Si la nomination de Pap Ndiaye avait pour but de renouer contact entre le président de la République et les enseignants, il semble que les illusions de cette ouverture à gauche se soient envolées. La recomposition gouvernementale lancée après le dernier 49.3 se fait vers une droite qui a décidé de faire de l’éducation son terrain de bataille. Dans cette nouvelle configuration, quelle place pour Pap Ndiaye ?

Dorénavant trop assimilé à son prédécesseur par les enseignants, le ministre de l’éducation nationale reste une cible pour la droite qui dépose contre lui une proposition de loi qui sera examinée le 11 avril. Pap Ndiaye n’est il plus que la trace d’un épisode politique dépassé ?

L’échec de l’ouverture vers les enseignants

Lundi 6 mars 2023, après seulement une heure de discussion, la totalité des organisations syndicales de l’éducation nationale claquent la porte. Elles quittent la table des négociations sur ce qui devait être l’instrument de la reconquête de l’électorat enseignant : la revalorisation. Dans un rarissime communiqué commun, elles dénoncent le « nouveau pacte » que Pap Ndiaye propose. Elles y voient « un instrument qui ne répond en rien aux attentes des collègues et aux besoins de l’Ecole« . « Le Pacte va conduire à un alourdissement de la charge de travail des personnels. Aucune réponse n’est apportée à la question des inégalités salariales femmes / hommes« , dénoncent-elles. « Le Pacte standard c’est 24 h face élèves, dont les remplacements de courte durée auxquelles on ajoute 24 h de découvertes des métiers et 24 h dans le cadre des projets CNR« , précise S Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. « C’est donc au moins 50 h de travail sans compter la préparation pour 3750 € annuels bruts« . Soit moins de 100€ par mois pour 1h30 par semaine devant élèves. La revalorisation, annoncée depuis des années, ne fait pas que s’éloigner au fur et à mesure des années. Son montant fond au fil des précisions ministérielles et des mois d’inflation.

A vrai dire tout était inscrit dans la loi de finances. Les 4.5 milliards de hausse de dépense de personnel mis en avant par P Ndiaye portent surtout le poids de mesures antérieures : 1.1 milliard au titre l’impact du point d’indice 2022, 1.2 milliard au titre de l’impact 2023 du point d’indice, 770 millions de glissement automatique vieillesse technicité et seulement 109 millions pour la revalorisation dont 635 millions de revalorisation inconditionnelle. La revalorisation « inédite » se situe donc dans la fourchette des années précédentes. Surtout, les prévisions budgétaires prévoient un retour à une hausse de 2% du budget entre 2023 et 2024 puis 1% entre 2024 et 2025. La revalorisation n’est pas limitée qu’en volume. C’est aussi du « one shot »…

Blanquer sans Blanquer

Malgré des propos très critiques portés par le ministre sur l’action de JM Blanquer – « les constats sont durs ils conduisent à la défiance générale » (Pap Ndiaye dans Le Monde janvier 2023), les enseignants ont surtout vu la continuité avec la politique menée par son prédécesseur. Dans la même tribune, le ministre confirme la priorité aux fondamentaux et l’extension des évaluations nationales, un modèle qui a nettement appauvri les pratiques enseignantes. Les nominations confirment la continuité politique comme celle de M Lahaye, ancien conseiller pédagogique de JM Blanquer, nommé sous-directeur des savoirs fondamentaux au ministère c’est à dire responsable de la pédagogie – le mot a été retiré sous Blanquer. Les nouvelles orientations que Pap Ndiaye pourraient porter, par exemple sur la laïcité, se font toujours attendre. Que ce soit au Conseil des sages de la laïcité ou au Conseil supérieur des programmes, les hommes de JM Blanquer sont toujours aux commandes. Les annonces en faveur de la mixité sociale dans les établissements scolaires y compris dans le privé finissent par inquiéter ceux qui sur le terrain luttent pour la réduction des inégalités. L’OZP, spécialiste de l’éducation prioritaire, y voit « une entourloupe« .

