Hôtel de ville d’Hayange, dans le Grand-Est
Au dernières Municipales, le Front/Rassemblement National rafle la mise avec 11 mairies. Observés à la loupe pendant les six dernières années, ces maires ont cherchés à marquer la ville de leur empreinte non sans scandale. Souvent oubliées les politiques culturelles sont pourtant un excellent biais pour analyser les politiques publiques et leur politisation et instrumentalisation. Qu’en est-t-il à Hénin-Beaumont, Hayange, Mantes-la-Ville ?
En 2014, au lendemain du premier tour des élections municipales à Avignon qui place le candidat Front National (FN), Philippe Lottiaux, de quelques centièmes de points devant la candidate union de gauche (PS-EELV), Cécile Helle, en tête (29,63% contre 29,54%), Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon déclare à France Info (24 mars 2014) “Je ne me vois pas travailler avec une mairie Front national. Cela me semble tout à fait inimaginable. Donc je pense qu’il faudrait partir. Il n’y aurait aucune autre solution”. Olivier Py complète sa pensée lors d’un entretien donné au Nouvel Observateur le 26 mai 2014 : “rester, travailler avec le Front national, c’est le cautionner. Je ne le ferai pas, je ne prendrai pas la responsabilité historique d’asseoir Marine Le Pen et Jean Vilar à une même table. Oui, j’ai du mépris pour les idées du FN. Front national, ce nom veut bien dire quelque chose, non ?”.
Avec cette déclaration, Olivier Py s’engage fortement. Il marque une rupture entre le monde culturel et le Front National, et questionne de fait la relation qu’entretient le Front National avec les politiques culturelles.
Celle-ci n’ont pas toujours été très tendres et le cas des premières mairies FN est là pour témoigner de la violence de l’ingérence des majorités Front National dans les affaires culturelles. Mais de 1995 à aujourd’hui, rien n’aurait changé ?
Une politique de rééquilibrage culturelle qui ne passe pas
La 1ère réelle percée municipale du Front National a eu lieu en 1995. Avec près de 456 listes déposées dans des communes de plus de 9000 habitants et 1075 sièges de conseillers municipaux gagnés, le FN parvient aussi à ravir 3 villes : Marignane, Toulon et Orange. Elles seront suivies en 1997 par une victoire de Catherine Mégret aux municipales partielles de Vitrolles. Ces municipalités sont particulièrement importantes pour le FN et particulièrement suivies par la presse nationale car pour la première fois, le parti va avoir les pleins pouvoirs pour mettre en place des politiques reflétant leurs idéologies.
La volonté de Jean-Marie Le Pen face à ces mairies est très claire : mettre en place la préférence nationale et une politique clairement estampillée Front National. Ces mairies se distinguent donc par leurs politiques, et ce, même du côté culturel où on assiste à une “prise en main cavalière des affaires culturelles” (Dominique Albertini et David Doucet, Histoire du Front national, 2013). Les décisions en matière de culture de ces villes deviennent assez régulièrement des scandales très médiatisés.
C’est le cas par exemple de la politique de “rééquilibrage” de la bibliothèque municipale d’Orange qui arriva jusqu’au ministre de la culture de l’époque : on assiste à une volonté de rééquilibrer les acquisitions en fonction des familles politiques, en rejetant des livres en fonction des orientations politiques de leurs auteurs et en complétant d’ouvrages d’auteurs spécifiquement identifiés à l’extrême-droite ou de maisons d’édition spécialisées comme les Editions nationales (appartenant à Jean-Marie Le Pen), mais aussi en rejetant ceux qu’ils jugent contraire à la morale. A Marignane, certains titres comme Libération sont remplacés par une “presse amie” comme Rivarol. A Vitrolles, on peut citer le cas du café-musique le “Sous-marin” qui subit une liquidation brutale et illégale. Le but de la mairie est d’empêcher une programmation musicale “cosmopolite” et de sanctionner une équipe hostile au Front National.
Un nouveau FN/RN pour de nouvelles politiques ?
Marine Le Pen reconnaîtra que “le bilan des mairies FN est un sparadrap qui nous colle encore” (Albertini et Doucet, Histoire du Front national.). Car là où en 1995 Jean-Marie Le Pen voulait prouver “que les maires du Front national ne sont pas des maires comme les autres.” (Libération, 31 octobre 1995), Marine Le Pen veut quant à elle montrer que les maires FN sont des maires comme les autres et qu’on est loin de la politique désastreuse des mairies de 1995.
