Retraites. Voyage au cœur de cette France qui soutient les grévistes

Caisses de grève, repas solidaires, messages de soutien… Sur tout le territoire, et à mille lieues du matraquage médiatique, des citoyens viennent en aide à celles et ceux qui font le choix de la grève. L’Humanité leur donne la parole.

Il n’a rien du militant chevronné, ni du vieux briscard de manifs. Baptiste (1), ingénieur devenu cadre dans la finance, évolue même dans un milieu qui part volontiers en guerre contre les « preneurs d’otages » de la SNCF et affiche un soutien sans faille au gouvernement. Pourtant, le quadra a décidé de signer un chèque de soutien aux grévistes. « J’ai donné l’équivalent d’une journée de salaire (soit 290 euros), raconte-t-il. Cette réforme prétend “universaliser” le régime de retraite, mais elle va le faire par le bas. Il n’est pas nécessaire d’être polytechnicien pour comprendre qu’en calculant les pensions sur l’ensemble de la carrière, et non sur les meilleures années, le niveau des retraites va diminuer ! »

Des jeunes, des repas festifs et des dizaines de milliers d’euros

Baptiste admet que son combat ne rencontre pas beaucoup d’écho dans son milieu : « Dans le monde de la finance, beaucoup te disent : “Nous, on est des doers (des gens qui font, en anglais), on n’est pas là pour manifester.” » Mais il ne mange pas de ce pain-là. Lui a fait sa crise de conscience en plein krach de 2008, à l’époque où les promesses de la finance folle se sont évaporées en même temps que les milliards de créances pourries. Depuis, Baptiste dévore des auteurs de gauche, médite sur le capitalisme et participe à un collectif de cadres engagés, les Infiltrés (2). « Dans ce réseau, je connais des gens qui ont donné trois fois aux caisses de grève, raconte-t-il. Heureusement que les cheminots sont là pour mener la lutte, sinon nous irions dans le mur. »

À rebours de certains discours médiatiques qui campent une France « prise en otage », des gens se mobilisent partout en faveur du mouvement social. La plupart des enquêtes d’opinion montrent que depuis début décembre une grosse majorité de sondés – jusqu’à plus de 60 %, selon certains instituts – soutiennent la mobilisation.

Les caisses de grève fleurissent comme à chaque mouvement social, dans les entreprises ou les unions départementales des syndicats, mais, cette fois-ci, l’élan semble plus important que d’habitude. La CGT Info’Com, par exemple, assure avoir collecté plus de 600 000 euros depuis décembre, grâce à quelque 10 000 donateurs. Par ailleurs, certaines initiatives sortent de l’ordinaire. Un collectif de joueurs de jeux vidéo a décidé de lancer un « stream reconductible » : ils se filment 24 heures sur 24 en train de jouer, proposent quiz et émissions, et incitent les internautes à envoyer des dons qui seront reversés aux grévistes. Usul, youtubeur célèbre et marxiste revendiqué, raconte avec humour : « Quelqu’un nous a soufflé l’idée et tout s’est réglé en 36 heures. C’est ça, la start-up nation ! Ce qui est étonnant, c’est que beaucoup de jeunes participent. Cela casse l’idée selon laquelle ces derniers auraient définitivement tourné le dos aux syndicats, jugés “ringards”. » À ce jour, les « gamers » ont collecté environ 90 000 euros.

Les initiatives ne se limitent pas à la région parisienne. En Indre-et-Loire, plusieurs fermes ont décidé de distribuer de la nourriture aux grévistes. Mathieu Lersteau, paysan boulanger et membre de la Confédération paysanne, juge naturel de « se mettre au service du mouvement social » : « Deux fois par semaine, nous livrons du pain au comité d’entreprise de la SNCF, à Saint-Pierre-des-Corps, ainsi que plusieurs produits de la ferme : œufs, miel, rillettes, légumes, bière, etc. Une dizaine de fermes mènent des initiatives similaires sur le département et nous aimerions élargir le mouvement ailleurs en France. » Toutes ces denrées viennent alimenter des gueuletons festifs, organisés parfois en fin de manifestation. « Mardi dernier, on a organisé un grand repas populaire dans les rues de Tours avec ce qui restait, raconte Ludovic Dalus, cheminot gréviste et syndiqué CGT. 200 personnes en ont profité, dont de nombreux manifestants mais aussi des SDF. »

« Ces marques de sympathie nous remontent le moral »

Et puis, à côté de toutes ces initiatives « matérielles », il y a ces messages de soutien, parfois inattendus, qui mettent du baume au cœur. Jean-Christophe Delprat, secrétaire général SUD RATP, raconte avoir reçu des textos de copains d’enfance, perdus de vue depuis des années mais qui l’avaient vu passer à la télé : « L’un bosse chez Coca-Cola, l’autre chez Veolia. En substance, ils m’ont dit : “On ne peut pas faire grève, mais cette réforme est pourrie. Tiens bon, on te soutient !” »

Prof d’histoire-géo au lycée Voltaire (Paris), Juliette se dit agréablement surprise des réactions suscitées par la grève des enseignants : « J’ai eu quelques prises de bec en distribuant des tracts dans la rue mais, dans l’ensemble, les gens nous comprennent. Et puis, la FCPE (fédération de parents d’élèves) de Paris a publié une motion de soutien très chouette ! »

Cet élan de solidarité ravit les grévistes, tout en posant une question de taille : n’est-il pas le symptôme d’une « grève par procuration », qui ferait peser sur les épaules d’une poignée de salariés une responsabilité écrasante (voir aussi ci-contre) ? Réponse de Ludovic Dalus : « J’accepte de faire grève pour les autres, d’autant que les marques de sympathie que nous recevons chaque jour nous remontent le moral. Mais la grève par procuration a ses limites : dans l’idéal, je préférerais que tous les salariés se lèvent et nous rejoignent dans le mouvement. »

(1) Le prénom a été modifié. (2) https://infiltres.fr
Cyprien Boganda
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