Les (dis)simulateurs de retraites… in regards.fr

On a fait un tour sur les simulateurs de la réforme des retraites du gouvernement et, devinez quoi, il y a tout plein de dissimulations !

Pour que chacun et chacune puisse juger des bienfaits de la réforme des retraites qu’il veut imposer coûte que coûte, le gouvernement a annoncé à grands coups de communiqués, la mise en place de simulateurs permettant de juger sur pièce en fonction de sa situation personnelle, professionnelle et familiale. La vérité allait sortir du puits au lieu des mensonges distillés par les mauvais simulateurs des syndicalistes. « Les équipes du haut-commissaire aux retraites s’en occupent, a martialement affirmé Edouard Philippe le 15 décembre. Je leur ai demandé de faire un maximum de cas types, par exemple : « Je suis professeur dans la fonction publique, j’ai 50 ans et trois enfants, quelle sera ma retraite demain ? » Ces cas types, je les veux avant le 18 décembre. »

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Il a fallu attendre une journée de plus. Mais pas pour la bonne cause. L’opération simulateur du gouvernement est un vaste enfumage. En fait de simulations, ce sont les dissimulations qui abondent.

Dissimulation numéro 1 : les « non concernés » concernés

Rendez vous sur la page d’ouverture du simulateur du gouvernement. Cliquez sur « Suis-je concerné ? », puis, sur « non ». Enfin, cliquez sur « départ en retraite avant 2037 ou né avant 1975 ». Vous pourrez alors lire : « Vous n’êtes pas concerné(e) par le futur système universel de retraite ».

Fake news : le simulateur dissimule qu’un départ avant 64 ans peut vous faire perdre jusqu’à 10% de votre pension. C’est prendre les non-concerné(e)s pour ce qu’ils ne sont pas.

Dissimulation numéro 2 : la natalité s’effondre

Rendez vous maintenant sur les cas types. Ils sont censés rendre plus concrets les effets de la réforme à partir de cas représentatifs de la vraie vie.

36 cas sont présentés : 26 cas de fonctionnaires et 10 cas de salariés. La moitié née en 1980 et l’autre en 1990. 14 sont des hommes et 22 sont des femmes. On devrait donc pouvoir vérifier l’affirmation péremptoire d’Edouard Philippe le 11 décembre au CESE : « Les femmes seront les grandes gagnantes du système universel ».

En réalité, il n’en est pas question. Au contraire. Tout est fait pour empêcher toute évaluation. Dans les cas types, les hommes sont comme les femmes et inversement. Il n’y a aucune différence de salaires entre elles et eux, aucune différence de carrières. Bien entendu, les deux personnes « salariées durant toute leur vie professionnelle dans un travail à temps partiel continuellement rémunéré à 80% du SMIC » s’appellent Rachel. Mais, Marine, qui est développeuse web en entreprise, va être payée toute sa vie au « salaire moyen des Français ». C’est faux. Dans la vraie vie Marine serait payée au salaire moyen des Françaises qui est inférieur de 18,5% à celui des hommes. En fait, le simulateur fait tout disparaître, y compris les enfants. Aucune des 22 femmes « cas types » n’a eu et n’aura d’enfant. Heureusement pour le pays et pour les retraites dans la vraie vie, cela se passe autrement. Mais pour les conséquences négatives de sa réforme pour les femmes, la grande dissimulation continue. Le gouvernement n’a pas fini « de prendre les femmes pour des quiches ».

Dissimulation numéro 3 : tout le monde commence à travailler à 22 ans

L’une des plus célèbres publicités pour le Métro de Pierre Dac proclamait : « D’où que vous veniez, ou que vous alliez, une seule station : Mouton-Duvernet, la station de l’élite ». Pour le simulateur de retraite gouvernemental, c’est un peu pareil. « Qui que vous soyez, d’où que vous veniez et quel que soit le métier que vous exerciez, un seul âge pour commencer à gagner sa vie : 22 ans. » Que vous soyez assistante-maternelle à temps partiel, salariée au SMIC, au salaire moyen des Français, cadre devenu supérieur ou professeur certifié (après cinq ans d’études post-bac minimum). C’est la norme commune. Le secrétariat d’État chargé des Retraites prétend la justifier par le fait que 22 ans est actuellement l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail. L’argument est ridicule. À ce compte-là tous les cas types devraient prendre leur retraite à 62 ans et demi et seulement à cet âge-là, puisque c’est actuellement l’âge moyen de liquidation de ses droits. En réalité, la norme des 22 ans est indispensable pour qu’un départ en retraite à 62 ans dans les conditions actuelles ne soit pas plus favorable qu’un départ au même âge dans le cadre de la réforme.

