Qu’est-ce que l’impérialisme ? (texte de réflexions)
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L’impérialisme ne se résume pas à une certaine configuration des relations internationales. C’est une ère nouvelle du capitalisme et donc de l’histoire de l’humanité, l’ère de la dictature totale des monopoles et du pourrissement des sociétés.
L’impérialisme est une ère, une période nouvelle du mode de production capitaliste. On peut résumer l’impérialisme pris sous toutes ses coutures dans une unique sentence : l’impérialisme est la dictature totale des monopoles capitalistes. Elle est totale car elle touche tous les domaines de la vie humaine. La vie politique, la vie économique, mais aussi la vie culturelle, la santé et même la vie sexuelle des humains sont affectées par l’impérialisme. Il est vain de chercher à séparer ces aspects. On peut seulement les distinguer les uns des autres. Est impérialiste tout ce qui relève de cette dictature mondiale et totale des monopoles, tout ce qui assoit leur pouvoir sur les êtres et les choses.
Le qualificatif d’impérialiste est très employé par la gauche anti-libérale pour flétrir les grandes puissances, en particulier les États-Unis, qui oppriment des peuples entiers en les exploitant eux et leurs ressources naturelles. C’est un mot qui pue le soufre comme la traînée toxique émise par le président Bush que Hugo Chavez avait déclaré avoir senti en passant après lui à la tribune de l’ONU. L’ardeur anti-impérialiste du feu président vénézuélien vivifie encore les esprits combattants et patriotes du monde entier, rayonnant depuis la Fleur des Quatre éléments du Cuartel de la Montaña sur laquelle il repose pour l’éternité. Il en faut, de l’ardeur et de l’enthousiasme, pour faire échec à l’impérialisme.
L’anti-impérialisme est une lutte acharnée, un combat ancien, commencé dès 1898 avec la fondation de la Ligue anti-impérialiste aux États-Unis.
Il ne constitue pas un mouvement mais un étendard sous lequel se placent ceux qui affirment lutter pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, quelle que soit leur couleur politique. Cependant, la polyphonie de l’anti-impérialisme a rapidement dégénéré en cacophonie. La notion d’impérialisme a été mise en charpie par les divisions violentes entre anti-impérialistes, brouillée par la confusion des gratte-papiers universitaires qui étaient censés clarifier le débat, puis détournée par ceux qui ont répété ce mot de façon incantatoire pour désigner tout et n’importe quoi. En 1973, Hans Morgenthau faisait ce constat déjà ancien en son temps que « l’usage arbitraire du terme à des fins politiques a été si répandu qu’aujourd’hui impérialisme et impérialiste sont appliqués de façon indifférenciée à toute politique étrangère, qu’importe son contenu réel, à laquelle l’utilisateur du terme est opposé » (1). Un pays en envahit un autre pour une raison X ? Impérialiste ! Une société véreuse emploie de la main d’œuvre pas chère à l’étranger ? Impérialiste ! Un pays cherche à conquérir des îles pour rafler la ZEE ? Impérialiste ! Une compagnie étrangère ouvre une succursale à côté de chez vous ? Impérialiste ! Cet adjectif entre dans l’oreille des gens tout déformé, et en ressort de leur bouche affreusement mutilé.
Les doctes de nos universités ne témoignent pas d’un plus grand respect pour le sens de ce concept. Amiya Kumar Bagchi se désolait il y a bientôt quarante ans de « l’interprétation extrêmement desséchée qui est devenue monnaie courante dans la littérature universitaire » (2), fruit de leur étroitesse d’esprit ou de mauvaises interprétations découlant « d’une lecture négligente et désinvolte ». Les professeurs bourgeois n’ont pas manqué d’appeler leurs collègues à jeter le mot à la poubelle. On a pu entendre le professeur Hancock pérorer crânement que l’« impérialisme n’est pas un mot pour universitaire » (3). Pourtant, bien que les professeurs, les gens instruits et les sachants aient balayé d’un revers de main le mot « impérialisme », qui représente pour eux une véritable « nuisance » (4), ils sont forcés d’y revenir, bien qu’à reculons, le réel étant particulièrement têtu.
Pour pouvoir proposer une définition claire et distincte de l’impérialisme, il faut donc percer la gangue qui a dégouliné des encriers des gratte-papiers depuis plus d’un siècle pour empâter la cervelle des gens. Comme le relevaient en leur temps Koebner (5) et Etherington (6) à trente ans d’intervalle, ceux qui emploient ce mot en ont une compréhension beaucoup plus confuse que celle de ceux qui l’ont théorisé. Lénine le savait déjà : « les savants et les publicistes défendent généralement l’impérialisme sous une forme quelque peu voilée ; ils en dissimulent l’entière domination et les racines profondes ; ils s’efforcent de faire passer au premier plan des particularités, des détails secondaires, s’attachant à détourner l’attention de l’essentiel par de futiles projets de « réformes » tels que la surveillance policière des trusts et des banques ». Pour mettre fin à cette confusion, il faut clairement délimiter le sujet, dire ce que n’est pas ou pas forcément l’impérialisme tout en disant ce qu’il est toujours, afin de mettre au premier plan ses traits essentiels.