L’ouverture à droite du gouvernement Borne

Et voilà qu’après l’adoption de la réforme des retraites grâce aux voix des Républicains, la première ministre est sommée par le président de la République « d’élaborer un programme de gouvernement et un nouvel agenda parlementaire« . Dans ce cadre elle consulte. Et dès le 30 mars cela commence par un échange sur l’éducation. La recherche d’une nouvelle majorité avec la droite se fait en premier lieu sur le terrain éducatif avec une reprise en main de l’éducation par E. Borne. Cela commence par le voyage à Nevers en faveur des territoires ruraux, un thème porté par la droite. A vrai dire, aucune annonce nouvelle et concrète n’en sort. Le ministère ne prend aucun engagement de ne pas fermer de classe ou d’école. Mais dans la foulée, Pap Ndiaye durcit son discours et joue, comme JM BLanquer, les parents contre les enseignants.

Le pacte ? « C’est fondamental pour que les élèves aient toutes les heures de cours auxquelles ils ont droit« , affirme P Ndiaye dans Le Parisien du 2 avril 2023. Il brandit 15 millions d’heures de cours perdues là où la Cour des Comptes en a trouvé 2. Il est droit dans ses bottes aussi sur la réforme du lycée professionnel où « il faut augmenter la durée des stages« , une ligne rouge pour les enseignants. Même fermeté le 4 avril sur Public Sénat où il affirme, en dépit des évidences, que les enseignants « ne sont pas le fer de lance » de la contestation de la réforme des retraites et que cette réforme « ne change pas radicalement les choses pour un grand nombre d’enseignants« . Le ministre explique aussi que le pacte « vise l’annualisation des services« , un vieil objectif de la droite. Le changement de posture est patent.

La droite veut-elle de Pap Ndiaye ?

Pour autant est-ce utile ? Parce que Pap Ndiaye a beau coller à la réorientation gouvernementale et à l’image de son prédécesseur, ce n’est pas le ministre que veulent les Républicains. C’est apparu assez brutalement par exemple lors du débat sur le budget au Sénat le 1er décembre 2022. « Face au milliard affiché, je m’étonne que pas grand-chose ne soit annoncé en termes de réformes structurelles« , dit le sénateur Les Républicains M. Brisson « Comment créerez-vous des postes à profil et des contrats de mission pour que les carrières soient moins linéaires ? … Peut-il y avoir une autonomie sans personnalité morale pour les écoles primaires, et sans réelle autorité des directeurs d’école sur les professeurs ? Peut-on encourager l’autonomie sans remettre en cause l’armature rigide du collège unique ? » Le 1er mars, toujours au Sénat, le ministre est attaqué sur son wokisme. « A quoi bon louer la mixité quand on ferme les yeux sur des mouvements essentialistes et racialistes qui enferment des individus dans des stéréotypes et mettent à mal notre pacte républicain ?« , déclare Corinne Imbert (LR) lors du débat sur la mixité sociale.

Un moment déjà dépassé ?

Les Républicains font de l’Ecole le terrain sur lequel ils veulent prendre barre sur le gouvernement. Le 11 avril, la proposition de loi Brisson sera examinée au Sénat. Elle propose de faire évoluer l’Ecole française vers les modèles américain et anglais avec des « établissements publics autonomes d’éducation« , c’est à dire des écoles et établissements publics sous contrat comme les établissements privés avec des chefs d’établissement tout puissants. La proposition de loi veut aussi doter tous les directeurs de l’autorité hiérarchique sur leurs enseignants, interdire le port du voile aux accompagnatrices et imposer l’uniforme dans tous les établissements scolaires. En même temps il s’agit à nouveau de bloquer la dépense d’éducation voire de la faire régresser avec la baisse démographique. Tout cela fait suite à un rapport de la Cour des Comptes qui relance la privatisation de l’Ecole. Il est clair qu’on voit mal Pap Ndiaye, malgré tous ses efforts, porter cette politique. Et on voit mal le gouvernement tenir plus longtemps sans l’apport des voix des Républicains.

«Donnez-moi un peu de temps », nous avait dit le 25 novembre Pap Ndiaye, invité au Forum des enseignants innovants. Le temps est passé. Pap Ndiaye n’a pas réussi à gagner la confiance du monde de l’Ecole. Il se retrouve de façon brutale, mais aussi prévisible, dans une situation politique où il incarne un passé et représente un frein à l’avenir du gouvernement.

François Jarraud

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