Rappel des faits Après les élections européennes, des militants de gauche, syndicalistes, responsables associatifs prennent la parole et ouvrent le débat.
Services publics, transition écologique et démocratie
Président de la Fondation Gabriel-Péri, Alain Obadia
Conjurer les scénarios catastrophiques qui menacent et ouvrir une issue positive à la crise d’une extrême gravité que traverse notre pays sont des impératifs majeurs et urgents. Cela passe par le rassemblement de toutes les énergies qui aspirent à construire un avenir de progrès humain respectueux de la planète. Cela ne pourra advenir que par la recherche d’objectifs communs ouvrant sur des batailles rassembleuses marquées par les préoccupations de progrès social, de lutte contre toutes les discriminations, de nouvelles conquêtes démocratiques et écologiques. Ce processus inclut, bien sûr, des discussions entre les formations politiques de gauche. Mais il les dépasse largement et doit s’appuyer tout autant sur les mobilisations sociales et citoyennes qui placent le progrès humain et écologique au cœur de leur démarche. Il doit en retour en favoriser l’essor et le développement. Il existe, en effet, beaucoup plus de créativité transformatrice dans la société qu’on ne le pense souvent. Reconstruire à gauche, dans les conditions d’aujourd’hui, implique cette vision « grand angle ». Il est évidemment impossible dans cet article d’aborder toutes les thématiques à mobiliser pour créer la dynamique nécessaire. Je me limiterai donc à mentionner trois questions.
Les services publics sont au cœur de nombreuses mobilisations. La concurrence libre et non faussée, objectif central de l’Europe néolibérale, détruit nos services publics. Nombre d’entre eux sont désormais en état de rupture et dans l’impossibilité de répondre à leurs missions les plus basiques. C’est notamment le cas de l’hôpital public aujourd’hui sinistré. Le devoir d’une gauche transformatrice est de créer toutes les conditions, en lien avec une sécurité sociale retrouvant sa vraie place, pour que l’hôpital public joue le rôle qui doit être le sien en ce début du XXIe siècle. Comme tous les services publics, l’hôpital est un bien commun au service de tous. Il doit être géré, de manière profondément démocratisée, pour apporter une réponse de qualité aux besoins en matière de santé.
Le système éducatif public est lui aussi l’objet d’une offensive qui vise à le soumettre à une logique de marchandisation grandissante. Ce processus, déjà bien avancé dans l’enseignement supérieur, est en train de s’implanter à grande vitesse dans le secondaire et de s’immiscer dans le primaire. Il rencontre une résistance, sur laquelle nous devons nous appuyer et que nous devons contribuer à renforcer, pour que l’objectif d’un système d’enseignement public vecteur d’égalité et d’émancipation humaine, au service de chaque jeune, garde tout son sens.
L’urgence climatique fait l’objet d’une mobilisation remarquable de la jeunesse. Elle est à proprement parler vitale. Mettre en œuvre les décisions indispensables pour permettre de respecter les objectifs de l’accord de Paris implique une volonté politique capable de résister sans faiblesse aux lobbies, aux multinationales et, plus généralement, à la rapacité du capital. Une transition écologique conjuguant étroitement écologie, social et démocratie est un objectif majeur pour toute reconstruction à gauche.
La troisième question est celle de la démocratie. Des millions de gens constatent que leur opinion n’est jamais prise en compte même quand elle est majoritaire. Nous devons renforcer la capacité de la souveraineté populaire à s’exercer vraiment. C’est vrai bien sûr dans le domaine des institutions, ce doit être vrai également s’agissant des nouveaux pouvoirs d’intervention directe dans la cité comme dans l’entreprise.
Pour un projet commun
Porte-parole d’Attac: Aurélie Trouvé
Les résultats des élections européennes ont confirmé la grande faiblesse de la gauche politique en France : à peine plus de 30 % des voix, tous partis confondus. Un plancher historiquement bas. La responsabilité des derniers gouvernements prétendument de gauche est énorme, tant leur politique néolibérale a galvaudé l’idée même de gauche. La situation est d’autant plus frustrante que les derniers mois ont vu un puissant mouvement social, les gilets jaunes, mettant en avant la justice sociale et fiscale et le besoin d’une profonde transformation des institutions. Sans oublier les mouvements pour le climat, pour la liberté de manifester, contre la loi Blanquer et tant d’autres. En tant que militants des mouvements sociaux, nous sommes pleinement concernés. Nous ne pouvons nous résigner à vivre encore pendant des années les reculs sociaux et l’inaction face à l’urgence écologique, menée par une droite néolibérale au service des ultra-riches et en connivence avec les multinationales. Nous ne pouvons accepter que la seule alternative soit l’extrême droite xénophobe.
