PCF. Fabien Roussel : « La défense du travail, c’est nous »
Le Parti communiste entre, ce week-end, dans le vif du sujet de son 39e congrès. Son secrétaire national, Fabien Roussel, livre ce qui, selon lui, doit être au cœur du débat, comme de la riposte à la Macronie. Entretien.
Dans un climat social marqué par la vie chère et la prochaine réforme des retraites, le PCF va franchir ce week-end une étape importante en vue de son 39e congrès, prévu début avril 2023, à Marseille. Son conseil national doit adopter un projet de « base commune de discussion », le petit nom donné par les communistes à leur texte d’orientation.
Fabien Roussel, candidat à sa propre succession à la tête de la formation, plaide pour que ce rendez-vous soit l’occasion de plancher sur « le projet de société que les communistes veulent mettre en débat et (leur) stratégie pour construire un mouvement majoritaire ». Des questions clés qui suscitent du débat au sein du PCF et qui pourraient faire l’objet de textes alternatifs.
Depuis la rentrée, les Français subissent de plein fouet les effets de la vie chère. Le gouvernement vante de nouvelles mesures à venir (nouveau crédit d’impôt, dividende salarié…) pour « les Français qui travaillent dur, se lèvent tôt ». Comment jugez-vous ce discours et la teneur de ces annonces ?
Le gouvernement peut utiliser tous les slogans, y compris le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy, la réalité, c’est qu’il refuse d’augmenter les salaires. La France qui se lève tôt et qui travaille dur est mal payée, épuisée. Mais il continue la politique des petits chèques face à la hausse des coûts de l’énergie. Au lieu de s’attaquer aux causes de la spéculation, il précarise le travail avec ses réformes. En six mois seulement, on a eu celles de l’enseignement professionnel, de l’assurance-chômage, du dividende salarié, des retraites à venir. C’est pour cela que je souhaite que la gauche s’empare de cette question. La défense du travail, c’est nous. Ne laissons pas ce sujet à cette majorité libérale, qui, sous couvert de défendre le travail, le détruit.
La réforme des retraites devrait être présentée par Élisabeth Borne avant la mi-décembre. Comment combattre le report de l’âge légal à 64 ou 65 ans alors qu’une majorité pourrait se dessiner avec LR ?
Nous devons mener une campagne de vérité sur ce projet et exiger un grand débat dans les villes, les entreprises, suivi d’un référendum. Emmanuel Macron n’a pas le droit d’affirmer qu’il a été élu pour mettre en œuvre cette réforme. Nombreux sont les Français qui ont voté pour lui avant tout pour battre Marine Le Pen sans rien partager de son programme. Ensuite, même si notre système de retraite est, comme le prévoit le Conseil d’orientation, en déficit de 8 à 10 milliards d’euros en 2030, il est mensonger de dire que nous n’avons pas d’autres choix que d’allonger l’âge de départ pour le financer. C’est pourquoi nous aurons, à gauche, mais aussi chez les syndicats, la responsabilité de mettre en débat toutes les autres propositions pour améliorer le système actuel avec la retraite à 60 ans. À ce sujet, contrairement aux autres forces de gauche, nous voulons prendre en compte les années d’études. Sinon, avec 40 annuités de cotisations, pour celui qui va à l’école jusqu’à 25 ans, cela revient à la même proposition que Macron.
La relation aux syndicats a fait débat à gauche lors de la préparation de la « marche contre la vie chère » d’octobre. Comment articuler mouvement social et bataille politique ?
D’abord, il faut que les organisations syndicales, qui vont se réunir le 5 décembre, déterminent elles-mêmes leur mot d’ordre et leur forme d’action. J’espère que l’unité la plus large se maintiendra à l’issue de la concertation engagée par le gouvernement. Nous, forces politiques, pouvons dès maintenant organiser des débats publics pour révéler le projet du pouvoir et présenter des propositions concrètes et crédibles qui dessinent un projet alternatif et contribuent à construire un mouvement majoritaire. Et soutenir toute date de mobilisation décidée par l’intersyndicale.
Un premier débat doit avoir lieu, mardi 6 décembre, à l’Assemblée sur l’immigration. LR et Renaissance pourraient là aussi se rejoindre pour accélérer les expulsions, renforcer la double peine, moins sur la proposition de titre de séjour lié au travail récemment formulée par l’exécutif. Que défendrez-vous ?
Aux surenchères xénophobes de la droite et de l’extrême droite, nous opposons le respect des droits humains et du droit international. Il faut sortir du débat caricatural entre ceux pour qui il faut accueillir tout le monde sans règles et ceux pour qui il faut fermer les frontières. Nous devons définir des règles adaptées aux défis de notre époque qui doivent aller de pair avec une politique de coopération et de développement solidaire. Mais le ministre de l’Intérieur a aussi ouvert une porte, celle de la régularisation des travailleurs sans papiers. Nous allons non seulement y mettre le pied, mais faire en sorte qu’elle s’ouvre le plus possible pour garantir les meilleurs droits. Aujourd’hui, ce sont les employeurs qui ont le pouvoir de régularisation, ce qui rend les travailleurs sans papiers complètement dépendants. C’est un esclavagisme insupportable. Nous voulons y mettre un terme et faire entrer dans le droit ces hommes et ces femmes surexploités.
Vous êtes quasiment à mi-parcours d’un tour de France entamé début octobre. Quels enseignements tirez-vous de vos rencontres ?
