Municipales : les basses manœuvres de LREM in Regards.fr

Anticipant un échec aux municipales, la majorité sort du chapeau la suppression des étiquettes dans les petites communes. Baste des « divers gauche » ou « divers droite », place aux « sans étiquette » !

Mise à jour (31/01/2020) : Le Conseil d’État suspend la circulaire Castaner sur trois points (et pas des moindres) :

  • « l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9000 habitants ou plus »
  • « l’attribution de la nuance « Liste divers Centre » aux listes soutenues par LREM, le MODEM, l’UDI ou la « majorité présidentielle » », là où le simple soutient des partis de gauche et de droite ne suffit pas à être classé en « divers gauche » et « divers droite », il faut l’investiture d’un parti
  • le classement des listes Debout la France au sein du bloc « extrême droite »
    Quelques jours après que le Conseil d’État ait épinglé l’exécutif sur sa réforme des retraites, voici donc un deuxième camouflé.

Mise à jour (16/01/2020) : Christophe Castaner a tranché. Dans une circulaire envoyée aux préfets, il indique que les nuances politiques ne seront prises en compte que pour les villes de plus de 9.000 habitants. Ainsi, 96% des communes françaises et plus d’un électeur sur deux seront désormais hors du jeu politique national. Un tour de passe-passe qui vise à grossir artificiellement les scores de LREM aux municipales. Lors de ses vœux à la presse, le 15 janvier, Emmanuel Macron a affirmé qu’il « tirerai[t] pas de manière automatique des conséquences nationales » car il « considère que les élections municipales, ce n’est pas une élection nationale ». Croyez-le ou non.

On le sait, Emmanuel Macron ne brille pas par son ancrage politique local. Le Président-marcheur aura sauté toutes les étapes traditionnelles, conquérant d’emblée l’Élysée en 2017, avant de « descendre » sur les institutions, Assemblée nationale en premier lieu. Le Sénat lui a résisté en 2017, et pour cause, les sénateurs sont élus indirectement par les élus locaux… C’est ainsi que les deux années à venir vont lui être décisives : 2020, municipales, 2021, régionales.

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Tel un bon vieux chef d’État de l’Ancien Monde, Emmanuel Macron va donc jouer de toutes les malices pour tourner ces suffrages locaux à son avantage. Les municipales pour commencer, donc. Voilà l’idée qui a émergé dans la majorité : puisqu’on va prendre une tôle, autant limiter la casse. Et pour ce faire, rien de plus simple que de supprimer les étiquettes politiques dans les petites communes.

Tout part du Sénat, et plus précisément de la proposition de loi « visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ». Dans ce texte, les sénateurs Hervé Maurey (centriste) et Jean-Louis Masson (non inscrit, il jouait l’homme ivre lors du débat sur les accompagnatrices scolaires voilées) ont déposé deux amendements, adoptés il y a quelques jours dans la chambre haute, afin que « dans les communes de moins de 3500 [ou 9000, NDLR] habitants, une nuance politique ne [puisse] être attribuée que lorsque la liste de candidats ou les candidats ont choisi une étiquette politique ».

L’idée peut paraître censée : un maire peut vouloir ne pas être placé dans une case (divers gauche, divers droite, centre, etc.) par la préfecture. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir décidé de « permettre aux maires de se présenter eux-mêmes « sans étiquette » », s’interroge Pierre Lacaze, responsable aux élections pour le PCF, membre de l’exécutif national, qui y voit une « vraie atteinte à la démocratie ».

La France sans étiquette

Ainsi pouvait-on lire le 10 octobre dans la newsletter « Chez Pol » : « Dès les municipales 2020, les listes présentées dans les petites communes n’auront plus de « couleur politique ». Christophe Castaner l’a annoncé hier, […] rappelant qu’il s’agit d’une « fonction [préfectorale] qui remonte à la IIIe République ». » C’est lors de questions au gouvernement au Sénat que le ministre de l’Intérieur a lancé : « Nous pourrions parfaitement envisager de fixer un seuil, à 3500, à 9000 habitants, en deçà duquel l’appartenance politique aux grands courants politiques que nous connaissons n’est pas indispensable ». Sauf qu’entre 3500 et 9000 habitants, il y a un monde – actuellement, ce seuil est fixé à 1000 habitants.

Comme le souligne le Parti socialiste dans un communiqué : « La moitié des Français vit dans une commune de moins de 9000 habitants ». Va-t-on mettre alors la moitié de la France en dehors de l’échiquier politique ? Le porte-parole du PS Pierre Jouvet trouve « la ficelle quand même grosse, à quelques semaines des élections municipales ». De son côté Paul Vannier, orateur national de La France insoumise précise : « La majorité est en difficulté avec ces municipales parce qu’elle est soit dans le soutien à des candidats de droite – à Toulouse par exemple –, soit traversée par des clivages internes qui la conduisent à présenter plusieurs candidats – comme à Paris –, soit réduite à l’état de traces, parfois sous les 5% – comme à Nice. Elle a intérêt à troubler les étiquettes, les positionnements, pour ne pas apparaître pour ce qu’elle est. »