Dans ce cas là, il paraît d’autant plus intéressant de se pencher sur les politiques culturelles de ces nouvelles municipalités FN (Lors des élections municipales 2014, le FN remporte 11 villes, dont une au premier tour, celle d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) : Béziers (Hérault), Fréjus (Var), Hayange (Moselle), Cogolin (Var), Beaucaire (Gard), Villers-Cotterêts (Aisne), Luc (Var), Pontet (Vaucluse), Mantes-la-Ville (Yvelines) et le 7ème secteur de Marseille (Bouche-du-Rhône)), cheffes de file d’un Front National 2.0 au travers de trois exemples :
– Hénin Beaumont, ville vitrine du Front National. Marine Le Pen l’a choisie au milieu des années 2000 pour être le symbole du nouveau FN en se présentant en 2007 aux législatives sur la 14ème circonscription du Pas-de-Calais.. Le pari est réussi puisque la ville est même gagnée dès le premier tour avec 50,25 % des suffrages pour la liste portée par Steeve Briois.
– Hayange, ville conquise Fabien Engelmann, ancien syndicaliste CGT et militant d’extrême-gauche (à Lutte Ouvrière puis au NPA) est élu comme tête de liste du Front National qu’il a rejoint en 2010. Son fer de lance : la lutte contre l’islamisation.
– Mantes-La-Ville, première ville jamais conquise par le Front National.
2014 – 2019 : L’affirmation d’une certaine culture française
La vision de la culture et des politiques culturelles la plus flagrante qui se dégage de l’étude des politiques culturelles mise en place dans les villes d’Hénin-Beaumont, Hayange et Mantes-La-Ville qui s’inscrit profondément dans les thèmes de prédilection du Front/Rassemblement National : celle d’une identité française qui se construit de manière exclusive en opposition à autres identités culturelles. A travers leurs politiques et leurs programmations culturelles, les municipalités Front National essaient de figer ce que peut-être l’identité française. L’exemple le plus flagrant est celui de la fête du cochon d’Hayange, évènement culturelle et fête populaire lancée dès 2014 par la nouvelle majorité municipale. Présentée comme un événement festif et populaire exempt de toute connotation politique, la réalité est tout autre.
Car si les affiches des deux premières éditions sont sobres, ne contenant que les informations essentielles au public, les suivantes se dotent de slogans assez intéressants à étudier. En 2016, l’affiche titre “Le vivre-ensemble à la française”, celle de 2017, le fameux “Nos traditions d’abord” et celle de 2018, “fiers de notre culture”. Les trois désigneraient le cochon comme un marqueur de l’identité et de la culture française. Dans son discours lors de la première édition en 2014, Fabien Engelmann dira du cochon qu’il est “le fidèle compagnon de nos campagnes”, qu’il est “intimement lié au terroir, au patrimoine mosellan et lorrain” (Franceinfo, 5 avril 2015). Fabien Engelmann fait du cochon un symbole de la culture française et du local mais plus important encore, il en fait un symbole de la République : « La fête du cochon, c’est la solidarité, la joie palpable d’être ensemble et, n’ayons pas peur des mots, un apprentissage de la République. C’est l’oubli de soi et de ses petits intérêts pour davantage de fraternité et pour mieux vivre ensemble ». Pourtant le cochon n’est peut-être pas un élément des plus fédérateurs, le porc étant un interdit alimentaire dans deux religions : l’islam et le judaïsme.
Pour France Bleu, Fabien Engelmann rappelle qu’“il ne s’agit pas d’une fête politique”(France bleu, 2 septembre 2018), pourtant, dans une autre interview, cette fois-ci donnée au site d’extrême droite Riposte Laïque (31 aout 2018), Fabien Engelmann évoque “une tentative d’effacement, voire de remplacement, de nos traditions, de notre mode de vie, de nos valeurs”. Dans son discours lors de la fête du cochon de 2017, retranscrit par le site Riposte Laïque, Fabien Engelmann va même plus loin : il décrit la fête du cochon d’Hayange comme un espace de résistance ordre morale qui voudrait porter atteinte aux traditions françaises, se comparant même aux resistants de 39-45 face au nazisme et citant les noms de Jean Moulin ou du Général de Gaulle. Cette question du remplacement de notre culture renvoie à la théorie complotiste largement répandue à l’extrême droite et théorisée par Renaud Camus du grand remplacement, qui supposerait que l’immigration massive de populations extra-européennes viendrait supplanter dans la société le nombre de personnes européennes “de souche” et que ces nouveaux immigrés auraient pour but d’imposer à l’Europe leur culture et leur religion (l’Islam) au point de détruire toutes les cultures européennes.