Il faut s’imprimer dans le crâne, avec un fer rouge si nécessaire, que l’impérialisme est une période de l’histoire qui commence à partir des années 1880 et pas avant.
L’historien Eric Stokes s’arrachait les cheveux face à ce qu’il appelait the imperialism problem, le problème « impérialisme », qui a entaché une grande partie de l’historiographie de la colonisation. Appliquer les théories de l’impérialisme au colonialisme du XIXᵉ siècle est une erreur fondamentale. Lénine le savait déjà : la politique coloniale avant le tournant impérialiste était celle de la « libre conquête », qui correspondait à la société de « libre concurrence » de l’époque. À l’époque, des flibustiers et des aventuriers pouvaient se permettre de conquérir des terres, parfois à l’insu du pouvoir métropolitain. Il faut bien comprendre que lorsque l’idée d’impérialisme a été formalisée par des penseurs comme Hobson puis Lénine pendant les années 1900, c’était une théorie à propos de l’avenir et non du passé (7). On ne voit plus aujourd’hui des Mayflower se poser sur des côtes « vierges » ou des fous furieux comme William Walker prendre possession d’un pays tout entier, pour son propre compte et contre l’avis des politiciens de la métropole, avec une bande de mercenaires. On ne peut plus se tailler des empires « dans un accès d’étourderie » (in a fit of absence of mind) comme le disait Sir John Robert Seeley (1834-1895). Le partage du monde est aujourd’hui achevé.
Une nouvelle ère (8) a donc été ouverte, et une « ère est appelée une ère précisément parce qu’elle embrasse la somme totale de phénomènes variés et de guerres, typiques et atypiques, grandes et petites, certaines spécifiques à des pays avancés, d’autres à des pays retardés » (9). L’impérialisme est un fait total. Comprendre cela nous permet d’éviter deux écueils. Le premier est d’essayer d’invalider la thèse de l’impérialisme en pinaillant sur des faits secondaires, ce qu’adorent faire les scribouillards bourgeois, et de débiter des insanités qui inversent la réalité comme Sidney Morgenbesser en disant que « l’impérialisme n’est pas le stade suprême du capitalisme, mais le capitalisme est un stade de l’impérialisme » (10). Au fond, l’impérialisme, comme la prostitution, selon ce qui se dit au café du commerce, serait aussi vieux que le monde.
Le mot impérialisme est un néologisme des années 1880. Il a d’abord été employé pour décrire tout simplement la forme de gouvernement qu’est l’Empire, qu’il soit celui de la vénérable Rome ou celui de Napoléon III. Il a ensuite pris une référence territoriale, c’est-à-dire la conquête et la conservation « d’un ensemble de territoires gouvernés ou administrés par la métropole avec différents degrés d’autonomie » (11). Le grand tournant a eu lieu en 1898 avec la naissance d’un « Empire américain ». L’impérialisme est devenu une idée plus abstraite. En effet, les États-Unis du président William McKinley avaient fait main basse sur les colonies espagnoles (Cuba, Puerto Rico, Philippines, etc.) après avoir chassé leurs concurrents à coups de canon. Ils hésitaient alors entre bâtir un véritable empire, un « Greater United States », ou se contenter de piloter à distance via des pions. Toute la politique extérieure américaine balancera par la suite entre ces deux solutions. Désormais, la colonisation n’est plus qu’une option parmi d’autres, et pas la plus pratique, pour créer des dépendances politiques, économiques et culturelles. Il apparaît aussi clairement que la seule lecture de l’impérialisme comme politique extérieure ne permet pas de comprendre ce qui a radicalement changé lors de la toute fin du XIXᵉ siècle. En effet, ce sont les institutions mêmes des démocraties libérales qui sont profondément affectées par le tournant impérialiste.
L’impérialisme en tant que nouvelle ère politique ne frappe pas que les pays exploités mais aussi les pays impérialistes eux-mêmes. Lorsque les États-Unis ont conquis sans effort les Philippines en 1898, les premiers anti-impérialistes américains ont pu dire « Dewey a pris Manille au prix d’un seul homme et de toutes nos institutions ». Le sénateur William Jennings Bryan, dans un vibrant discours du 8 août 1900, a brillamment exposé le fait que l’orientation impérialiste des États-Unis entre en contradiction totale avec les valeurs défendues par la République. Autrefois, au XIXᵉ siècle, la patrie de Washington, de Jefferson et de Lincoln était un exemple achevé de démocratie libérale. La République américaine n’avait pas d’armée permanente, pas d’État fédéral puissant, pas de police développée. La République du XIXᵉ siècle, celle qui a brisé les fers des esclaves, celle des petits propriétaires et des pionniers, est morte. Pourtant, les institutions centrales sont restées les mêmes. Le régime est toujours présidentiel. La Constitution a été amendée plusieurs fois, mais au fond, elle reste un texte sacré et intouchable. Pourtant, tout a changé. En économie comme en politique, la petite-bourgeoisie a été définitivement mise en minorité par les grands monopoles. Voyez comment les politiciens américains mangent dans la main des grands banquiers et industriels !
