Urgences en péril : la carte des 120 hôpitaux concernés, les témoignages de soignants + Appel à manifester à Moissac
NDLR de MAC: Rassemblement mardi 31 devant le CHIC à Moissac à 18h00 (Communiqué de presse manif du 31 05 2022 )
À Bordeaux, Rennes ou encore Oloron-Sainte-Marie, rares sont les hôpitaux épargnés par la crise de ces services vitaux. Partout, bricolages et bouts de ficelle soutiennent l’édifice. Pour combien de temps ? La parole à celles et ceux qui sont encore et toujours en première ligne pour pallier le manque de moyens.
Au moins 120 services d’urgence contraints de limiter leur activité en France. L’ampleur est inédite. Des hôpitaux de proximité aux CHU, tous les établissements publics sont désormais touchés. Face à cette situation, la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, promet de nouvelles mesures avant cette saison estivale qui s’annonce chaotique.
Pour Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé et action sociale, il est plus que temps d’agir. « On se demande comment on va continuer à tenir avec les collègues qui démissionnent. Tant qu’il n’y aura pas d’augmentation significative des salaires et des recrutements massifs, ça continuera de se dégrader. » La CGT et neuf syndicats et collectifs appellent à une journée d’action nationale le 7 juin prochain.
1. Alerte rouge au CHU de Bordeaux
Les urgences du CHU, classé parmi les meilleurs du pays, ne peuvent plus accueillir les malades se présentant spontanément la nuit. Pour faire le tri à l’entrée de 17 heures à 22 heures : des bénévoles de la protection civile et un agent de sûreté chargés de la mise en lien avec le 15 (Samu). Entre 22 heures et 8 heures du matin, une seule personne répond à l’interphone. Du jamais-vu. « Est-ce que bientôt des bénévoles feront fonctionner tout le service ? Je ne reproche rien à ceux de la protection civile mais ce n’est pas comme avoir un infirmier régulateur à l’accueil », pointe Gilbert Mouden, représentant de SUD santé, avant de constater : « De nombreux malades arrivent désormais entre 8 heures et 9 heures du matin. Ils diffèrent leur entrée alors qu’il peut s’agir de pathologies graves. »
De son côté, Alain Es-Sebbar, secrétaire de la CGT de l’hôpital, relève que ce dispositif « pose des problèmes d’intimité. On demande aux patients ce qu’ils ont alors qu’ils sont les uns à côté des autres ». Cet aménagement est parti pour durer. 40 % des médecins manquent à l’appel et la pénurie de paramédicaux est réelle. « On nous dit qu’il va falloir apprendre à travailler comme ça, mais on ne s’y résout pas. Olivier Véran nous avait annoncé des milliers d’emplois pour l’hôpital public qu’on n’a jamais vu venir », déplore Gilbert Mouden.
En interne, la débrouille a pris le dessus depuis un moment. En janvier dernier, une tente de la protection civile avait déjà été installée pour désaturer les urgences. Au quotidien, des intérimaires contribuent à maintenir à flot le service et son bloc opératoire. Des étudiants en médecine répondent au 15. Christophe (1), infirmier dans le secteur, ne supporte plus cette succession de bricolages : « Je me suis retrouvé à déshabiller un patient dans le couloir, derrière un paravent, avant de le perfuser, et à sonder un autre malade avant de lui demander de retourner attendre des heures sur son brancard. Ce n’est ni fait, ni à faire. »
2. Le personnel submergé à Rennes
Les urgences de la capitale bretonne ont enregistré un record. Le 16 mai, 256 passages ont été comptabilisés pour une moyenne de 180 en temps normal. Alors que certains patients se retrouvent à attendre dix à douze heures sur des brancards, la tension monte. Une aide-soignante a été agressée le 17 mai.
Si la situation s’est considérablement tendue ces dernières semaines, entraînant un droit d’alerte des syndicats, c’est que les fermetures d’urgences se sont multipliées sur le territoire. « À Redon (Ille-et-Vilaine) mais aussi Laval (Mayenne), égrène Lionel Lepagneul, secrétaire adjoint de la CGT. Celles de l’hôpital Saint-Grégoire à Rennes vont aussi fermer pour quinze jours en juin. La médecine de ville n’est pas non plus en capacité de répondre à la demande. Même au plus fort de la pandémie, il n’y avait jamais eu autant d’affluences. »
Chronique : Comment tuer l’hôpital public
Douze postes ont pourtant été créés aux urgences du CHU en décembre 2021 (au détriment d’autres services). Insuffisant pour faire face au tsunami. « Nous avons demandé au moins quatre postes supplémentaires. Un de nos médecins en a tellement marre qu’il part bientôt pour ouvrir une librairie. Actuellement, les aides-soignantes se retrouvent à faire le brancardage. Ça veut dire qu’elles quittent temporairement leurs patients pour aller en radiologie, par exemple. Imaginez les conséquences quand il y a 256 passages… »
Quant aux sociétés d’intérim, elles peinent à trouver des candidats. En interne, le pôle de remplacements tourne déjà à plein régime. Le planning de cet été n’est pourvu qu’à 50 %, laissant augurer un possible report de vacances . « C’est une catastrophe annoncée, souffle Marion (1), infirmière. On en parle entre nous dans les couloirs. Des collègues sont en burn-out et on a le sentiment de faire de l’abattage. »
3. À Oloron-Sainte-Marie, un sursis jusqu’à quand ?