Dissimulation numéro 4 : la disparition du chômage notamment des seniors et des carrières heurtées

Aucun cas type n’introduit une discontinuité des carrières professionnels. Dans le simulateur du gouvernement le chômage n’existe pas. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a, pour sa part, mis en place des cas types depuis des années et après de longues discussions entre experts et avec les « partenaires sociaux ». Ils servent à évaluer les perspectives concrètes d’évolution des retraites dans le cadre du système actuel. Ainsi figure notamment celui d’une personne non-cadre qui a une carrière heurtée, interrompue par une période de chômage de longue durée en milieu de carrière (vers 45 ans) et une sortie anticipée du marché du travail, pour chômage ou préretraite, après 55 ans. Bien entendu le simulateur gouvernemental aurait pu reprendre ce cas, mais on comprend pourquoi il ne l’a pas fait. L’Union fédérale des syndicats de l’Etat CGT l’a fait : la perte de retraite serait de 24% pour un départ à 62 ans ; de 15% à 64 ans ; 10% à 65 ans. Mais en partant à 67 ans, le retraité Macron de ce cas type aurait un avantage de… 1%.

Dissimulation numéro 5 : disparition du taux de remplacement

Le taux de remplacement est le rapport entre la pension obtenue et les rémunérations d’activités perçues au moment de la liquidation. Si lorsque vous liquidez vos droits à la retraite, vos pensions mensuelles totales sont de 1800 euros alors que vos revenus salariaux en fin de carrière étaient de 2800 euros, on pourra dire que vous bénéficiez d’un taux de remplacement de 64%. Comme les taux de cotisations ne sont pas les mêmes pour les retraités et pour les actifs, une mesure courante consiste à calculer le taux de remplacement net de la retraite. Quelle que soit la modalité retenue, il s’agit, comme le dit le COR, d’une information essentielle « sur le niveau des revenus de remplacement qu’un régime – ou, à un niveau agrégé, une nation entière – décide d’accorder à ses retraités ». Le système actuel montre que la solidarité joue un rôle important puisque le taux de remplacement est nettement plus élevé pour les bas salaires. C’est également une information très importante pour évaluer le pouvoir d’achat de sa future retraite. Le COR fournit cette information pour évaluer l’évolution des retraites dans le cadre du système actuel dans les cas types qu’il a élaborés pour les générations nées en 1960, 1970 , 1980 et 1990. Le document date de début 2019 (4 cas pour les salariés du régime général et 4 cas pour la fonction publique + 1 cas type pour une famille). On apprend ainsi que dans le cas type 1 une personne cadre née en 1980 ayant eu une carrière ascendante avec un salaire de fin de carrière correspondant à 2,7 fois le salaire moyen par tête bénéficierait d’un taux de remplacement net de sa pension de 51% si elle prend sa retraite à 62 ans et de 57% si elle prend sa retraite à 64 ans. Le taux de remplacement net est de 70 et de 78% pour le cas type 2 d’une personne non-cadre finissant sa carrière avec un salaire correspondant à 90% du salaire moyen par tête.

Les cas types du simulateur gouvernemental ne fournissent pas cette information clé. Les cas type de fonctionnaires ne donnent même pas le montant des traitements.
Et pour les salariés il donne des chiffres qui ne permettent pas non plus le calcul.

Reprenons par exemple le cas type de Marine, développeuse web en entreprise. Née en 1980, elle aura 40 ans en 2020. Tout au long de sa carrière, elle est rémunérée au salaire mensuel brut moyen des Français, soit environ 3140 euros brut aujourd’hui. Elle part à la retraite à compter de 2042. Le simulateur nous dit que dans le cadre actuel, Marine pourrait avoir une retraite brute de 1914 euros, si elle part à 62 ans, et de 1868 euros, si la réforme prévue s’applique. C’est au moins admettre qu’elle y perdra. Mais de là à pouvoir calculer le taux de remplacement brut correspondant à sa situation, ce serait tomber dans le panneau. Car les 1914 euros de retraite correspondent à ce qu’elle percevrait en 2042 et pas à sa valeur actualisée en 2019. Pour connaitre le taux de remplacement, il faudrait donner le montant du salaire brut perçu par Marine en 2042… Bref, le simulateur de retraite gouvernemental est « un maître de l’obscurcissement », comme on avait qualifié en son temps Alan Greenspan, ancien Président de la Banque Centrale américaine qui avait l’habitude de dire : « Si vous m’avez compris, c’est sans doute que je me suis mal exprimé ».

