travaillent dans d’autres branches de l’activité économique et pour avoir exercé en libéral, en hospitalier public puis privé, je n’ai jamais eu le sentiment d’être contraint, quel que soit le système de rémunération. Il est temps de nous atteler à la promotion d’autres formes de revenus que le paiement de l’acte qui ne répond plus aux exigences des temps nouveaux qui s’ouvrent.

Guy Vallancien est membre de l’Académie de médecine et président de CHAM.

Guy Vallancien