« La superstructure politique de cette nouvelle économie, du capitalisme monopolistique […] est le passage de la démocratie à la réaction politique. La démocratie à la libre concurrence. » (12)
Lénine L’impérialisme, stade suprême du capitalisme
Le suffrage universel et la résistance d’hommes politiques aux marges permettent de limiter l’emprise des monopoles, mais laissent aussi la possibilité à un secteur libre et concurrentiel du marché de continuer d’exister, à côté, résiduellement. En France et en Europe, la tension entre Empire et République est à peine voilée : la République française, déjà bien retournée par les intérêts monopolistiques, est subordonnée en grande partie à la politique menée par ce presque-Empire, cette confédération d’intérêts qu’est l’Union européenne. L’impérialisme politique interne, c’est donc avant tout une tyrannie politique des monopoles tempérée par le vote.
La réduction de l’impérialisme au champ des relations internationales a conduit à de fausses équivalences. Pour George Lichtheim, ce que le mot dénote est « une relation : spécifiquement la relation entre un régime ou un pouvoir de contrôle et ceux sous sa domination » (13). De fil en aiguille, on considère alors que l’impérialisme, qualifié de « formel » ou « d’informel », a pour « paradigme type » le colonialisme. Bagchi martèle, et nous enfoncerons le clou, que « la relation du colonialisme avec l’impérialisme prête toujours à confusion, même chez les analystes radicaux du capitalisme, et la révélation est cruciale pour une présentation convenable de la théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme » (14).
Le colonialisme est antérieur à l’impérialisme, mais l’économiste indien précise bien que cela ne veut pas dire que ce mode d’exploitation des populations ne continue pas sous la nouvelle ère. Il est vrai que l’impérialisme est une « tendance aux annexions » au sens large du terme qui prolonge la logique coloniale. Lénine nous a cependant averti que c’est une définition « juste, mais très incomplète » (15). Les temps ont changé depuis 1907 et il n’existe plus d’empires coloniaux. C’est pourquoi aujourd’hui, on a collé un préfixe néo au colonialisme, ce qui ajoute à la confusion. Le néocolonialisme tend à effacer l’impérialisme pour pouvoir décrire cette persistance de la domination des anciennes puissances coloniales vis-à-vis de leurs colonies affranchies à travers trois moyens principaux : les grandes firmes, le commerce extérieur et l’aide liée (16). Cet effacement est dû à une définition beaucoup trop large du colonialisme comme « modification de l’économie et de la structure sociale par un autre plus puissant capable d’imposer sa volonté » (17) que l’on pourrait appliquer à toutes les époques de l’humanité. Bagchi préfère parler de « méthodes d’exploitation néocoloniales » (18), non pas pour pinailler, mais pour bien comprendre que : 1° l’impérialisme est la nouvelle ère du capitalisme, pas le « néocolonialisme », 2° le néocolonialisme est une pratique impérialiste qui prolonge une sujétion antérieure.
Ne concevoir l’impérialisme que comme un phénomène de nature politique revient à comprendre les relations sociales qui le définissent non comme « des relations d’exploitation qui reconnaissent la liberté et l’égalité formelle des producteurs », c’est-à-dire précisément des relations capitalistes, « mais comme une relation d’échanges inégaux fondés sur la domination directe et sur le pouvoir » (19). De cette illusion ou de cette tromperie vient l’accusation de l’économie actuelle de ne pas être authentiquement capitaliste, mais d’être un « capitalisme de connivence » ou un « néo-féodalisme », de la part des petits-bourgeois, qu’ils soient défenseurs de la concurrence libre et non faussée ou d’un capitalisme plus « social ». L’impérialisme, dans la tête de ces gens, ne relève pas tant de l’exploitation que de relations de pouvoir et de domination qui affectent la « répartition des richesses ». Comme leur acception du mot est très large, très vague, et très fumeuse, ils ont essayé d’y ajouter des adjectifs et des préfixes. On parle d’impérialisme « informel », de « sous-impérialisme », « d’impérialisme réactif », « d’impérialisme de libre-marché » voire de « démocratie prédatrice »… Tous ces concepts sont autant de ronds que l’on cherche à faire entrer dans un carré et autant de façons de s’écharper pour savoir si les facteurs politiques sont plus forts que les facteurs économiques ou l’inverse (20). Les communistes doivent détourner les masses de ces enfantillages, de ces disputes sans intérêt de politiciens et de petits entrepreneurs pleins de convictions mais complètement cocus.
Pour Lénine, qui puise largement chez Hobson et Hilferding, « si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme » (21). Il a déterminé les cinq caractères fondamentaux de l’impérialisme, dans son versant économique :
- Concentration de la production et du capital en monopoles, décisifs dans la vie économique
- Une oligarchie financière fondée sur l’union entre capital bancaire et capital industriel
- La prise d’importance de l’exportation des capitaux dans la vie économique mondiale
- Le partage territorial achevé du monde
- Le partage économique du monde par les monopoles
Plus précisément, les deux premières caractéristiques posent les fondements de l’oligarchie financière monopolistique tandis que les trois suivantes décrivent l’étendue de la tyrannie de cette oligarchie sur le monde.
