S’adressant aux Français dans l’espoir de solder la « séquence » de la réforme, Emmanuel Macron s’est montré une énième fois totalement déconnecté du violent rejet qu’il inspire désormais au pays.
Oyez, oyez, braves gens ! Le roi a parlé. Emmanuel Macron s’est adressé aux Français, ce lundi 17 avril, à 20 heures, le temps d’une allocution qui voudrait solder les comptes d’une crise puissante qui secoue le quinquennat et, par-delà, le régime même de la Ve République. Le président devait, selon le jargon creux habituel des communicants de l’Élysée, y « réaffirmer le cap qui est le sien » et « tracer des perspectives pour les semaines à venir ». En d’autres termes : on oublie tout, et on recommence.
« Les gens le détestent »
Opération séduction délicate, boudée par les Français avant même d’avoir commencé : 90 % d’entre eux déclaraient, avant sa prise de parole, ne pas croire que celle-ci allait apaiser quoi que ce soit. Une pétition citoyenne, notamment relayée par le PCF, pour boycotter l’allocution a circulé en ligne, sur le thème « Macron ne nous écoute pas, ne l’écoutons pas », alors que l’association Attac a appelé, quant à elle, à un « concert de casseroles » à 20 heures sur le parvis des mairies, au moment où le président prenait la parole.
vidéo du rassemblement à Castelsarrasin MVI_2289
« Les gens le détestent », s’en inquiétait dimanche un proche du chef de l’État, cité par le Parisien. Le terrain est à ce point miné qu’à Marseille, la préfecture a décidé d’interdire toute manifestation pendant l’allocution présidentielle, ce qui n’a pas décourager ses opposants. Le chef de l’État a donc atteint un tel niveau de rejet que, non seulement, chacun de ses déplacements entraîne une suspension du droit de manifester, mais, désormais, il en va de même pour ses prises de parole.
Le président se satisfait en réalité très bien de parler dans le vide
Tout cela est lunaire, mais qu’importe. Le président de la République, tout en disant regretter de ne pas avoir su convaincre les Français de la nécessité de sa réforme, se satisfait en réalité très bien de parler dans le vide. Et de ne s’adresser qu’au bloc d’électeurs, de moins en moins irréductibles, qui le soutient encore.
Emmanuel Macron s’appuie donc, comme attendu, sur l’onction donnée à la réforme par le Conseil constitutionnel le 14 avril pour déclarer que la réforme a « été adoptée conformément à notre Constitution et qu’elle était nécessaire : elle nous permet d’être plus forts, et d’investir pour notre avenir ».
Il faut donc que « le pays avance ». Mais ni l’avis des prétendus « sages » ni la promulgation expresse de la loi ne changent rien à la colère. Selon un sondage Elabe du 17 avril, 64 % des Français souhaitent que la mobilisation sociale contre la réforme se poursuive.
Un discours creux à mots-clés qu’on dirait sorti de l’algorithme de ChatGPT
« La réforme a-t-elle été acceptée ? La réponse est non. (…) Personne ne peut rester sourd à la colère et cette revendication de justice sociale et de rénovation démocratique qui a été exprimée », admet le chef de l’État, tout en ne cédant rien à aucune des revendications de la rue.
Et Emmanuel Macron de déployer un discours creux à mots-clés qu’on dirait sorti de l’algorithme de ChatGPT : il y est question « d’agir ensemble au-delà des clivages pour construire notre indépendance », « de retrouver l’élan de notre nation », de « libérer les énergies avec le seul intérêt du pays comme guide », d’une métaphore en apesanteur sur Notre-Dame. Autant d’éléments de langage dont on se demande bien à qui ils sont supposés s’adresser, et qui est dupe de ces mots dont le vide absolu est le principal moteur.
Agitation réformatrice
L’important est ailleurs : Emmanuel Macron, lui, veut poursuivre les réformes. Avec quelle feuille de route ? La réforme du lycée professionnel, celle du RSA (qui promet aussi son lot de colère sociale), un « meilleur contrôle de l’immigration illégale », une planification écologique pour cet été, l’hôpital public à « rebâtir »… Et avant cela, la reception des syndicats pour évoquer, entre autres, un meilleur partage de la valeur ajoutée – à ceci près qu’il n’y a plus que le patronat pour encore se rendre à l’Élysée.
Comme si l’agitation réformatrice pouvait être un remède à la crise. Sur France Inter, lundi matin, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, se livrait déjà à cette remarque surréaliste : « C’est étrange ce sentiment de fin de règne que peuvent avoir certains alors que nous n’arrêtons pas de réformer. » Étonnement sincère ou surjoué pour faire mine d’ignorer les raisons de la colère (les réformes, précisément, vécues comme d’intolérables violences sociales) ? On ne sait pas trop quelle option est la pire.
« Cent jours d’apaisement »
Pas de panique, le chef de l’État, magnanime, accorde tout de même aux Français « cent jours d’apaisement ». Selon plusieurs sources du palais, Emmanuel Macron entend également multiplier les déplacements dans les prochains jours et les prochaines semaines, pour aller à la rencontre des Français, dans l’esprit du grand débat postcrise des gilets jaunes. Français qu’il a pourtant soigneusement évités jusqu’à la promulgation de la réforme des retraites.
Le 14 avril, alors qu’il visitait le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’île de la Cité a été scrupuleusement vidée pour s’assurer qu’il ne croise aucun badaud opposé à la réforme. Ce qui n’empêche pas les conseillers élyséens d’expliquer que le président sera « à portée d’engueulades » dans ses futurs déplacements. « Si c’est pour nous expliquer qu’on n’a rien compris, ce n’est pas la peine de venir nous parler », s’agace le porte-parole du PCF, Ian Brossat : « Je ne vois pas quelles sont les capacités de rebond de Macron étant donné le niveau de rejet de sa politique et de sa personne dans le pays. »
Encore le refrain de la « nouvelle méthode »
Enfin, le président promet pour la énième fois de changer d’approche en « sollicitant toutes les forces d’action et de bonne volonté, pour construire des coalitions et alliances nouvelles sur les bases solides du Conseil national de la refondation, au plus près du terrain », ce qui ne veut, là encore, pas dire grand-chose.
D’autant que le refrain de la « nouvelle méthode » promise par Emmanuel Macron a déjà très mal vieilli. « Nous impliquerons davantage nos citoyens dans la construction des lois et les prises de décision », annonçait le porte-parole du gouvernement,
Olivier Véran, en juin 2022, tandis qu’Emmanuel Macron disait comprendre « la volonté des Français d’être associés à la décision » en octobre, au moment de relancer le fumeux Conseil national de la refondation. Une réforme des retraites sans consulter personne et un 49.3 plus tard, qui peut encore décemment les croire ? Cette allocution insipide et hors-sol est, à n’en point douter, déjà perdue dans les poubelles de l’histoire.
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