Cette idée de résistance est d’ailleurs présente dans d’autres volets des politiques culturelles défendues par le Front National, et on la retrouve notamment dans les vœux relatifs à la défense de la francophonie pris par les conseils municipaux à majorité FN d’Hénin-Beaumont et Mantes-La-Ville.
Dans un premier temps, on identifie un véritable éloge du français qui tend vers la glorification de la langue française, présentée dans le voeu d’Hénin-Beaumont lors du conseil municipal du 8 avril 2015 comme un “outil de l’émancipation sociale, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. “La langue française s’est illustrée en portant loin les outils critiques d’une pensée libre et singulière et les progrès des sciences. Elle a exprimé les grands principes des Lumières et les a offert au monde.”
Dans un second temps, on découvre un champ lexical assez belliqueux : “la soumission, la démission et la résignation linguistiques” dans le voeu d’Hénin-Beaumont, triomphe, domination, anglicisation forcené, dans le vœu de Mantes-La-Ville. Les vœux de cette dernière sonnent presque comme une déclaration de guerre à l’anglais et une entrée en “résistance”. A cela s’ajoute la notion de préférence nationale chère au Front National face à l’utilisation de la langue anglaise.
Ce qui ressort de ces vœux, c’est bien une vision ethnocentriste de la langue et de la culture française qui serait une “grande langue” par rapport à d’autres qui seront par déduction inférieures, et qui serait porteuse d’une civilisation ou d’un esprit civilisateur à protéger, ayant libéré le monde d’un certain obscurantisme..
Enfin le dernier évènement qu’il paraît pertinent d’aborder dans cette partie sur la mise en avant des traditions françaises et la valorisation d’une certaine identité au travers des manifestations culturelles mise en place dans les municipalités Front National, c’est bien le lien entretenu avec la religion catholique avec l’installation de crèches de Noël par les mairies. Ce fut le cas dans deux des trois villes étudiées : Hayange et Hénin-Beaumont. Les deux furent installées en décembre 2015. A Hénin-Beaumont, la crèche trouva place dans le hall de la mairie quant à Hayange la crèche fut installée sous le sapin de la place du marché. Ces deux installations de crèches furent annulées par la justice française : pour la cour d’appel, la crèche “ne présentait par elle-même aucun caractère artistique ou culturel” et que la commune “a méconnu l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité” (La VDN, 16 novembre 2017). La mairie d’Hénin-Beaumont a alors rapidement réagi par la voix du maire dans une publication facebook : “Cette décision scandaleuse viole toutes les traditions de notre pays et confirme la dérive des juridictions administratives qui interdisent les crèches de Noël l’hiver mais autorisent le burkini l’été.”
Après 5 années de mandat, il se dessine à la lumière de ces recherches un fil rouge de la politique culturelle menée dans les municipalités Front/Rassemblement National.
Très attaché dans leur discours national à la question de préférence nationale et au rapport à l’identité française, ces thématiques se retrouvent de manière assez évidentes dans les orientations politiques choisies en matière de culture et ce même dans les événements festifs comme la fête du cochon d’Hayange. Ces manifestations politiques et culturelles permettent aussi de définir ce que les membres du Front National mettent derrière le terme d’identité. On y retrouve une forte ligne de traditions et de terroir local français, mais aussi une forte relation à la religion catholique et enfin une certaine glorification de l’histoire passée de la France. On sent aussi une construction identitaire en opposition avec les autres cultures, ce qui est parfaitement palpable dans les vœux de défense de la langue française et d’attaque contre la langue anglaise, mais cette construction se fait aussi largement en opposition avec l’Islam.
La fête du Cochon, à Hayange (Grand-Est)
Mais une culture oubliée et dépolitisée
Malgré ça, nous assistons tout de même à un phénomène, certes commun à de nombreuses mairies, celui de la dépolitisation des politiques culturelles et une gestion de celles-ci loin d’êtres aux coeurs des préoccupations municipales.