La concentration de la production et du capital en monopoles, décisifs de la vie économique, est le premier de ces caractères. En France, les secteurs de l’économie sont très concentrés. Selon l’INSEE, en 2019, 3,8% des entreprises marchandes (hors activités financières et agricoles), un petit groupe composé des grandes entreprises, des ETI et des PME, séparé de l’immense masse de micro-entreprises, représentent 86% du chiffre d’affaires dégagé par les entreprises et emploient plus de huit personnes sur dix en France. Parmi ces 3,8% d’entreprises, un groupe minuscule d’entreprises, au nombre de 287, se démarque. Ce sont les grandes entreprises, qui, en valeur, sont à l’origine de presque la moitié des exportations françaises et détiennent aussi presque la moitié des immobilisations corporelles. Si l’on prend l’Union européenne tout entière, seules 0,2% des entreprises ont plus de 250 salariés et pourtant ce même 0,2% génère 42,40% de la valeur ajoutée, comme le relève Christian Fuchs à partir des données d’Eurostat pour l’année 2007 (22).
Cette concentration aboutit à une grande oligarchie financière fondée sur l’union entre capital bancaire et capital industriel. Les établissements financiers ne sont traditionnellement que des intermédiaires qui mettent à disposition les fonds des épargnants à des agents économiques en besoin de financement. Ils engagent les débiteurs à rembourser l’argent emprunté, avec un petit plus pour rendre l’affaire profitable pour l’épargnant : c’est le taux d’intérêt. Du fait de leurs besoins sans cesse croissants, les industriels sont devenus dépendants des banques pour financer l’essentiel de leurs investissements. L’argent qu’ils utilisent ne leur appartient pas vraiment. Il revient à l’établissement financier. Ces créances sont des obligations légales de rembourser le capital, avec intérêts, et ouvrent parfois à des droits sur la société, de gestion et de propriété. La « fusion » et « l’interpénétration » des capitaux financiers et industriels dont parle Lénine consistent en la détention de tels droits par des personnes physiques, les capitalistes, à travers des entreprises financières, sur les sociétés industrielles et par ricochet sur leurs filiales. Les grands capitalistes sont les premiers à se rendre compte de cette fusion. Il est aujourd’hui impossible pour un oligarque de connaître en temps réel la composition de sa fortune. Celle-ci est gérée, avec celle de plein d’autres capitalistes plus ou moins gros, par des « investisseurs institutionnels », c’est-à-dire des fonds de pensions, des assurances, etc. Les entrepreneurs industriels, les « capitaines d’industrie » qui ont leur boîte familiale, existent encore, mais doivent composer avec ces géants.
Le caractère financier de ce capital est dû à sa nature fongible. C’est du capital-argent qui se déplace d’une entreprise à l’autre, de l’agro-alimentaire à la téléphonie, en passant par la maroquinerie et mille autres secteurs, indifféremment, selon l’attractivité du débiteur potentiel. Les dix-sept géants identifiés par l’économiste Peter Phillips constituent un réseau aux dimensions impressionnantes. Les fonds gérés par les géants entre eux sont estimés à environ 41 mille milliards de dollars américains pour l’année 2017. À leur tête trône l’inénarrable BlackRock. Il faut cependant se rappeler que ces fonds d’investissement ne sont pas les véritables maîtres du monde mais seulement leurs golems, de simples gestionnaires au service d’une classe capitaliste recouverte d’un écran de fumée tissé par l’anonymat et le secret des affaires. Malgré cette obscurité volontaire, l’oligarchie financière n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui et il faudrait être fou pour nier son existence et son pouvoir total. La proportion d’actifs possédée par la Haute Banque est si grande qu’elle contrôle effectivement l’économie mondiale dans son ensemble. Fuchs a relevé ce chiffre éloquent : 75,96% des actifs détenus par les 2000 plus grandes entreprises du monde recensées par Forbes en 2008 appartiennent à des entreprises du secteur financier.
Les monopolistes sont devenus les princes de ce monde. Ils règnent en seigneur et maître sur la Terre, plaçant sous des centres de commandement centralisés l’ensemble des forces productives et des ressources de notre planète.
Pour piloter leurs empires, les oligarques recrutent des armées d’ingénieurs et d’administrateurs chargés d’accomplir le maître mot du développement impérialiste : la rationalisation. Ces commis du grand capital sont chargés de rechercher les économies d’échelle, les moyens les plus efficaces de produire à moindre coût et ce à une échelle mondiale. La production devient sociale, c’est-à-dire qu’elle s’organise à l’échelle de la société humaine toute entière, ou plutôt qu’elle détermine l’organisation de la société humaine. Ainsi, « le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production ; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation (23) ». Concrètement, des pans entiers de l’économie mondiale sont pilotés par des humains ou des automates. N’en déplaise aux vieux scribouillards libéraux comme Hayek, l’économie planifiée a pris le dessus sur la « concurrence libre et non faussée ».
