Éducation. L’école, nouvelle tête de gondole des grandes surfaces ?

La véritable finalité de ce dispositif demeure d’amener le client à dépenser son argent dans les magasins.

Le groupe immobilier Ceetrus, filiale d’Auchan, organise des ateliers pédagogiques dans ses centres commerciaux, avec la bénédiction du label « Vacances apprenantes » cher à Jean-Michel Blanquer.

Au supermarché, pendant que les parents poussent le charriot, les enfants tentent de rattraper le retard scolaire pris pendant le confinement. C’est un peu l’idée de base du dispositif répondant au doux nom de baptême d’« Aushopping Campus », lancé par Ceetrus France, la filiale immobilière du groupe Auchan. Une cinquantaine de centres commerciaux à travers le pays sont concernés, avec des ambitions affichées : « Plus de 25 000 élèves à travers notre réseau national pourront bénéficier gratuitement de ce dispositif », explique dans un communiqué Bertrand Houseaux, directeur d’exploitation des sites commerciaux chez Ceetrus. Et tout cela a reçu, sous la forme du label « Vacances apprenantes », la bénédiction du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

La chose a commencé le 20 juillet, doit prendre fin juste avant la rentrée, le 29 août et comprend trois volets. Il y a d’abord la distribution gratuite, en partenariat avec le célèbre éditeur scolaire Hatier, de cahiers de vacances. Ceux-ci peuvent être soit téléchargés sur le site des centres commerciaux du groupe Auchan, soit retirés, en version papier, dans l’un de ces centres. Deuxième volet : des ateliers de soutien scolaire, eux aussi gratuits, organisés à l’intérieur même des galeries commerciales. Il faut pour cela s’inscrire soit sur le site précité, soit auprès du magasin lui-même. Enfin, c’est une dictée nationale qui doit, le 29 août, clore le dispositif.

C’est évidemment le deuxième volet qui interroge. Porte-parole du Snes-FSU (premier syndicat du secondaire), Sophie Vénétitay craint ainsi « une confusion des lieux qui entraîne une confusion des genres entre activités marchandes et activités éducatives ». Selon les informations du site Actu.fr, chaque atelier dure deux heures, avec un effectif maximum de 9 élèves. Tous les niveaux, de la primaire au lycée, sont potentiellement concernés, et les matières dispensées sont le français, les mathématiques, l’anglais et les sciences.

Chez Ceetrus, on explique que l’idée est née directement de certains collaborateurs de l’entreprise, « qui ont eu à gérer leurs propres enfants pendant le confinement et se sont dit qu’enseigner, c’est bien un métier ». Pour le groupe, même si aucun bilan chiffré de l’opération n’est pour le moment disponible, « c’est clairement un succès, qualitatif et quantitatif. Les personnes qui bénéficient du dispositif sont très contentes », et on a déjà « envie de renouveler l’opération » les prochaines années. Tout dépend ce que l’on entend par succès. Ceetrus ne cache pas que la démarche fait partie intégrante de sa stratégie qui consiste à « transformer le centre commercial en lieu de vie » où, en plus des achats, on peut aussi se livrer à des activités de loisir, accéder à des services médicaux, se loger et donc… suivre des activités pédagogiques. C’était déjà la démarche mise en avant par le groupe quand il s’appelait encore Immochan et voulait construire, dans le Val-d’Oise, un des plus grands centres commerciaux d’Europe, Europacity, une véritable « ville commerciale ». Un projet finalement retoqué face à l’opposition des citoyens de la zone.

Ces ateliers sont donc bien une sorte de produit d’appel, une « tête de gondole » dont la véritable finalité demeure d’amener le client à dépenser son argent dans les magasins du centre commercial. Le groupe met en avant le fait que l’opération est entièrement autofinancée et qu’aucun argent public – le dispositif « Vacances apprenantes » ouvre des possibilités de financement – n’a été sollicité. Faute de réponse du ministère à nos questions, on ignore si la qualification des intervenants – « des professeurs ou des étudiants », affirme-t-on sans plus de précisions du côté de Ceetrus – est soumise à une quelconque exigence, ni si des contrôles ou une évaluation sont prévus. Ce qui fait dire à Sophie Vénétitay que cette initiative est surtout « révélatrice de la volonté de Jean-Michel Blanquer, déjà constatée à travers le dispositif 2S2C (sport, santé, culture, civisme), d’externaliser une partie des matières du système éducatif ». Avec le risque, souligné par le député (apparenté socialiste) Régis Juanico dans une question écrite au gouvernement, d’en faire un « cheval de Troie pour faire entrer des acteurs privés commerciaux dans l’éducation nationale ».

Olivier Chartrain

 


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.