D’abord, c’est une grande richesse d’entendre les questions de citoyens, d’élus locaux, de syndicalistes, de curieux. Cela me permet de mesurer l’état d’inquiétude, les préoccupations de la France des sous-préfectures, et d’y confronter nos réponses. Ces rencontres montrent aussi un regain d’intérêt depuis la présidentielle pour le Parti communiste français, avec beaucoup de participants qui n’en sont pas membres. Certains sujets reviennent systématiquement, en particulier l’énergie, qui est au cœur de toutes les conversations. Nous avons d’ailleurs lancé une pétition, disponible sur notre site, pour en garantir l’accès à toutes et tous. C’est le fil d’une pelote qui réunit les enjeux de services publics, de souveraineté, de pouvoir d’achat, de salaires, de climat… Et, évidemment, ceux de l’emploi et du travail, où je sens grandir l’aspiration des travailleurs à exercer leur souveraineté et à contester les choix des multinationales guidées par le profit.
À l’instar des étapes de votre tour de France, le PCF a-t-il vocation à s’adresser en priorité à la France des « sous-préfectures » ?
Nous voulons unir l’ensemble des Françaises et des Français qui ont intérêt au changement. Or beaucoup de citoyens de ces territoires considèrent que la gauche ne leur parle plus. Je ne me résigne pas aux fractures territoriales du pays créées par le capital : travaillons à unir habitantes et habitants des quartiers populaires urbains et populations vivant dans les territoires périurbains ou ruraux.
Vous êtes également candidat à votre propre succession comme secrétaire national du PCF dont le congrès doit avoir lieu début avril. Vous avez pris sa tête en 2018, avec l’ambition de le remettre sur le devant de la scène. Quel bilan faites-vous de ces quatre années marquées par des élections dont le résultat a parfois été décevant ?
Je souhaite que ce soit les communistes, que je rencontre aussi à l’occasion de mon tour de France, qui fassent ce bilan. Pour moi, ces quatre années ont été tout simplement hors normes. En quatre ans, nous avons eu les gilets jaunes, la pandémie, et maintenant la guerre en Ukraine et une crise énergétique inédite. Avec, en plus, pas moins de six élections. Dans ces conditions, j’ai le sentiment que nous avons réussi à soulever des montagnes et qu’il faut évaluer l’apport d’élections, comme la présidentielle ou les européennes, dans toutes leurs dimensions au-delà du seul résultat.
Ce week-end, une étape importante doit être franchie avec la présentation à votre conseil national d’un projet de « base commune », le texte d’orientation. Pour vous, quelles questions clés ce congrès doit-il mettre en débat ?
Ce congrès doit surtout porter sur le fond, sur les idées. Face aux dégâts du capitalisme et aux défis du siècle, jamais autant qu’aujourd’hui le projet communiste n’aura été d’une telle actualité. Ce congrès doit nous permettre de définir le projet de société que les communistes veulent mettre en débat et notre stratégie pour construire un mouvement majoritaire. L’énergie, par exemple, n’est pas un point de détail dans les programmes à gauche mais un enjeu structurel. Tout comme le travail, la République, la paix en Europe et dans le monde… Nous devons faire des choix clairs et les inscrire dans nos textes comme des sujets fondamentaux. On doit aller plus loin que les slogans. C’est le cas, par exemple, pour les « nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises » que nous exigeons et que nous devons définir avec plus de précision. Il nous faudra aussi traiter l’enjeu du renforcement de notre organisatio.
Vous estimez que le PCF doit « dialoguer avec les citoyens et les travailleurs du projet communiste pour construire leur unité en faisant primer le combat de classe ». Est-ce à dire que la question sociale doit l’emporter sur les autres combats ?
Nous pensons que le monde du travail a vocation à devenir la force motrice réunissant l’ensemble des classes et couches disponibles à un combat pour changer la vie. Pour l’unir, il faut construire avec ces millions de femmes et d’hommes, de salariés un projet cohérent qui, dans tous les domaines, sociaux et sociétaux, affronte la domination du capital et permette de retrouver des pouvoirs d’intervention. C’est difficile parce que la crise est tellement forte que leur problème, c’est d’abord ce qu’ils vont manger, comment ils vont payer leurs factures, c’est le salaire, le pouvoir d’achat, le travail… Il faut qu’on leur apporte des réponses, ça me fout en l’air qu’ils se divisent sous la pression de l’extrême droite qui vend par-derrière son poison raciste.
Pour conquérir une majorité populaire, vous estimez que « Nupes ou pas Nupes, ce n’est pas la question ». Quelle est-elle alors ?
Le débat ne doit pas être rassemblement ou pas rassemblement. Bien sûr que nous voulons le rassemblement, cela a toujours été notre principe et nous l’avons parfois payé cher, comme en acceptant de n’avoir que 50 circonscriptions sur 577 aux dernières législatives. La question, c’est : comment arrive-t-on à convaincre plus de monde de voter ? Sur ce chemin, pour que la gauche l’emporte, le Parti communiste français, qui, avec ses propositions originales et radicales, est redevenu une force qui compte dans le pays, a toute sa place à prendre pour reconquérir un électorat perdu. Reconstruire l’influence du PCF, c’est redonner du poids à toute la gauche en termes d’influence, mais aussi de contenu.
L’accord programmatique des législatives ne vous paraît pas satisfaisant en l’état ?
Il devra être revu à l’épreuve du temps. On ne peut pas se satisfaire d’un accord de la Nupes avec un astérisque qui mentionne le désaccord des communistes sur le nucléaire. Ce n’est pas possible, ce sont des sujets fondamentaux.
Une candidature commune aux prochaines européennes, par exemple, vous paraît-elle souhaitable ?
Je souhaite d’abord écouter les communistes. Mon avis sera le leur et il n’est pas sûr que cette question soit tranchée dès notre congrès. On prendra le temps de construire notre réflexion en parlant avant tout du projet à porter pour l’Europe.
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