Désormais, il est possible pour un industriel de savoir ce que va acheter un consommateur avant même que ce dernier en ait l’idée, grâce à la collecte et au traitement massif des données. Il leur est possible de connaître en temps réel l’emplacement géographique de chaque produit, chacun estampillé d’un code-barres l’identifiant individuellement, afin de les déplacer, de les stocker et de les acheminer vers leur consommateur final qui n’a eu qu’à attendre quelques jours pour que son bibelot venu du fin fond d’un atelier du Sri Lanka arrive au pied de sa porte. Un tel progrès technique surpasse les utopies de nos aïeux. Le monde est dirigé par des chefs d’orchestre dont la mélodie nous est si familière qu’elle n’est plus qu’une musique de fond. Les baby-boomers qui ont vécu ces grandes transformations sont encore transportés par cette « magie fonctionnelle » que décrivait Michel Clouscard : il suffit d’appuyer sur un bouton. Pour nombre d’entre eux, c’est l’évolution naturelle des choses. Pour les nouvelles générations, en revanche, cette évolution apparaît comme contre-nature. Faire l’éloge des grandes entreprises, des grands monopoles, c’est faire l’apologie du « productivisme » et de la destruction de l’humain et de son environnement. Les capitalistes pervertissant tout ce qu’ils touchent, le progrès technique est devenu un vecteur de régression sociale. Si les classes parasitaires ont depuis des millénaires l’art de trouver aux outils façonnés par les humains leur double tranchant, elles ont atteint de nos jours un seuil qualitatif qui force l’admiration. L’industrie agro-alimentaire a réussi à faire reculer la faim, elle fait pourtant avancer la malnutrition. L’industrie des opiacés a soigné la douleur des malades, pour qu’ils se plantent ensuite des aiguilles pour satisfaire leur addiction. L’industrie informatique a étendu les fonctions des ordinateurs, elle cherche maintenant à les brider pour enfermer les utilisateurs. Ce qui vous a soigné hier vous donnera le cancer demain et tout confort devient une hypothèque sur votre avenir. Or, aujourd’hui, précisément du fait de l’impérialisme, cet avenir est commun à tous.
Ce que l’on appelle « mondialisation » recouvre essentiellement les trois dernières caractéristiques économiques de l’impérialisme. Ce concept part d’un constat simple qu’avait déjà fait Lénine, qui lui-même ne faisait que citer ses devanciers : « le temps du monde fini commence » (24). Désormais, l’heure est au « partage définitif du globe, définitif non en ce sens qu’un nouveau partage est impossible […] mais en ce sens que la politique coloniale des pays capitalistes en a terminé avec la conquête des territoires inoccupés de notre planète, si bien qu’à l’avenir il ne pourra uniquement être question de nouveaux partages, c’est-à-dire du passage d’un “possesseur” à un autre, et non de la “prise de possession” de territoires sans maîtres » (25).
Cette maîtrise du territoire passe par l’extension et la densification du maillage de réseaux de transports de biens et de personnes qui sont plus ou moins fortes selon le développement du capitalisme qui, comme le disait Lénine, est inégal. Par exemple, 65% des êtres humains ont accès à Internet en 2021, et les 2,9 milliards d’individus qui n’ont pas encore été pris dans la Toile vivent pour 96% d’entre eux dans des pays en voie de développement.
Pour Christian Fuchs, les études critiques sur la mondialisation doivent se recentrer sur Lénine. Cependant, cela revient à admettre que l’étude sur l’impérialisme n’est qu’un compartiment des études sur la mondialisation. Le concept de mondialisation est explicitement anti-progressiste et contre-révolutionnaire. « Contrairement aux rêves des philosophes-prophètes du XIXᵉ siècle (Hegel, Comte, Marx, etc.), la mondialisation n’est porteuse d’aucun sens de l’histoire ; il s’agit seulement de l’explosion des flux » (26). La mondialisation est un concept de l’idéologie dominante, vague, pauvre et pourri. Cela ne veut pas dire qu’il ne permet pas de décrire une réalité ni que les études sur le sujet n’apportent pas des choses intéressantes. Le problème est qu’il se contente de décrire des faits sans les expliquer. Les différents types de flux sont énumérés (flux de personnes, de biens et de services, de représentations mentales, etc.) sans que l’on trouve un quelconque trait commun qui révèle la raison profonde de leur développement simultané. Étudier la mondialisation en tant que telle, c’est ne considérer que l’écume des choses. Néanmoins, il a été reconnu que la mondialisation s’inscrit « dans une tendance plus longue, celle de la soumission progressive de tout espace physique et social à la loi du capital, loi d’accumulation sans fin qui est la finalité ultime du système économique » capitaliste (27). Cette économie capitaliste, ce système, c’est aujourd’hui le règne des grands monopoles. Il existe plusieurs formes d’exportations de capitaux, qu’on appelle aujourd’hui « flux de capitaux » dans la littérature sur la mondialisation. Les flux de capitaux prennent la forme d’investissements directs à l’étranger (IDE) par la construction de sites de production à l’étranger (investissements greenfield), le rachat de sites de production existants (fusion-acquisition transfrontalière) et par l’établissement de co-entreprises avec d’autres groupes et sociétés locales.
