NDLR de MAC: la casse de l’éducation nationale est « en Marche ». Il s’agit ni plus ni moins que de livrer l’ensemble du système à la spéculation et au libéralisme ambiant.

« Au-delà des améliorations techniques de la réforme de 2019, une refonte plus globale des modes de formation et de recrutement des enseignants est nécessaire », estime la Cour des Comptes dans un nouveau rapport présenté le 1er février. « L’attractivité du métier enseignant ne peut se résumer à une question salariale ». Puisque ce n’est pas un problème de salaire et puisque les concours n’arrivent pas à faire le plein, la solution est vite trouvée : il suffit des les supprimer. Et pour assurer l’attractivité partout, de payer différemment les enseignants selon les académies. Pour les professeurs des écoles, sans aller jusqu’à la réouverture des écoles normales, la Cour des Comptes demande une formation spécifique basée sur une licence professionnelle. Quelques jours après un rapport qui demandait la mise sous contrat des établissements publics, la Cour est toujours dans l’optique d’une gestion privée du service éducatif public.

La masterisation « déstabilisante »

La Cour des Comptes ne l’ignore pas , il y a bien une baisse d’attractivité des concours de l’enseignement que la Cour évalue tout en restant curieusement sur les chiffres de 2021, alors que 2022 a vu près de 4000 postes laissés vacants. Or, pour la Cour, « la qualité du recrutement et de la formation des enseignants est cruciale pour la performance de l’école ». La crise du recrutement amène une baisse de cette qualité selon les académies et les disciplines. Ainsi dans le second degré le nombre de candidats par poste peut atteindre 6 en SVT mais moins de 1 en lettres classiques ou tout juste 1 en allemand. Dans le premier degré, ni Créteil ni Versailles n’arrivent à avoir assez de candidats.

Pour expliquer cette crise du recrutement, curieusement, la Cour ne s’appesantit pas sur la faiblesse des salaires, alors que sa mission première est bien de veiller aux deniers de l’Etat. Elle montre le brouillard entretenu par le ministère sur les flux de recrutement (brouillard qui s’est étendu jusqu’aux demandes de la Cour) et « la persistance d’une perception peu valorisante du métier par les étudiants ». Là dessus la Cour a fait réaliser un sondage auprès de 2000 étudiants qui montre par exemple que ceux ci sous estiment les salaires enseignants. Les dispositifs mis en place par le ministère (PPPE, pré-recrutements) apparaissent comme complexes, « difficiles à concilier ».

Surtout , la Cour s’attaque aux réformes de la formation des enseignants. Elle comprend que la masterisation ne peut plus être remise en cause même si elle est « déstabilisante ». Mais déplore « des logiques de formation imposées par les lois successives sans mise en cohérence satisfaisante ». « La décision de recruter des enseignants désormais titulaires d’un master pose avec une plus grande acuité la question de l’articulation entre le concours et la formation universitaire, puisqu’il n’est plus envisageable de consacrer une année particulière à la préparation des concours. À cet égard, la doctrine du ministère sur le positionnement du concours a changé à trois reprises : en fin de M2 lors de la réforme en 2010, en fin de M1 lors de la réforme de 2012/2013, puis à nouveau en fin de M2 avec la réforme de 2019 », relève la Cour. « La liberté de passer par des formations diverses et l’importance numérique des candidats non étudiants renforcent la fonction « couperet » des concours, qui vérifient alors les contenus disciplinaires et la capacité à les transmettre des futurs enseignants. Ceci conduit à penser des concours hybrides, jugés régulièrement encore trop « académiques » et peu « professionnels » ou à l’inverse trop peu disciplinaires ». La seconde année de master apparait comme « trop dense », ce qui est confirmé par les étudiants. De plus le ministère a donné « la priorité à la gestion des moyens plutôt qu’aux logiques de formation ». Cela se lit par exemple dans l’utilisation des professeurs stagiaires selon le type de master qu’ils détiennent. Les master MEEF par exemple vont directement en classe à temps complet.

Supprimer les concours

Puisque les concours sont mal ficelés et nuisent à la lisibilité de l’accès dans le métier, la Cour des Comptes invite à les supprimer là où la crise du recrutement sévit le plus. « Les difficultés de recrutement sont concentrées géographiquement sur des académies, Créteil et Versailles pour le premier degré, et, dans certaines disciplines dans le second degré… Aussi les étudiants pourraient-ils être recrutés, « directement » par la voie contractuelle, sur une durée comprise entre trois et cinq ans, accompagnés davantage dans leur prise de poste, avec pour contrepartie leur affectation dans les académies concernées sur un poste précis avec engagement d’y demeurer pour la durée du contrat. Les conditions de diplôme et dispense seraient identiques à celles requises pour les concours.. L’acte de recrutement pourrait se formaliser par un ou deux entretiens pilotés par les autorités rectorales ». C’est tout simplement le remplacement du recrutement sur concours par la contractualisation par job dating dans une grande partie des disciplines du 2d degré (lettres, maths, allemand, anglais par exemple) avec un contrat plus long que ceux des contractuels actuels et, souhaite la Cour, un meilleur accompagnement.

Une formation spécifique pour le premier degré

Pour le premier degré, la Cour n’ose pas remettre en question la masterisation mais change complètement la formation universitaire des futurs PE. Ils seraient recrutés (en dehors des académies déficitaires) après une licence professionnelle suivie d’un master MEEF et non plus après une licence ordinaire. En fait c’est le modèle des PPPE , imaginé par JM BLanquer, que la Cour veut généraliser. IL s’agit aussi de dissocier la formation des futurs PE de celle des enseignants du second degré, ce qui est encore une nouvelle rupture.

Différencier la paye plutôt que revaloriser

Troisième réforme demandée par la Cour, la différenciation de la paye en fonction des territoires plutôt que la revalorisation générale.  » Une différenciation plus grande des rémunérations selon les territoires (qui existe déjà mais de façon très encadrée pour le recrutement des contractuels) doit ainsi pouvoir se développer, afin de compenser cette inégale attractivité (primes de stabilité comme cela a été instauré en Seine-Saint-Denis pour les fonctionnaires, primes spécifiques, avantages en termes de carrière, visibilité et garanties sur les perspectives de mobilité, etc.). Il conviendra de s’assurer surtout que de telles modalités ne produisent pas d’effet d’aubaine ni reconventionnel, ce qui suppose que les recteurs puissent cibler ces mesures, selon les besoins, sur les établissements les moins attractifs ».

Des propositions déjà reprises par le ministre

La Cour des Comptes poursuit donc sa pression sur l’Ecole. Les remèdes qu’elle propose sont ceux d’une gestion privée du service éducatif, ce qui explique que l’on parle de privatisation. C’est bien une rupture pour l’éducation nationale. La question c’est l’accueil que va avoir ce rapport. Rappelons que Pap Ndiaye a déjà évoqué le recrutement de professeurs des écoles après une licence. Les concours exceptionnels annoncés pour 2023 permettront même leur recrutement à bac 2. Le 25 janvier, le ministre évoquait devant l’Assemblée le recrutement  » d’élèves professeurs titularisés à l’issue de 5 années de formation ». C4est exactement le schéma recommandé par la Cour des Comptes.

François Jarraud

Le rapport sur le site de la Cour

La Cour des Comptes relance la privatisation de l’Ecole

Pap Ndiaye le 25 janvier