Un des marqueurs de la politique culturelle des trois villes que nous suivons, Mantes-La-Ville, Hénin-Beaumont et Hayange, est le goût des fêtes et des manifestations populaires. Chacune des trois villes choisies a décidé de mettre en place de nouvelles festivités locales et estivales afin de rassembler tous les habitants. A Hayange, cela passe par la fête du cochon que nous avons évoqué précédemment qui a pour but de rassembler les hayangeois autour des traditions et de partager un moment festif et convivial. A Hénin-Beaumont, ce goût des fêtes populaires se traduit par deux manifestations. Tout d’abord, le festival “Les médiévales” qui se déroule durant un week-end de juin. Cet évènement à pour but de rendre hommage à l’histoire de la ville d’Hénin-Liétard, ancienne cité médiévale, mais aussi par l’événement “HB, la plage”, lancé en 2014 par la nouvelle municipalité, cette manifestation a pour objectif de dynamiser le plan d’eau du bord des eaux, avec une plage éphémère durant 2 à 3 semaines chaque été. Enfin à Mantes-La-Ville s’organise chaque année durant le week-end de la pentecôte un événement appelé “Festi’Ville”. Organisée chaque année autour d’une thématique différente : La Belle époque en 2016, Les Îles en 2018, ou Les Amériques en 2019, les festivités se font autour de la fête foraine installée durant le week-end et s’accompagne de concerts, animations pour les enfants et d’un feu d’artifice.
Ces quatre événements, qui sont tous des festivités estivales, ont pour but de créer comme le précise à chaque fois les équipes municipales une manifestation conviviale et festive qui réunit tous les habitants de la commune. Se faisant autour d’événements et d’animations simples pour petits et grands, ces quatre manifestations tendent vers le divertissement et cherchent à mettre en avant une culture populaire, commune à tous, entièrement dépolitisée.
De plus, les politiques culturelles sont souvent reléguées à une gestion de seconde zone comme le montre par exemple le choix l’attribution de la délégation culturelle à un adjoint. Souvent l’adjoint à la culture cumule sa délégation avec d’autres délégation plus ou moins liées à la question culturelle.
A Hayange par exemple, ce fut un temps Emmanuelle Springmann qui lors du remaniement de la liste des adjoints lors du conseil municipal du 3 septembre 2014 devient pour une courte période adjointe au commerce, à l’artisanat, au développement économique et à la culture. Cette association est particulièrement étonnante et pose des questions sur l’objectif et la vision de la culture pour la mairie d’Hayange. La culture doit-elle être rentable ou avoir une fibre commerciale ? Ce n’est pas la même chose d’associer la délégation culturelle avec celle de la jeunesse, qui peut permettre de faire le lien entre les publics, ou avec le sport et le socioculturel.
A Hénin-Beaumont, l’adjoint à la culture se nomme Christopher Szczurek. Il est président de la commission vie culturelle, associative et citoyenne. Association qui peut paraître étrange car la question citoyenne intègre aussi la sécurité. Lors du 2 mars 2018, Christopher Szczurek assiste à son premier conseil en temps que 3ème adjoint (je n’ai pas trouvé trace de sa nomination). Il est adjoint aux finances, à la vie culturelle, associative et citoyenne. Encore une fois, et ici davantage encore que pour Hayange, l’association questionne car les finances étant une des délégations les plus importantes d’une municipalité mais aussi des plus prenantes, on peut assez aisément supposer que cette délégation doit surpasser en temps et en implication celle de la vie culturelle qui doit souvent être mise de côté.
En conclusion, souvent reléguées au second plan, les politiques culturelles sont tout de même des politiques marqueurs dans la gestion municipale du Front National, et malgré une dépolitisation de façade, celle-ci sert aussi la cause du parti et de la volonté de sa dirigeante de faire des maires FN des maires comme les autres.
Mathilde Lagadu-Cleyn
En savoir plus :
– Bressat-Bodet, Cécile. « Culture et autorité partisane : la politique de “rééquilibrage” de la bibliothèque d’une municipalité FN (Orange, 1995-1997) ». Pôle Sud 10, no 1 (1999): 75‑92.
– Guiat, Cyrille. « ‘Le choix du beau et du vrai’. La politique culturelle du FN/MNR à Vitrolles : entre néo-classicisme et invention de la tradition, 1997-2002 ». e-France 1 (2007).
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