Ces flux peuvent aussi être des investissements en portefeuille, c’est-à-dire consister en l’achat de titres financiers (obligations, actions, etc.) visant à ponctionner des retours sur investissement sans prendre le contrôle de la société. Les monopoles impérialistes, plutôt que d’investir sur le sol national, préfèrent aller voir ailleurs, là où l’herbe est plus verte, les salaires plus bas et les matières premières plus abondantes.
Hobson avait ces mots prophétiques : « Une grande partie de l’Europe occidentale pourrait […] prendre l’apparence et le caractère qu’ont maintenant certaines parties des pays qui la composent : le sud de l’Angleterre, la Riviera, les régions d’Italie et de Suisse les plus fréquentées des touristes et peuplées de gens riches – à savoir : de petits groupes de riches aristocrates recevant des dividendes et des pensions du lointain Orient, avec un groupe un peu plus nombreux d’employés professionnels et de commerçants et un nombre plus important de domestiques et d’ouvriers occupés dans les transports et dans l’industrie travaillant à la finition des produits manufacturés. Quant aux principales branches d’industrie, elle disparaîtraient, et la grande masse des produits alimentaires et semi-ouvrés affluerait d’Asie et d’Afrique comme un tribut » (28). Ce dont Hobson parle est connu aujourd’hui plus précisément sous le nom de « fragmentation des chaînes de valeur », un processus qui est exposé dès le lycée en cours d’histoire-géographie en prenant l’exemple peu original mais efficace de l’Iphone.
Les différentes parties du produit final sont fabriquées dans des pays différents du monde à la fois selon leurs avantages comparatifs, c’est-à-dire là où les pays sont les meilleurs, et selon la dotation du pays en « facteur travail », une façon pudique de dire que l’on va saigner à bas coût une main d’œuvre taillable et corvéable à merci (29). À force d’attirer les capitaux, les pays exploités ont fini par produire une grande partie des produits manufacturés dans le monde au point d’assumer dans certains systèmes de fragmentation de valeur (designed in California, made in China) la totalité de la partie de la production concrète du produit, tandis que les pays impérialistes assurent les deux extrémités du processus que sont la conception du produit en amont, le marketing et la vente en aval. Or, à force de fabriquer les produits, on commence à comprendre comment ils fonctionnent. Les pays exploités ont donc commencé à les fabriquer eux-mêmes et à faire mieux que les concepteurs. C’est le phénomène de montée en gamme qui a donné Huawei.
Désormais, les pays exploités sont devenus excédentaires. Les pays excédentaires comme les grands manufacturiers et les producteurs d’hydrocarbures financent à bas coût les dettes des pays impérialistes. Le rôle central du dollar permet aux États-Unis de drainer, tel un vampire, l’épargne mondiale. Les oisifs et les improductifs vivent à crédit. Ce n’est pas de l’argent magique. Il provient du labeur des peuples exploités.
La relation entre les impérialistes et les peuples opprimés est celle du maître et de l’esclave chez Hegel. Le maître impérialiste a réussi à assujettir l’esclave. Il a pu se permettre de vivre comme un porc en consommant ce que l’autre a produit mais au prix de sa propre liberté : il est devenu dépendant, il ne peut vivre sans son esclave. L’esclave, lui, a été forcé de se retrousser les manches et de travailler comme un forçat. Sa condition a pu lui permettre d’apprendre un métier, des savoirs. Une fois qu’il aura tout appris, il ne lui restera plus qu’à mettre à la porte le parasite social qui est sur son dos pour vivre librement du fruit de ses efforts.
C’est précisément la stratégie qui a été employée en Extrême-Orient, et en particulier par la Chine. Deng Xiaoping a attiré les Américains comme des cochons avec une carotte. Ils ont délocalisé leurs entreprises et bâti de grandes usines où ils ont pu exploiter à volonté une main d’œuvre disciplinée. Dommage pour les impérialistes, ils ne peuvent pas physiquement déplacer les usines. Fidèles à eux-mêmes, en construisant des usines dans un pays et en devant supporter un transfert de technologies, les capitalistes ont vendu la corde qui a servi à les pendre. Il faut qu’ils se retirent, avant que les salaires augmentent et avant que les entreprises locales deviennent si puissantes qu’elles finissent par les supplanter ! Il faut relocaliser, revenir au pays ! C’est trop tard.