Une mobilisation sans précédent. Le 10 mai, 3 000 soignants, habitants et élus politiques se sont rassemblés pour obtenir la réouverture des urgences de la bourgade de 10 000 âmes. Si la perspective d’un baisser de rideau d’une durée de quatre mois s’éloigne et que le service a rouvert partiellement le 11 mai, l’incertitude plane. Un seul médecin titulaire est présent, les quatre autres sont en arrêt maladie, alors que l’effectif complet devrait être de onze.
En temps normal, les urgences tiennent déjà grâce à la solidarité. Des médecins militaires de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) viennent faire des gardes et une nouvelle convention vient d’être signée avec la base de Pau. « Des médecins généralistes ou des spécialistes d’autres services de l’hôpital interviennent aussi depuis des années. Notre mobilisation a permis de faire connaître la situation : des médecins ont spontanément appelé la direction et celle-ci a cherché plus intensément », explique Noémie Banes, ex-présidente du collectif Inter-Urgences et ancienne infirmière aux urgences. Rien n’est gagné pour autant.
Des vides restent à combler dans le planning en juin. La perspective de l’été, avec l’afflux de touristes et les fêtes de village, inquiète . « Le prochain service est à une heure de route, voire deux pour les personnes habitant dans la vallée. Personne ne comprend comment on a pu en arriver là », glisse-t-elle.
4. Hécatombe de praticiens à Grenoble
En Isère, les soignants sont plus que jamais en voie de disparition . « La semaine dernière, 14 ou 15 médecins ont démissionné des urgences, parce qu’ils n’en pouvaient plus des conditions de travail. Même si on n’est pas en sous-effectif au niveau des infirmières et des aides-soignantes, cela se répercute forcément sur elles », déplore Sara Fernandez, secrétaire générale de la CGT au CHU de Grenoble.
D’après la syndicaliste, la direction tente de boucher les trous en recrutant des titulaires et des intérimaires, mais les médecins d’autres services sont aussi mis à contribution. « On demande aux spécialistes de faire des demi-gardes de 18 heures à minuit en plus de leurs consultations en journée, ça ne va pas tenir longtemps », alerte-t-elle.
D’autant que, dans l’agglomération, plusieurs établissements ferment partiellement leurs urgences de nuit, augmentant mécaniquement les flux arrivant à l’hôpital grenoblois. « Ces derniers jours, les collègues commençaient déjà la journée avec 60 patients aux urgences, alors que la capacité maximale est de 55. Le moindre patient qui arrive en plus au cours de la journée, ça crée une accumulation qui nous met en difficulté », ajoute-t-elle.
Comme pour beaucoup d’autres services d’urgence, le problème d’engorgement qui se pose ne relève pas uniquement d’une situation interne au service, mais d’un dysfonctionnement lié à toute la chaîne de soins . « Plus de 120 lits ont été fermés au CHU de Grenoble ces dernières années dans tous les services à cause du sous-effectif. On manque aussi de lits d’aval à l’extérieur, dans les centres de rééducation ou les Ehpad. Résultat : on ne peut pas hospitaliser tous les patients qui en ont besoin », dénonce la syndicaliste.
5. À Saint-Étienne, les lits portés disparus
Dans la cité stéphanoise, le manque de lits d’aval risque de peser sur les urgences . « La direction du CHU a décidé de fermer le service court séjour gériatrie cet été faute de personnel. Au moindre pépin style Covid ou canicule, on se dit que ce sera la catastrophe, avec des personnes âgées qui vont attendre un temps infini ou être renvoyées chez elles », pointe Cyril Vidal, responsable CGT de l’hôpital.
La situation alarmante du Samu dans la Loire a aussi des répercussions sur la prise en charge des malades. « Le transport des patients est effectué de manière complètement aléatoire à cause de nombreux arrêts maladie. On doit faire appel à des ambulances privées qui ne disposent parfois pas de l’habilitation ou de la dotation médicale pour transporter certains patients. »
Voir aussi :« Macron, la stratégie du choc » à l’hôpital
D’après le syndicaliste, l’hôpital s’apprête en outre à réduire la voilure pour les urgences psychiatriques. « Pourtant, cette unité avait déjà été pointée du doigt par le contrôleur des lieux de privation de liberté. On est déjà obligés de recourir beaucoup à la contention physique, de placer des préados ou des ados à l’isolement pour les protéger des patients adultes », déplore-t-il.
Face à cette situation préoccupante, la direction du CHU a annoncé vouloir recruter massivement en CDI en transformant 600 CDD en contrats pérennes et embaucher 140 personnes supplémentaires. « C’est un plan de communication pour dire “on fait ce qu’on peut” mais, en réalité, tous les candidats potentiels savent déjà que c’est une arnaque et que le CDI dans la fonction publique hospitalière est un statut au ras du plancher », juge Cyril Vidal, qui estime que cette situation résulte « d’une stratégie de pénurie organisée par la direction générale de l’offre de soins pour que le privé puisse récupérer l’activité ».
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