Il y a encore plus grave : les évaluations des pensions versées dans le cadre du système actuel sont systématiquement sous-évaluées alors que les évaluations des pensions dans le cadre de la réforme sont surestimées. Pour le cadre actuel le simulateur suppose que les salaires perçus chaque année seront comptabilisés en fin de parcours en tenant compte seulement de l’inflation. Alors que dans le cadre de la réforme, les calculs des pensions sont indexés sur l’évolution des salaires avec une hypothèse de croissance annuelle constante du pouvoir d’achat des salaires de 1,3% pendant 50 ans. Cela n’a aucune chance de se réaliser. Non pas simplement parce qu’une telle constance est totalement irréaliste. Mais aussi parce qu’une telle indexation du calcul des pensions dans le régime par points conduirait au déséquilibre financier du système, sauf à ce que la part des retraites dans le revenu national dépasse la barre des 14% fixée au contraire par le gouvernement comme barrière infranchissable. Le simulateur continue de dissimuler que, comme l’ont montré les économistes Justin Bernard Michael Zemmour, « la valeur du point ne pourra pas baisser… Mais le niveau de votre pension, si ».

Dissimulation numéro 6 : l’usine à gaz de la transition

Une autre dissimulation concerne la façon dont est calculée les droits acquis dans le cadre du système actuel. C’est un problème grave dont l’importance est soulignée par Henri Sterdyniak. Comme il est dit dans le simulateur, la réforme que le gouvernement veut imposer partage les actifs en trois catégories : les nouveaux entrants après la réforme qui ne cotiseront que pour le nouveau système ; les personnes nées avant 1975 qui continueront de cotiser dans l’ancien cadre ; et les salariés nés entre 1975 et 2003 qui cotiseront à partir de 2025 dans le nouveau système, mais percevront au moment de leur retraite, des droits acquis dans le cadre de l’ancien système.

Premier enjeu : d’ici 2037, explique Henri Sterdyniak, aucun retraité ne touchera une pension ou une partie de sa pension calculée selon les nouvelles règles. Et donc, d’ici là, tout ajustement visant à équilibrer le système des retraites devrait porter obligatoirement sur les personnes soumises aux règles actuelles. « C’est ce qu’illustre la tentative du gouvernement de fixer à marche forcée un âge pivot de 64 ans dès 2027 (avec une hausse commençant en 2022). Il faut être bien naïf, comme la CFDT et les quatre inspirateurs, pour s’en étonner. »

Deuxième enjeu : les déséquilibres financiers que cette usine à gaz va générer pour les régimes actuels. Dit autrement, les cotisations pour le nouveau système vont manquer pour équilibrer les comptes des anciens régimes. Ces régimes vont devenir structurellement déficitaires. Et donc particulièrement vulnérables.

Troisième enjeu : comment calcule-t-on les droits acquis ? Pour bien comprendre la question Henri Sterdyniak donne deux exemples. Le premier dans la fonction publique : « Considérons Nadine qui a commencé à travailler à 21 ans dans la Fonction publique. En 2025, après 22 ans de carrière, elle reçoit un traitement de 2000 euros, mais elle peut raisonnablement espérer finir sa carrière à 65 ans, avec une rémunération de 2500 euros et ainsi recevoir une retraite de 1875 euros (75% de son dernier traitement). Faut-il considérer qu’à mi carrière, ses droits acquis ne sont que de 0,75*2000/2 = 750 euros ? Ou faut-il reconnaître qu’ils sont de 1875/2 = 937,5 euros ? » L’autre exemple est pris dans le régime général : « Dans le Régime général, Naguib, qui a lui aussi commencé à travailler à 21 ans, a acquis à 43 ans des droits sur une pension calculée sur les 25 meilleures années. Mais comment les estimer, si ces 25 années sont pour l’essentiel dans les années à venir ? Calculer les droits acquis sur les 13 meilleures années enregistrées à 43 ans aboutirait à les sous-estimer fortement. »

Inutile de chercher la réponse dans le simulateur. Elle n’y figure pas.

En réalité le gouvernement sera quasiment dans l’impossibilité de gérer la période de transition. Au lieu de chercher à tout prix à mettre en place brutalement un système unique à cotisations définies, conclut, à raison, l’économiste doublement atterré, « il devrait, dit-il, engager, dans le cadre du système actuel, de vraies négociations avec les syndicats et les organisations professionnelles pour faire converger progressivement les différents régimes dans un système à prestations garanties. »

Bernard Marx


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