Adam Smith avait déjà averti en son temps les capitalistes. Seul le travail concret, matériel, peut fonder la prospérité future. Les menial servants, comme il les appelait, et qu’on appelle désormais travailleurs du tertiaire, sont très importants et rendent des services, mais, bien que leur travail soit créateur de valeur, et d’une valeur qui est considérée comme plus qualifiée, il « ne fixe ou ne réalise pas par lui-même un quelconque sujet permanent ou une commodité qui peut être vendue, qui subsiste après que le travail ait été terminé, et pour lequel une quantité égale de travail peut être fournie par la suite » : « Comme la déclamation d’un acteur de théâtre, l’harangue d’un orateur ou la mélodie d’un musicien, le travail de chacun d’entre eux périt au moment même de sa production ». Cela ne signifie pas que le travailleur prestataire de service, qu’il soit vendeur, danseur, comédien ou encore historien, est inutile, ni que ses pratiques et ses savoirs ne peuvent pas se perpétuer, se transmettre par l’apprentissage. Cela veut dire qu’ils ne peuvent pas constituer la colonne vertébrale de la société, qu’ils sont eux-mêmes dépendants des travailleurs productifs, c’est-à-dire des travailleurs manuels, artisans et ouvriers. Reflétant ce que les communistes appellent l’idéalisme de la praxis, c’est-à-dire le fait que l’idéologie dominante se refuse à reconnaître le travail réel et concret des gens qui façonnent la matière et donc qui bâtissent le socle sur lequel reposent les civilisations, les prix des salaires suivent la « courbe du sourire» : ceux qui touchent les revenus du travail les plus élevés sont ceux qui sont en amont et en aval de la production. Rira bien qui rira le dernier. Les tâches de conception sont de plus en plus assumées par les travailleurs chinois tout comme celles relatives à la communication et à la distribution des produits, en partie parce qu’ils sont de plus en plus écoulés chez eux ou chez des partenaires proches. Avec la fin de l’énergie et de la main d’œuvre pas chères, les impérialistes sont en très fâcheuse posture et cela, Hillary Clinton, pilote de l’impérialisme US, le sait et a récemment fait part de sa vive inquiétude.
« Nous devons être plus intelligents dans notre manière de gérer la menace économique. Pour ceux qui disent « mais ça perturbe le marché ! » — la Chine a déjà perturbé le marché. La Chine n’est pas une économie de libre entreprise — on a essayé ! On les a laissés rentrer à l’OMC, nous avons envoyés nos entreprises là-bas, nous avons conclu des accords commerciaux. Ils ont une économie contrôlée de façon verticale. Vous ne ferez pas le poids et vous ne gagnerez pas contre eux tant que vous ne reprendrez pas les moyens de production. Il est grand temps que l’on fasse cela. »
Hillary Clinton En direct à Chatham House, mai 2018
Seule une reconquête manu militari du terrain perdu pourra les remettre en selle, quitte à déclencher une troisième guerre mondiale.
Que de fois les monopolistes ont immolé sur l’autel de Moloch la chair des humains et les fruits de leur labeur, dans les fours crématoires de Topf und Söhne à Auschwitz ou sous les tapis de bombes estampillées Raytheon en Syrie ! Ce penchant des classes dirigeantes pour la guerre, passion ancienne, a pris un caractère singulier depuis le début de l’ère impérialiste. La guerre devient totale parce que le pouvoir des monopoles est devenu total. Le nouveau visage de la guerre ne peut être imputé au seul progrès technique qu’une civilisation supérieure pourrait mettre au service du bien commun.
La violence de l’impérialisme a fait identifier l’impérialisme à la guerre.
Au fond, à entendre certains, tout pays en envahissant un autre, toute guerre de rapine, de pillage, toute guerre injuste – c’est-à-dire pour eux toute guerre – est impérialiste. On revient à cette conception tout à fait vague et confuse de l’impérialisme qui le fait remonter jusqu’au temps des cavernes. Le fait que la brochure Impérialisme, stade suprême du capitalisme de Lénine, qui s’est imposée à juste titre comme ouvrage de référence, a visé en premier lieu à démontrer le caractère impérialiste de la Grande Guerre n’a pas arrangé les choses. Pourtant, Lénine a lourdement insisté sur la nécessité de ne pas mettre toutes les guerres dans le même sac et de « porter un jugement concret sur chaque guerre en particulier » (30). Après tout, « un conflit peut éclater entre les États capitalistes avancés eux-mêmes, entre les États capitalistes avancés et les États capitalistes relativement moins avancés, entre les États capitalistes relativement moins avancés, et entre les États capitalistes et les États socialistes » (31). Il existe des guerres révolutionnaires, de libération nationale, mais aussi des guerres entre pays capitalistes moins avancés, qui n’ont pas un caractère impérialiste. Une guerre déclenchée au service de la classe dirigeante de tel ou tel pays n’est pas forcément une guerre impérialiste. Pour aider à faire la distinction, le sociologue américain Isaac Christiansen (32) identifié cinq liaisons entre impérialisme économique et impérialisme militaire, cinq buts de guerre impérialistes d’entrée en guerre, qui peuvent très bien coexister dans des configurations variables. Les trois premiers opposent les pays impérialistes aux pays opprimés. Il s’agit de s’accaparer leurs ressources, qu’elles soient existantes ou potentielles (1.). C’est un cas très courant. Les soldats américains en particulier sont comme aimantés par les puits de pétrole. Il y a aussi des guerres qui sont déclenchées pour le compte d’un intérêt capitalistique en particulier (2.), celui d’une grande firme ou d’un groupement capitaliste qui souhaitent protéger leurs prétentions menacées par les velléités d’indépendance des pays exploités. Le cas le plus tristement ridicule est celui de la United Fruit Company qui a ordonné à l’armée colombienne de massacrer des cultivateurs de bananes en 1928 et est même allée jusqu’à obtenir une intervention américaine en 1954 au Guatemala. Certains se battent pour leur patrie, d’autres pour des bananes. La dernière intervention en date de ce type est le coup d’état en Bolivie, commandité de son propre aveu par le saltimbanque et fils à papa de l’apartheid Elon Musk afin de mettre la main sur le lithium du pays.
