A force de promettre la revalorisation sans la faire, le gouvernement semble bien dépourvu quand il voudrait qu’on le croit. La grève historique du 5 décembre, l’ampleur des manifestations a fait réagir le gouvernement. Le 6 décembre JM Blanquer, G Attal sont intervenus dans les médias puis E Philippe a fait une déclaration. Le gouvernement maintient son projet de retraites par point mais promet une revalorisation des enseignants à partir de 2021. Problème : comme il promet cette revalorisation depuis 2017 sans la faire, comme le montant annoncé semble très faible, ces propos se heurtent à l’incrédulité. A commencer par les syndicats, sauf la Cfdt et l’Unsa, qui appellent à faire grève et manifester le 10 décembre et soutiennent les mouvements qui auraient lieu le 9.
Les promesses gouvernementales
La mobilisation historique des enseignants le 5 décembre (de 60 à 70% des enseignants en grève) a fait bouger le gouvernement. Dès le 6 décembre E Philippe consacre une partie importante de son interventions aux seuls enseignants.
« J’ai vu la mobilisation importante des enseignants », dit-il. « Je comprends les inquiétudes qu’ils formulent. Il est exact que l’application absurde des nouvelles règles (de retraite) les pénaliserait. Nous avons dit dès le début que nous nous engagions à ce que les pensions des enseignants ne baissent pas. Le système universel ce n’est pas la baisse des pensions des enseignants mais la revalorisation progressive de leur traitement de façon à ce que leur pension ne baisse pas ».
Le premier ministre annonce une rencontre entre M Delevoye et A Buzin avec les syndicats le 9 décembre. Lui même présentera le projet gouvernemental mercredi 11 décembre au CESE.
La même journée, JM Blanquer et G Attal se sont succédés sur les médias (BFM pour le premier, France Télévisions pour le second) pour porter leurs annonces. « J’ai pris l’engagement que les pensions des enseignants ne baisseront pas », a dit JM BLanquer. « Il y aura des améliorations des rémunérations ».
Le ministre a donné un calendrier et des chiffres. « Il y aura une part d’augmentation de salaire et une part d’augmentation des primes… Les pensions des enseignants ne seront pas inférieures aux pensions de celles des catégories A comparables.. Ces augmentations devraient intervenir dès le 1er janvier 2021″. Le ministre avance une somme de 400 millions d’euros par an ». G Attal parle d’augmentation progressive « au fur et à mesure que des enseignants seront concernés par la bascule dans le nouveau système.
Contradictions et inquiétudes
Ces déclarations n’effacent pas les inquiétudes. D’abord parce que les enseignants sont las d’entendre leur ministre parler de revalorisation sans qu’il y ait le moindre début d’exécution. Bien au contraire le point Fonction publique reste gelé et le nouveau calcul des corrections des copies du bac devrait se traduire par une belle perte sèche par copie. Les augmentations qui sont prévues dans le budget 2020 sont simplement l’application du « glissement vieillesse technicité » (l’avancement à l’ancienneté) et des accords PPCR signés par le gouvernement précédent et retardés par l’actuel. Il n’y a pas de revalorisation des enseignants dans le budget 2020.
La somme annoncée , qui correspond curieusement à peu près au glissement vieillesse technicité, se traduirait par une hausse de rémunération d’une trentaine d’euros. Pour rappel la chute de la pension sera de plusieurs centaines d’euros et pour assurer leur maintien au niveau actuel il faudrait 10 milliards soit 25 ans de versements de 400 millions. Qui croit à un tel engagement de l’Etat sur cette durée ?
Enfin le ministre parle d’augmentation de salaire et de primes. D’une part il n’abandonne pas l’idée émise par E Macron de lier la revalorisation à faire travailler davantage et plus longtemps les enseignants. D’autre part il n’abandonne pas non plus l’idée de lier la revalorisation à l’acceptation de missions spéciales. Or les primes sont réparties de façon très inégalitaires dans l’Education nationale. Ce système conduirait à aggraver les inégalités entre les femmes et les hommes et entre les corps les moins rémunérés (PE, certifiés) et les mieux rémunérés (agrégés, chaire supérieure). Enfin, l’idée de lier revalorisation à l’application des nouvelles règles de retraite (personnels nés à partir de 1973 semble t-il) veut dire que pour le même grade du même corps des enseignants toucheraient des salaires différents !
Les syndicats déjà divisés
On comprend que ces annonces soient accueillies avec un certain scepticisme. L’Unsa Education » n’appelle pas pour le moment à une nouvelle journée nationale de grève » mais » exige du gouvernement qu’il précise et consolide ses annonces durant toute la semaine… mesures doivent être sécurisées budgétairement et couvrir tous les métiers « . Le Sgen Cfdt n’a pas appelé à participer à la grève du 5 décembre.
L’intersyndicale éducation Cgt, Fsu, FO, Snalc, Sud, Faen, demande « le retrait du projet » de retraites et appelle « à faire du 10 décembre une journée massive de grève et de manifestations interprofessionnelles ». Ces syndicats, sans le Snalc et la Faen, ont signé une déclaration avec des mouvements lycéens (Mnl, Unl) et lycéens (Unef) pour refuser le système par points.
» Parce qu’une seule journée ne suffira pas à faire plier le gouvernement, la réunion intersyndicale et interprofessionnelle de ce jour a décidé d’appeler de manière unitaire à un nouveau temps fort d’action, mardi 10 décembre », déclare le Snuipp-Fsu qui « appelle l’ensemble des personnels des écoles à s’engager massivement dans cette nouvelle journée de grève et de manifestations ».
» L’avalanche de chiffres ne doit tromper personne », estime le Snes Fsu. « Ces annonces ne répondent en rien aux revendications des personnels : elles correspondent à une augmentation moyenne de 30 à 40 euros par mois, alors que la réforme des retraites va faire perdre entre 300 et 800 euros par mois aux personnels du 2d degré ! Le Ministre lie cette revalorisation à une redéfinition de nos métiers, synonyme d’alourdissement de notre charge de travail : c’est faire bien peu de cas de la réalité de nos conditions de travail actuelles, de la fatigue et du malaise qui s’exprime ouvertement depuis plusieurs mois. Dans ces conditions, comment le Ministre ose-t-il parler de « revalorisation » ?! »
A noter que les syndicats n’évoquent que les retraites. Mais dans les manifestations du 5 décembre bien d’autres motifs de mécontentement sont remontés. Et les syndicats auraient bien tort de ne pas utiliser cette mobilisation pour obtenir des aménagements sur les mesures anti syndicales qui ont été prises dans la cadre de la loi de transformation de la Fonction publique.
Il y a-t-il une solution ?
Peut-on faire l’économie d’un conflit long ? Cela dépendra des propositions gouvernementales le 11 décembre. Mais le ton du discours d’E Philippe donne à penser que le gouvernement veut faire de sa fermeté la base de sa campagne pour les municipales. Il s’agit de montrer qu’il peut faire plier les fonctionnaires et agents des entreprises publiques comme il veut éliminer les syndicats avec la suppressions des droits syndicaux dans les commissions paritaires. Concernant les enseignants, il y a un autre problème : l’importance de la somme à trouver pour maintenir leurs pensions. Le Café pédagogique l’avait estimé à 10 milliards et cette évaluation a été validée par E Macron lui même. Le président de la République a ajouté, à Rodez en octobre, qu’il n’envisageait pas la donner. Et là on veut bien le croire. Tout semble indiquer que le gouvernement restera dans le flou ou les promesses lointaines et que les enseignants seront les premières victimes de la réforme.
François Jarraud
Ce qui s’est dit en briefing ministériel
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