Du côté de l’AFP, on raconte que l’Intérieur peine à classer les listes « apolitiques ou citoyennes » à l’échelon municipal, et que cette réforme permettrait d’éviter les « erreurs ». En fait, il n’est point question d’erreurs administratives, mais de comptabilité. Macron fait du Macron. Il connaît sa faiblesse – l’ancrage territorial –, mais il méprise les petites gens. Il veut du maire labellisé LREM, pas de figure locale indépendante. Il ne veut pas de soutiens politiques, il veut des chiffres. Sauf que même certains candidats LREM partent aux urnes sans étiquette… Aux dires de Pierre Lacaze, il ne fait aucun doute que « LREM veut masquer sa faiblesse au niveau municipal. On voit bien qu’ils ne seront pas présents dans beaucoup de communes de plus de 10.000 habitants et qu’ils auront des difficultés de gagner des villes. »

Exit le clivage gauche-droite

Prenons un exemple concret : les dernières municipales de 2014 [1]. Sur le site du ministère de l’Intérieur, les listes « divers gauche » représentaient, au premier tour, 15,88% des suffrages au niveau national. 24,57% pour les « divers droite ». C’est bien simple, ce sont les deux étiquettes arrivées en tête. Non-négligeable. Imaginez maintenant la même élection, sans ces étiquettes. Qu’aurait-on ? Quatre millions de votes « sans étiquette », comme mis à l’écart ? Tout ça pour créer l’illusion que le parti présidentiel est le premier parti de France ?

Côté communiste, on ne peut s’empêcher de voir dans ces manœuvres « la volonté du gouvernement de gommer l’affrontement politique, le clivage gauche-droite, jugé obsolète ». Pierre Lacaze s’inquiète du « processus, inscrit de longue date, sur l’idée que les municipales seraient des élections techniques et non pas politiques ». Une analyse qui diffère de celle des insoumis, pour qui « ces étiquettes sont par bien des égards dépassées. Gauche, droite, ça a de moins en moins de sens. » Paul Vannier aimerait plutôt que l’on créé « une étiquette « liste citoyenne » ».

Plus profondément, cet effacement des nuances politiques, par l’État lui-même, souligne sa volonté de ne pas vouloir regarder l’état politique du pays. Ni de le rendre accessible aux citoyens. Où comme le dit Pierre Jouvet : « Il n’y a pas de raison que les citoyens ne savent pas pour qui ils votent. Une liste aux municipales est diverse, pas seulement représentative d’un parti politique. Il faut laisser la possibilité à ceux qui le souhaitent de pouvoir s’afficher. » On invoque la crise de vocation des élus locaux, pour mieux cacher la crise des partis. Il est des maires de gauche sans être socialiste, communiste, insoumis. Il en sera de même pour les centristes, les libéraux, les conservateurs, l’extrême droite (Robert Ménard est sans étiquette), etc. Qu’importe, la France sera sans étiquette. Et à la fin, c’est Macron qui gagne, ou pas.

Loïc Le Clerc


BONUS. Faut-il interdire les listes dites « communautaristes » ?

On doit ce débat fort excitant (ironie) au président des Hauts-de-France Xavier Bertrand. Le 19 septembre, lors de l’émission « Vous avez la parole » sur France 2, il demande à Emmanuel Macron d’« interdire qu’aux prochaines municipales il y ait des listes communautaristes, parce que l’islam politique est en train de vouloir s’implanter ». En ligne de mire, un parti : l’Union des démocrates musulmans français (UDMF), 0,13% des suffrages aux élections européennes, soit 28.469 voix.

Que faire ? Au PCF, on se dit « pour l’interdiction des listes qui se situent en dehors des lois de la République, qui prônent la haine d’une partie de la population, qui afficheraient un engagement politique dans le cadre d’un prosélytisme religieux, qui se voudrait au dessus des lois », tout en rappelant que « la justice permet déjà d’interdire de telle listes qui peuvent être celles de l’extrême droite ou de mouvements religieux intégristes ». À LFI, on affirme que « si des listes défendaient, dans le respect de la loi, des positions qui pourraient conduire à développer des comportements communautaires, il faudrait les combattre sur le plan électoral », tout en constatant qu’« en France, il n’y a pas un parti islamiste organisé prêt à présenter des candidats à des élections ». Au PS, on questionne : « On interdit pour les musulmans mais pas pour les chrétiens ? »

Car il reste à définir ce qu’est une liste « communautariste ». Le Parti chrétien-démocrate ? L’Alliance royale (3150 voix aux européennes) ? Le Parti de l’in-nocence (fondé par Renaud Camus), qui a obtenu 1578 voix aux européennes ? De ceux-là, il n’est pas question d’interdire, pas même de débattre de leur participation à des élections.

L.L.C.

Notes

[1Déjà en 2014, Manuel Valls avait opéré de belles manœuvres pour favoriser « l’union de la gauche ». Pour en savoir plus, lisez cet article de Politis.


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