La colère gronde chez les enseignant·es, mais aussi chez les chef·es d’établissement. La succession d’annonces – groupes de niveau, uniforme, internats de punition, redoublement, généralisation du SNU… – dont beaucoup doutent de la légitimité voire les estiment contraires à leurs valeurs, mettent à mal la communauté éducative. « Depuis des mois, ça monte », nous dit Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN, « les collègues sont ulcérés par tout ce qui se passe. Le ministère organise un hold up sur les moyens engagés des établissements, la ligne rouge est franchie ». Si l’ire des chef·fes d’établissement semble aujourd’hui atteindre un niveau rarement égalé, c’est par ce qu’ils et elles ont appris dans un mail lapidaire que l’institution récupérait sans délai les HSE et IMP non utilisées comme vous le révélait en exclusivité le Café pédagogique lundi 29 avril. Depuis, le ministère a annoncé, via l’envoi d’un communiqué de presse aux rédactions mardi 1er mai à 16 heures, avoir reculé. « Le Premier ministre et la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse ont souhaité que les établissements scolaires continuent à disposer des moyens de mener à bien leurs missions » est-il indiqué. « En conséquence, la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a donné instruction pour que, dès demain, les académies recouvrent les moyens budgétaires initialement notifiés afin de poursuivre l’attribution d’heures supplémentaires dans les établissements ». Retour sur cet épisode rocambolesque.

Une image contenant bâtiment, plein air, rue, sol Description générée automatiquement Lundi 29 avril, le Café pédagogique vous informait déjà d’une rumeur qui courrait : reprises des HSE et IMP non utilisées dans les établissements. Un fait exceptionnel. Lundi soir, cette information nous était confirmée par le syndicat SNUPDEN-FSU. Les chefs d’établissements des académies de Créteil, Versailles et Paris avaient reçu un mail leur indiquant que le logiciel de saisie serait mis à l’arrêt quelques jours : « les dotations d’HSE qui ont été attribuées à votre établissement au titre de l’année 2023-2024 feront l’objet d’un ajustement, qui vous sera notifié et retranscrit dans l’application ASIE, sans que soit remis en cause le principe de la rémunération des services faits. Afin de réaliser cette opération d’ajustement, l’application ASIE sera fermée quelques jours à compter du 29 avril. Par ailleurs, le solde des dotations IMP 2023/2024 de votre établissement fera également l’objet d’un ajustement dans STS WEB », était-il indiqué. Et si les académies prennent de telles dispositions, c’est « en application du décret n°2024-124 du 21 février portant annulation de crédits ». « Une mesure de réduction des dotations des heures supplémentaires et des indemnités pour mission particulière a été notifiée à l’académie xxx titre de l’année civile 2024 » précisaient les rectorats. Depuis, d’autres académies ont fait des annonces équivalentes.

Interrogé vendredi 26 avril, le ministère de l’Éducation convenait travailler « au positionnement d’économies, principalement sur les heures supplémentaires ». « À ce stade nous observons des mécanismes de vases communicants entre heures supplémentaires et Pacte. Certaines missions se cumulent et nous devons revoir nos prévisions budgétaires afin de tenir compte de ces effets », se justifiait-il. « À titre d’illustration, cela concerne des dispositifs comme les stages de réussite dans le premier degré ou les « devoirs faits » dans le second degré, deux champs où l’introduction du pacte a augmenté considérablement la capacité à organiser les actions ».

Et si le ministère reconnaissait à demi-mot qu’il cherche à combler le trou laissé par les 692 millions récupérés par Bercy, « l’effort budgétaire auquel chaque ministère doit consentir a nécessité à ce que nous identifions l’ensemble des gisements d’économies possibles au titre de la gestion 2024 », il indiquait avoir « laissé aux académies le soin de piloter le plus finement possible l’imputation de ces économies afin de tenir compte de spécificité des établissements ». Et la rue de Grenelle prévenait, « les mesures d’économie concernent toutes les académies, en tenant compte du contexte de chacune », assurant « en même temps » que les mesures politiques – bien plus que pédagogiques selon les équipes pédagogiques – n’auront pas « d’incidence sur le plan de préparation de la rentrée 2024 . Nous garantissons aux établissements les moyens en emplois nécessaires à la mise en œuvre du choc des savoirs, à l’accompagnement des élèves en situation de handicap ou le recrutement de référents harcèlement « . Quand le politique prime sur le pédagogique…

Les chefs d’établissement vent debout

Cette annonce, qui n’est ni du goût des chefs d’établissement ni de celui des syndicats qui les représentent, a fini de mettre le feu aux poudres à une situation déjà explosive.