Les enjeux peuvent devenir plus graves pour les impérialistes qui doivent parfois mener une guerre de protection du système (3.) menacé existentiellement par la révolution. Les séides du grand capital ne lésinent pas sur les moyens pour stopper la progression du communisme et même de systèmes simplement sociaux-démocrates, pour étouffer les expériences qui démontrent la supériorité objective de ce qu’on appelle, au sens fort du terme, le socialisme. Ces mêmes politiciens capitalistes affirment que le communisme ne marche pas et qu’il mène immanquablement à l’échec. Pourquoi dépensent-ils alors des milliards contre lui ? Pourquoi n’attendent-ils pas qu’il s’écroule de lui-même ? Cela fait maintenant 60 ans que Cuba est assiégée par un blocus.
Le Venezuela de Chavez l’a rejoint dans la lutte contre l’Empire et subit les sanctions et les opérations de subversion. La Chine populaire, quant à elle, est menacée depuis le Pacifique par l’empire américain et ses supplétifs australiens, japonais et sud-coréens. Que les peuples ne soient pas tentés de s’inspirer de leurs exemples ! Malheureusement pour les capitalistes, le dernier conflit révolutionnaire en date, la Guerre populaire népalaise, s’est achevé en 2006 par la victoire militaire des communistes.
Il arrive aussi aux pays impérialistes de s’affronter entre eux pour se disputer des parts d’empire (4.). Chacun se taille des sphères d’influence, des ressources en périphérie et l’accès aux marchés dans le cœur et à la semi-périphérie pour écouler des produits toujours en mal de débouchés. Lorsque le partage et le repartage du monde ne peut plus se faire de façon pacifique ou via des guerres indirectes, alors il se fait par la guerre générale. Cela a donné deux guerres mondiales. Si les puissances impérialistes ne se sont pas affrontées entre elles depuis 1945, ce n’est pas parce qu’elles sont devenues interdépendantes et interconnectées comme veut le faire croire la propagande européiste et atlantiste. Elles le sont au moins depuis le début du XXᵉ siècle. La paix au centre est compensée par l’atrocité de la guerre en périphérie. L’atrocité de ces conflits est exacerbée par la transformation qualitative du rôle des armées par le complexe militaro-industriel (5.), selon Ismael Hossein-Zadeh (33). Le fait pour une puissance de mener des guerres de rapine, de mettre son grappin sur les ressources et les territoires de son prochain n’est pas nouveau. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que l’on fait la guerre pour la guerre. Les marchands de canon ont pris une place si importante qu’ils ont le pouvoir d’exercer un « impérialisme parasitaire » qui tire profit non plus du pillage mais du fait même de détruire. Ainsi, le complexe a touché entre un tiers et la moitié des quatorze mille milliards de dollars de commande publique de la Défense américaine. Les grandes puissances impérialistes deviennent peu à peu des États-voyous, une bande de vulgaires vandales, adversaires de ce qu’il y a de bon et de juste dans la race humaine. Ils savent que leur temps est compté.
Le capitalisme monopolistique est à la fois une menace et une opportunité. Le travail de socialisation est encore incomplet. Il est temps de l’achever. Notre programme existe déjà. Il est déjà inscrit dans les lois fondamentales de notre patrie, au point 9 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, toujours en vigueur aujourd’hui :
« Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
La collectivisation, accomplissement final de la socialisation des moyens de production, est à l’ordre du jour. Elle est inscrite dans le marbre de nos institutions républicaines. Il n’est pas né, le capitaliste qui pourra renverser cet édifice qui s’élève inexorablement. Nous vivons déjà dans une économie planifiée. Nous avons déjà cette haute conscience du bien commun et du service public, qui est appelé à s’étendre à tous les pans de l’économie qui sont déjà monopolisés, déjà planifiés.
La concentration est une bonne chose. Les coups de filets permettent de faire passer sous giron national des branches entières de l’industrie de façon indolore. Les investisseurs risquent-ils de fuir ? Ce n’est pas une grande perte. Ils n’investissent déjà plus depuis longtemps en France. De plus, ils n’auront bientôt aucun endroit où aller. Ils ont creusé leur propre tombe comme des taupes et ils seront pris comme des rats. Il faudra aussi pousser dans le ravin leurs sbires, ces présidents, ces directeurs, ces administrateurs, qui forcent la société à suivre les « lois » du marché alors qu’elles sont déjà périmées.
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