Michel Serres est mort samedi soir à l’âge de 88 ans. Le philosophe agenais, amateur éclairé de rugby et supporter du SU Agen, était viscéralement attaché au fleuve qu’il a quitté sans faire de bruit.
« Garonne » a perdu son enfant chéri.La chemise est blanche mais le regard sombre. Ce dimanche matin, devant chez lui, à Astaffort dans le Lot-et-Garonne, Jean-François Gardeil ne cache pas sa tristesse sous ce soleil arrogant. Son père, Pierre Gardeil, professeur de philosophie, musicien, écrivain, philosophe et Gascon d’exception, a été l’ami de Michel Serres qui s’est éteint samedi soir. Les deux intellectuels ont été liés par la pensée de René Girard et sans doute aussi par la foi.
Jean-François, baryton, fondateur de la compagnie des Chants de Garonne, a souvent échangé au téléphone avec Michel Serres sur le sujet cher à tous les Agenais : le SUA. L’académicien avait joué au rugby. Le regard de l’Astaffortais s’illumine. « Michel, troisième ligne, avait disputé une finale universitaire. À la fin du match, il s’avance vers un adversaire qu’il a trouvé redoutable, lui demande son nom. L’autre répond : Moncla ! François !*». Nous rigolons. Le rire chasse la mort comme le vent les nuages.
« Je quitterai la vie comme je me suis levé mille fois de table. J’aurais perçu un bruit à la porte. Il interrompra le festin. Je le reconnaîtrai ». Ces mots, Michel Serres les a prononcés sur les planches du théâtre Ducourneau, à Agen, en octobre 2012, à l’occasion d’un spectacle donné avec la divine cantatrice agenaise Béatrice Uria-Monzon. Guichets fermés. Esprits ouverts. Du texte et des chants. Sagesse et beauté.
Le jour de sa mort, il devait être dans une librairie à Agen
Cette création avait été inspirée par le décès de Pierre Gardeil dont Béatrice a été l’élève. Michel Serres s’est découvert un peu à l’occasion car, derrière le personnage médiatique, il y avait de la pudeur. De l’humour aussi. « Il était facétieux, plaisantait, se faisait volontairement charmeur avec les dames », raconte Bruno Rapin alors directeur du théâtre.
Ce fils « d’un pêcheur de sable et casseur de cailloux », a toujours semblé écartelé entre le désir d’ailleurs, d’Amérique, de Brésil, de Clermont-Ferrand, et l’attachement à ses racines. Il a prôné l’universel mais vanté le local. « Il pouvait paraître double, explique Jean-François Gardeil, mais il ne l’était pas. Par contre, quand il n’avait pas le moral, sa pensée, comme un jokari, revenait vers les bords de Garonne. Personne n’imagine à quel point il était viscéralement attaché au fleuve ».
« La Garonne, son fleuve nourricier, a donné à sa pensée et à son cœur la force de son courant, en période de crue comme en période calme. Il a nourri la pensée contemporaine habitée par une foi en l’Homme et en son destin ». L’hommage est de Paul Chollet, ancien maire d’Agen et ami. Il hébergeait le philosophe lorsque ce dernier abandonnait Vincennes, en banlieue parisienne, pour se ressourcer dans sa ville natale. Il devait d’ailleurs y venir, ce samedi 1er juin, jour de sa mort, pour dédicacer son dernier ouvrage, Morales espiègles, dans une librairie agenaise. « À chacune de ses venues, glisse le docteur Chollet, je me suis arrangé pour passer avec lui sur la voie sur berge. Chaque fois, j’ai vu son regard s’allumer dans la contemplation de son fleuve ».
Un Immortel passionné de rugby et du SUA
Depuis plusieurs années, à chaque match du SUA à Armandie, Michel Serres passait un coup de fil à René Laffore, dernier rédacteur du Livre d’Or du SUA, pour connaître le résultat de la rencontre – il n’avait pas la chaîne cryptée – ou pour la commenter. Des liens s’étaient tissés entre ces deux passionnés du Sporting. Tant et si bien que l’Immortel avait accepté, en juillet dernier, de venir partager une lamproie dans la maison de famille de René Laffore, à Saint-Léger, à 5 mètres de Garonne.
Déjà faible, amaigri, Michel Serres avait été, comme toujours, étincelant. Jusqu’au bout, il a affronté la maladie avec un immense courage. À la fin du repas, il s’était levé de table. Est-ce qu’il a reconnu un bruit ? Nous ne le saurons jamais mais il a prononcé une phrase que René Laffore n’oubliera pas : « Je vais dire adieu à Garonne ».
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