Sur les réseaux sociaux, les personnels de direction faisaient part de leur colère et de leur désarroi. L’un suggérant de demander aux professeurs de ne plus assurer aucune mission rémunérée en HSE, IMP ou Pacte « puisque nous ne sommes plus en mesure d’assurer leur droit le plus strict, être rémunéré pour tout travail supplémentaire ». Une autre expliquait être retournée au collège à 22 heures, de peur de voir se fermer ASIE dans la nuit, pour mettre en paiement les HSE et IMP, « tout ça gratuitement ». Et ce n’était pas la seule.« J’étais en train de saisir à l’arrache tout ce que je pouvais saisir et bim… fermeture abrupte en pleine saisie », s’indignait celui-ci. « J’appréhende ce que je vais trouver à la réouverture le 6 mai… ». Beaucoup évoquaient leur besoin de quitter le métier, cette énième annonce étant celle de trop…

« On vit une situation inédite et folle », nous expliquait mercredi 1er mai matin Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN, principal syndicat des personnels de direction. « Ça fait 21 ans que je fais ce métier, c’est la première fois qu’on nous coupe les vivres sans préavis ». « On annonce le jour 1 une mesure qui coûte des centaines de millions, et le jour 2, on nous coupe les vivres. On a un Premier ministre qui ne cesse de faire des annonces qui coûtent de l’argent, on conseille au ministère d’aller voir de ce côté-là pour faire des économies. Les groupes de besoin 6e et 5e, c’est 130 millions pour 2024, leur généralisation, c’est 300 millions. Le SNU, c’est actuellement 160 millions, généralisé ce sera deux milliards et demi. Les uniformes, qui pourraient coûter très cher, c’est aujourd’hui quatre millions d’euros… Et puis, au moment où on commence à payer les élèves pour aller en stage – et nous ne sommes pas contre l’idée, c’est hautement symbolique d’arrêter de payer leurs professeurs ».

Quant à la forme, là aussi, ça ne passait pas pour le responsable syndical. « Il y a un problème de forme et de méthode. C’est irrespectueux, c’est insupportable. Nous sommes des cadres de la fonction publique responsables. Si on nous avait respectés, on nous aurait demandé si nous pouvions rendre des heures. Depuis l’annonce d’économies, on a dit qu’il fallait entamer des dialogues de gestion avec chaque établissement ».

« Nous voilà encore devant le fait accompli, nous, chefs d’établissement, qui sommes en première ligne », s’agaçait le SNUPDEN-FSU, syndicat qui a révélé les reprises des HSE ey IMP non utilisées. « Comment expliquer aux familles que nous mettons fin brutalement à tous les dispositifs d’aide et aux différents projets, puisqu’il n’y a plus de quoi payer les intervenants ? Comment expliquer aux personnels que nous ne sommes pas capables de tenir les promesses faites avant les vacances et qui les ont peut-être amenés à travailler gratuitement si nous n’avons pas pris le temps de valider les heures dans l’application ? Comment préparer la rentrée prochaine en étant dans l’incertitude quant aux moyens qui seront donnés et peut-être repris en cours d’année ? Comment faire fonctionner les établissements alors que se profilent les examens blancs, les projets de fin d’année, etc. qui nécessitent de faire venir en plus les enseignants et que nous devons tenir jusqu’à début juillet ? Comment répondre aux demandes institutionnelles, notamment celle sur le remplacement de courte durée (RCD) sans heures pour le faire ? » interrogeait-il. « Nous sommes consternés devant ces pratiques, nous sommes en colère face au discours gouvernemental qui ose dire que l’école est une priorité, alors qu’en coulisses, nous constatons qu’il n’en est rien ».

Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT, avait, quant à elle, adressé une lettre ouverte à la ministre. « Manifestement vous choisissez de faire porter les coupes budgétaires sur les enveloppes permettant de payer les primes, indemnités et HSE (…) Ce choix va remettre en cause brutalement et arbitrairement des choix pédagogiques décidés par les équipes sur le terrain. C’est une source supplémentaire de démotivation de l’ensemble des agents à commencer par les cadres. Les décisions qui en découlent et se succèdent ont un impact immédiat sur les établissements. Elles désorganisent le système éducatif ». Elle rappelait elle aussi que cette annonce, « qui est une nouvelle attaque sur l’autonomie des établissements », signait la fin de certaines activités pédagogiques, du RCD, et que dans certains cas, elle pourrait fragiliser l’organisation des examens.

Pour ID-FO, « l’argument des 700 M€ d’économies annoncées par un décret paru au JO le 22 février 2024 ne justifie en rien que les établissements soient aussi brutalement dépossédés des moyens alloués pour mener des projets d’accompagnement scolaires et, encore moins, ceux censés favoriser la reconquête du mois de juin ». Le syndicat s’indignait que « les personnels de direction se trouvent encore une fois désavoués face à des équipes d’enseignants qu’il a fallu convaincre en début d’année d’accepter des Pactes dont les enveloppes ont été totalement récupérées sans préavis et qui, désormais, n’ont pas la certitude de pouvoir financer les projets rémunérés en HSE ». Cette annonce, c’est un « choc de récupération des moyens », estimait ID-FO.

Choc de récupération, hold up… la colère des chef·fes d’établissement et des enseignant·es paraît à son paroxysme. L’École, qui ne tient debout que grâce à celles et ceux qui la font vivre, semble à bout de souffle. La diffusion d’un communiqué de presse mercredi 1er mai revenant sur l’annonce de la récupération des HSE et IMP en dit long sur l’impasse dans laquelle se trouve Nicole Belloubet et ses équipes. En effet, comme appliquer les décisions politiques, contestées par la grande majorité de la communauté éducative, et rendre les 692 millions demandés par Bercy ?  Cet épisode est assez révélateur du « même temps » qui caractérise les différents gouvernements Macron.

Lilia Ben Hamouda