Bien malin qui peut prévoir comment cette gauche politique va se reconstruire. Mais on peut au moins identifier ce qui l’empêche de le faire. En premier lieu, la bataille des ego et des chapelles. En second lieu, l’attente d’un homme ou d’une femme providentielle, sans construction avant tout d’un projet commun. L’enjeu est de rebâtir un socle de gauche donnant envie à bien plus de personnes de militer et de voter à gauche, sans renoncer à une rupture profonde avec le néolibéralisme économique et le productivisme.
Mais il est bien insuffisant d’œuvrer pour une gauche au pouvoir, quand son ancrage dans la société est autant affaibli. L’essentiel se situe même sans doute ailleurs, dans la vitalité et le renforcement des mouvements sociaux, associatifs, syndicaux, et dans la reconquête des sphères intellectuelles et culturelles. La gauche politique doit pouvoir s’en nourrir, sans position surplombante. C’est à cette condition que la gauche politique pourra mener, de façon démocratique, une politique de transformation sociale. D’où l’importance, aujourd’hui, de ce qu’il se passe en dehors du champ électoral et en particulier des luttes et résistances concrètes, des espaces de débats qui pensent une transformation radicale, écologique, solidaire et démocratique, de la société. D’où l’importance aussi de se confronter aux grandes questions de la gauche : par exemple, doit-on dépasser le capitalisme et qu’est-ce que ça signifie aujourd’hui, dans une mondialisation financiarisée et face à l’urgence écologique ? Quelle importance donner à l’État, au marché, mais aussi aux collectivités locales ou à l’économie solidaire ? À quel projet émancipateur nous amènent les réponses à ces questions (et à beaucoup d’autres) ?
D’aucuns pourront considérer que le score d’EELV aux élections européennes est de bon augure. Il est au moins une bonne nouvelle : une prise de conscience environnementale d’une partie importante de la population. Mais il reste une question primordiale : comment concilier l’urgence écologique et la justice sociale ? La fin du monde et les fins de mois ? Ni l’un ni l’autre ne peuvent rester secondaires, dans un projet politique de gauche au XXIe siècle. L’un et l’autre sont intrinsèquement liés : les premières victimes des désastres écologiques sont les plus pauvres et les plus précaires. Les premiers responsables sont les multinationales et les grands investisseurs, qui se nourrissent de l’exploitation toujours plus accrue du travail et du vivant. Ni totalement verte, ni totalement rouge, la gauche de demain ne pourra être que rouge et verte, ou verte et rouge.
Par en bas !
Coordinateur général de la Fondation Copernic: Willy Pelletier
Il est plus qu’urgent de sonner l’alarme, l’alerte, la crainte. Les européennes furent pour la gauche une Bérézina. Mais le pire est à venir. La gauche s’éteint. Elle disparaîtra peut-être comme force de transformation. La droite libérale et la droite autoritaire, en score cumulée, font 61 % des voix ! Une écologie dont on ne sait plus si elle s’oriente à gauche, cumulé à un PS dont on peut douter, font 23,5 %. La gauche antilibérale pèse 13 %.
Ce n’est pas un accident. Cela risque de durer. Les arrangements entre états-majors n’y changeront rien. Ces ententes, à supposer d’y parvenir, ne sont plus à la hauteur. Ce qui se passe est tellement plus grave, terriblement, infiniment. Les gens votent avec leurs vies ; avec ce qu’ils endurent, redoutent, espèrent ; avec les concurrences qu’ils affrontent ou fantasment (mais ces fantasmes ont des effets réels). Les gens votent avec leurs vies qui, au boulot, ne sont plus solidaires. Les collectifs de travail ont été cassés, explosés. Leurs réorganisations libérales exaspèrent les rivalités, insécurisent les carrières, les avenirs. Elles séparent, isolent les souffrances. Elles empêchent qu’entre salariés se forge l’intérêt commun qui, hier, faisait voir le collègue, les jeunes, les travailleurs immigrés, comme des semblables.
Au travail, ainsi, la fabrication collective d’intérêts communs face aux patrons devient quasi impossible. Or cette conscience de classe plus ou moins diffuse, ces intérêts de classe plus ou moins formalisés, mais en tout cas ces expériences de classe partagées, c’était ce qui fondait, malgré ses nuances, notre camp : la gauche. Les vies ne sont plus solidaires. Aux guichets des services publics, la détresse d’usagers démunis qui attendent pour n’obtenir rien, rencontre la lassitude d’agents empêchés d’aider. En monde rural pauvre, il n’y a plus ni poste, ni médecin, ni bistrots, ni magasins, ni écoles, ni églises, les clubs de sport ferment. Les « entre-soi » ruraux s’effondrent et, avec eux, les « groupes » et l’estime de soi qu’ils généraient. S’avivent partout un chacun pour soi, un « chacun sa merde » vécu dans l’isolement.
