Comme le montre notamment le film Chez nous, de Lucas Belvaux, le Front national reste un parti pas comme les autres, dont le programme et les comportements sont une atteinte à la philosophie même de la République.

On reproche trop souvent au cinéma français – et avec raison – d’être frileux vis-à-vis de la politique pour ne pas saluer le nouveau film de Lucas Belvaux, Chez nous (en salles le 22 février). Le cinéaste a décidé de prendre le taureau par les cornes et de décrire par le menu la réalité d’un parti qui ressemble irrésistiblement au Front national. Mais Chez nous le fait en usant des moyens de la fiction, qui permet d’opérer une plongée subjective dans un tableau réaliste, par l’intermédiaire d’une jeune infirmière courtisée pour être la candidate de l’extrême droite à des élections municipales dans le nord de la France.

Il nous est apparu que le film de Lucas Belvaux – qui nous a fait l’amitié d’assister à une de nos conférences de rédaction, d’où ses interventions dans ce dossier – appelait à un travail journalistique se plaçant dans une même démarche, bien qu’implicite dans Chez nous : examiner ce qu’il en est aujourd’hui du caractère antirépublicain du Front national.

Quand bien même le FN s’achèterait une nouvelle conduite et un label de respectabilité depuis l’arrivée à sa tête de Marine Le Pen, il reste, selon la formule consacrée, un parti pas comme les autres. Certes, d’autres forces politiques, en particulier à droite, en proie à la lepénisation des esprits et lancées dans une funeste course à l’électorat séduit par les thèses frontistes, s’en inspirent, dans leur programme comme dans leurs comportements. Mais ce qui sépare ce parti du reste du paysage politique tient à sa nature. Quand on a pour dessein d’inscrire la préférence nationale dans la Constitution, on ne s’oppose pas seulement à l’application, déjà bien malmenée, de la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité », on fait voler en éclats sa philosophie même. Comme le montre notre dossier, bien d’autres points trahissent son identité non républicaine, que l’opération dite de « dédiabolisation » ne parvient pas complètement à dissimuler. C’est ainsi visible à travers certaines pratiques à l’œuvre dans les municipalités frontistes. Ostensible dans la mouvance identitaire, creuset de la violence raciste, qui réinvestit les instances du parti. Et indiscutable à l’écoute des témoignages que nous ont livrés quelques-uns de ceux qui furent attirés un jour par les sirènes du Front national au point, comme Pauline, la jeune infirmière dans Chez nous, de s’y engager, mais vite déçus, sinon effrayés par la réalité qu’ils ont découverte.

Comme le précise Enzo Traverso, spécialiste des totalitarismes du XXe siècle, le Front national est un mouvement « post-fasciste » parce qu’il « tente d’opérer un processus de dépassement dialectique de sa matrice fasciste – mais sans la renier tout à fait ».

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