La salle du bar-tabac de la rue des Martyrs pleure François Hadji-Lazaro
François Hadji-Lazaro est mort. Le fondateur des Garçons bouchers et de Pigalle, leader incontestable du punk rock alternatif en France, a cassé sa pipe à 66 ans.
Musicien, multi-instrumentiste, auteur, compositeur, acteur, producteur, François Hadji-Lazaro a bouleversé le paysage musical de l’industrie du rock « made in France » au mitan des années 1980. Lorsqu’il fonde le label indépendant Boucherie productions, Hadji-Lazaro va jouer un rôle inestimable dans l’éclosion de la musique punk.
NDLR de MAC: cette maison de production m’a permis de découvrir de nouveaux artistes au gré des rencontres avec Boucherie Prod à la fête de l’Huma…
Sur scène, c’est souvent le foutoir
À la tête de Boucherie, installée d’abord rue du Plateau dans le 19e arrondissement de la capitale avant de migrer rue des Cascades, dans le 20e, il va produire autant de groupes que de genres musicaux qui vont du rock indus (les Tétines noires) au folk-trash (Pigalle) en passant par 50 nuances de punk. Los Carayos, Parabellum, le premier album de la Mano Negra, les Happy Drivers, les Elles, Clarika, Wally, Hoax, Near Death Experience, Trio Patrick Bouffard… Impossible de tous les nommer. Tous ces groupes gravitent autour de François.
Quand il troque sa casquette de producteur, c’est pour celle de musicien. François joue dans ses deux formations, les Garçons bouchers et Pigalle. Ses deux groupes phares de la scène alternative, un savant mélange de punk, d’oi!, de ska, de musette et de chanson réaliste (tendance Fréhel).
Sur scène, c’est souvent le foutoir. Hadji-Lazaro passe son temps à repousser tous ceux qui montent sur scène pour se jeter dans la foule. Autour de lui, les musiciens font ce qu’ils peuvent. Il y a Blitz, Blank (Neige), Riton, Toto, Boubouche, Steff et l’incontournable Pierrot Sapu.
Ensemble, ils s’amusent de tout, sont dans l’outrance joyeuse et l’irrévérence la plus décomplexée. Les paroles sont enragées autant que poétiques, engagées autant qu’entraînantes. Même si c’est la parodie de la Lambada (« on n’aime pas ça, nous on préfère la java ») qui les rendra populaires jusque dans les fêtes de mariage.
Le cœur à gauche, bien ancré à gauche. Et pas que pour la frime
Avec Pigalle, Hadji-Lazaro introduit des instruments folk et se rapproche de la chanson. C’est dans l’album Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Tremblay, personnage falot mais ô combien attachant que l’on découvre Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs (1990). Une chanson qui s’inscrit dans la plus pure tradition de la chanson réaliste, une poésie noire qui raconte la vie de la marge et du Paris interlope. Paris, alors, accueille des nuits clandestines. La gentrification n’est pas encore à l’œuvre et le populo y a encore droit de cité.
Dans des lieux insolites, on assiste à des concerts dans des arrière-salles de café malfamées. On ne connaît pas tous les groupes mais là n’est pas la question. On y boit de la bière jusqu’à plus soif et on y pogote jusqu’à en avoir le tournis. On se bastonne contre ces fachos de skinheads. On traîne tard dans la nuit jusqu’au premier métro et croise « ceux qui se lèvent tôt le matin ». Et la silhouette de François n’est jamais loin.
Le modèle alternatif de Boucherie déplaît du côté des majors de l’industrie du disque qui tentent, par tous les moyens, de nuire à cette tentative musicale anticapitaliste. François Hadji-Lazaro va se battre pendant quinze ans contre les requins de l’industrie et finira par déposer le bilan en 2001. Un chapitre est clos. Hadji-Lazaro en ouvre un autre. Sans renoncer à ses idées, ses idéaux, le cœur à gauche, bien ancré à gauche. Et pas que pour la frime.
En 1992 paraît un album incroyable, formidable par son audace et son pied de nez à tous les a priori du monde : Ma Grand-mère est une rockeuse. Il y invite tous les groupes punks de la maison mais aussi les Wampas ou Étienne Daho à reprendre des chansons de Piaf et Fréhel. En 1996, il produit Petite oreille… deviendra grande, un album pour bébés punks que les mômes écoutent en boucle. L’écurie de Boucherie est dans la place, mais aussi Rodolphe Burger, Charlélie Couture et même Alan Stivell. Tous écrivent, à leur manière, sans se trahir, des chansons pour les marmots que les parents reprennent en chœur. Évidemment.
A la Fête de l’Huma, François et sa bande y étaient toujours les bienvenus. Au soleil ou sous la pluie, avec ou sans boue
En parallèle de toutes ces activités, François ne chôme pas. Quand il ne fait pas l’acteur (dans la Cité des enfants perdus, de Caro et Jeunet), il publie des albums solo ( François détexte Topor, en 1996, Et si que… ? en 2002, Contre-courant en 2004, et Aigre-doux en 2006). En 2011, il écrit Ma tata, mon pingouin, Gérard et les autres…, un album de très belle facture, des histoires d’enfants pas sages et rebelles qui se battent contre la bêtise des grands et l’injustice du monde.
Pendant toutes ces années Boucherie, que ce soit avec Pigalle ou les GB, Hadji-Lazaro était sur les routes, en concert. Et bien sûr, qui dit concert dit la Fête de l’Huma. François et sa bande y étaient toujours les bienvenus. Au soleil ou sous la pluie, avec ou sans boue, la présence de l’un de ses groupes était un moment festif et revendicatif, inoubliable. Pour Stéphane Gotkovsky, saxophoniste des GB, « François était un boulimique de la vie. Un créatif. Quelqu’un de raffiné aussi. J’admirais sa capacité à jouer de tous ces instruments, à écrire des chansons incroyables, touchantes, qui tapaient juste. Dans la salle du bar-tabac fait désormais partie du patrimoine de la chanson française ». Allez, salut à toi François…
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