Et les hauts représentants des partis ne sont, par la façon dont ils parlent, même plus compréhensibles par les milieux populaires. Il n’y aura pas de raccourci, malheureusement. À ce stade, la gauche ne peut être reconstituée que « par en bas ». En reconstruisant les solidarités et l’entre-soi populaires. Chaque jour au travail, syndicalement. Chaque jour localement. Par des luttes, de toutes sortes, où de nouveau se fabriqueront des perceptions partagées de nos intérêts communs, des diagnostics partagés de ce qui casse nos vies, la définition partagée de qui les ruine.
Font encore vivre vraiment la gauche les luttes syndicales, les luttes écologiques et féministes mais de classe, le travail associatif ou municipal de terrain et de classe. La gauche dans les urnes ne renaîtra que si font irruption en politique, se mettent en commun ces syndicalistes, ces écologistes, ces féministes, ces associatifs, ces élus de terrain et les intellectuels critiques. Pour mettre « en commun » les analyses critiques, les expériences de luttes, les succès de terrain, nous lancerons, à la rentrée, des Ateliers indociles, ouverts à tous, à Vesoul, Noyon, Dunkerque, partout… dans les centres sociaux, les locaux syndicaux, les ronds-points. La gauche est à recréer par en bas, en commun. Nous vivons l’année zéro. Tout est à recommencer : c’est à désespérer. Tout commence : c’est exaltant.
Appréhender le réel, c’est remettre la dialectique sur ses pieds
Poète, essayiste: André Prone
Rien n’est pire que les fausses idées. À commencer par les discours sur la « bonne votation » aux élections européennes. Il suffit d’ajouter au taux d’abstention celui des blancs ou nuls pour constater que 52,15 % de citoyens ont envoyé un message de défiance à la classe politique. Par ailleurs, certains sondeurs nous disent que la courbe des abstentionnistes suit l’âge des sondés : plus on est jeune, plus on s’abstient. Et, inversement, plus le revenu est élevé moins on s’abstient. Ils prétendent aussi que les territoires les plus touchés par le chômage et la précarité voteraient plutôt extrême droite et qu’il en irait de même pour l’ensemble des ouvriers.
Comment laisser dire cela quand la France compte plus de 15 millions de pauvres et plus de 6 millions d’ouvriers et que les 5,28 millions de voix de l’ex-FN regroupent aussi d’autres couches sociales ? De plus, ces mêmes sondeurs nous disent que 65 % des classes populaires se seraient abstenues, soit près de 15 millions. S’il est probable qu’une partie des classes populaires ait rejoint par dépit le RN, plus sûr encore est de considérer qu’une grande majorité d’entre elles se réfugie massivement dans l’abstention. Mais, pour utile que soit le rétablissement de la vérité sur ces chiffres, plus important est la compréhension des facteurs idéologiques, économiques, politiques et sociaux à la source de leur manifestation.
Notons pour cela l’abandon quasi général de l’idée communiste par les travailleurs qui, voilà peu de temps encore, s’en réclamaient. Non seulement à cause de l’échec du « socialisme réel », mais aussi par la capacité du capitalisme à le dénaturer, particulièrement depuis la chute du mur où l’anticommunisme atteint des sommets. Revenir sur les valeurs qui fondent cet idéal : justice, égalité, solidarité et partage, est donc nécessaire.
L’autre raison du désengagement de classe des masses populaires, même si elles mènent un long combat revendicatif contre la politique antisociale des gouvernants, à l’instar du mouvement des gilets jaunes, tient à la capacité de séduction du capital par le consumérisme : idée selon laquelle seule la consommation serait synonyme de mieux-être. Il ne tient qu’à nous de démontrer avec Marx ce « fétichisme de la marchandise » qui, derrière la banalité monétaire d’un produit dont personne ne voit malice, nous cache la dure réalité sociale du temps de travail abstrait nécessaire à sa fabrication engendrant la valeur et celle du productivisme profiteur à la source des catastrophes environnementales.
Cela résulte aussi de l’absence de tout projet politique (qui n’a rien à voir avec un catalogue de mesures que certains appellent encore « programme »). Ainsi, en donnant corps à un projet idéologique et politique élaboré avec les citoyens/travailleurs et en faisant vivre à l’intérieur du système capitaliste la concrétude du partage non marchand, nous rendons crédible l’idée d’un possible changement de société. Pour ma part je propose l’idée de partage des biens communs et une production attentive à l’homme et à la nature : l’écomunisme.
Cela peut également se concrétiser dans le combat communal et les élections municipales à venir, en inscrivant la gestion des territoires dans l’action collective et consciente des citoyens/travailleurs eux-mêmes. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas, le capitalisme n’est pas flamboyant et il ne tient qu’à nous d’utiliser les bons outils idéologiques et politiques pour en sortir.
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