Convergences Le 23 novembre, à l’occasion des quarante ans de la mort de Marcel Paul, une table ronde réunissait des parlementaires de différents groupes politiques, à l’invitation de la fédération mines-énergie de la CGT.
Crise énergétique sur fond de guerre en Ukraine, explosion des tarifs pour les particuliers, les entreprises, les collectivités, attaques répétées contre le service public, le statut de ses entreprises et surtout celui des agents qui le font vivre au quotidien. L’énergie est au cœur des grands enjeux contemporains. Quarante ans après la mort de l’artisan du service public et de la propriété publique de l’énergie de la production à la distribution, comment faire vivre l’héritage de Marcel Paul ? Après une introduction du président de l’Institut d’histoire sociale mines-énergie, François Duteil, plusieurs intervenants ont pris part à l’échange.
En quoi les combats de Marcel Paul sont-ils toujours d’actualité ?
Sébastien Menesplier
secrétaire général de la Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT
Faire référence en 2022 à Marcel Paul, le ministre communiste qui a œuvré avec le Conseil national de la Résistance en 1946 pour reconstruire le pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est une évidence. Ce qu’il a réussi à instaurer après-guerre a permis à tout un peuple de bénéficier d’un service public de l’électricité et du gaz bâti sur deux monopoles publics nationalisés : Électricité de France et Gaz de France. C’est tout l’ADN de notre programme progressiste de l’énergie.
La période actuelle, avec la crise énergétique, contribue à faire bouger les consciences. Reconnaître que les énergies doivent être un bien commun universel est de plus en plus partagé. L’ouverture du secteur à la concurrence dans les années 2000 est une aberration qui ne profite qu’aux capitaux, aux actionnaires, et cela au détriment des usagers, et de tous les consommateurs. Et désormais, après avoir créé les conditions du déclin du secteur énergétique, les seules solutions proposées sont des régressions majeures, comme les coupures tournantes organisées dès cet hiver. Il est temps de reparler de souveraineté énergétique, de nationalisation et de services publics de l’énergie.
Mais cela mérite d’être approfondi afin de rendre réalisable ce retour à la réelle nationalisation et maîtrise publique, en intégrant une plus grande participation et intervention des usagers, salariés et élus politiques dans la gestion même des établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic). D’autant que l’évolution récente de reprise à 100 % de l’actionnariat d’EDF par l’État, sans reprise de la dette, qui avoisine les 70 milliards, et sans changements juridiques de l’entreprise, ne peut pas être considérée comme une renationalisation.
Ce retour à l’actionnariat 100 % public ne garantit pas pour autant le retour à une entreprise publique, bien au contraire. Il y a donc fort à parier que le démantèlement d’EDF ne tardera pas à refaire surface. Si une proposition de loi de nationalisation devait voir le jour, elle ne devra pas s’arrêter à EDF.
Notre bataille est commune. Un service public digne du XXIe siècle est un service public de l’énergie qui reconnaisse l’énergie dans sa globalité comme étant un produit de première nécessité vital pour la société.
Olivier Marleix, vous êtes député, membre d’un groupe politique qui a soutenu toutes les orientations de libéralisation. Quel regard portez-vous sur cette crise du secteur énergétique ?
Olivier Marleix
Député LR d’Eure-et-Loir
Très clairement, le bilan est désastreux. Les crises s’ajoutent les unes aux autres. La crise de l’énergie est une crise du gaz créée par M. Poutine. Puis l’existence de règles européennes fait que cette crise du gaz devient une crise de l’électricité. Cela a montré qu’il n’y avait ni marché européen ni solidarité européenne. Si la France doit avoir au sein de l’Union européenne un sujet de combat, c’est celui de la question de l’énergie, afin de retrouver son indépendance et d’arrêter de subir les diktats, les erreurs de nos voisins et concurrents. Cela nécessite un bras de fer avec la Commission européenne, qui reconnaît la notion de service d’intérêt général. Mais encore faut-il la défendre et revendiquer son application. L’autre problème, évidemment central, c’est que nous avons été les seuls, gaullistes et communistes, à résister sur le nucléaire. Et si EDF a été le champion du monde, le premier fournisseur, le premier producteur mondial d’électricité, ce n’est pas par hasard, c’est parce que EDF s’est construite autour du nucléaire. Cela implique d’abord de réaffirmer ce choix. Sinon EDF restera dans une situation compliquée. Ce qui induit des investissements colossaux et des modes de gestion un peu originaux. Je ne suis pas sûr qu’EDF, malgré cette renationalisation, ait les moyens de réaliser des investissements. Le montant des engagements publics des contrats signés entre 2018 et 2022 sur les énergies renouvelables, c’est 168 milliards d’euros. L’État est donc capable de trouver de l’argent. La défense de notre système autonome de production d’électricité est un élément majeur de compétitivité pour nos entreprises, pour les Français. La force d’EDF, c’est aussi son modèle intégré, de la production à la capacité de stocker un peu d’électricité à travers l’hydroélectricité, en passant par le transport d’électricité, jusqu’aux services et la distribution. Dès le 13 septembre 2019, j’ai signé avec d’autres députés une tribune pour dire non au projet Hercule, non au démembrement d’un champion national. Et effectivement, il faudra rester extrêmement vigilant. Et si jamais un projet Hercule 2 fait surface, on continuera à se battre.
Philippe Brun, que préconisez-vous pour sortir le service public de l’énergie de l’ornière dans laquelle il se trouve ?
Philippe Brun
Député de l’Eure
EDF est une grande entreprise publique qui représente 25 milliards d’euros dans le portefeuille de l’État. Nous avons voté cette année une enveloppe de 12 milliards pour procéder à une offre publique d’achat (OPA) sur EDF et non à une nationalisation. Le gouvernement d’ailleurs n’utilise pas ce terme lui-même. Puisqu’une nationalisation est un cadre juridique inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 et l’article 34 de la Constitution qui offre la possibilité au Parlement de bloquer ou en tout cas de s’opposer à une tentative de découpage ou de destruction. Pour savoir quelles étaient les intentions du gouvernement, j’ai fait le choix d’utiliser les pouvoirs qui sont les nôtres en allant contrôler sur pièces et sur place au ministère des Finances un certain nombre de documents. Hercule 2 est en préparation. Les notes que j’ai pu saisir font mention de la privatisation d’environ 30 % des actifs d’EDF dans le domaine de la transition énergétique. Cette cession est une des conditions mêmes de l’opération, puisqu’elle est censée financer la montée au capital. Et les notes de Goldman Sachs expliquent que le groupe EDF est sous-coté par rapport aux autres groupes. Chaque activité prise individuellement coûte beaucoup plus que l’activité générale. Il y a donc un intérêt boursier à procéder à cette réorganisation. Avec Olivier Marleix, nous partageons le constat d’une œuvre de destruction. Si la contribution de la droite a été décisive, celle de mes prédécesseurs au Parti socialiste l’a été tout autant. Mais la France a produit de grandes choses quand elle savait mettre autour de la table des femmes et des hommes de gauche, communistes, socialistes et aussi des gaullistes. Avec des bancs plus larges que ceux de la gauche, on pourrait défendre davantage le service public. Et la présence d’Olivier Marleix ici en témoigne. Je souhaiterais que tous ici nous nous mobilisions pour porter ensemble une proposition de loi de nationalisation d’EDF.
Existe-t-il une majorité pour cela ?
François Ruffin
Député FI de la Somme
Marcel Paul disait : « Je ne vous paye pas pour que vous m’indiquiez les articles du Code m’interdisant de réformer, mais pour me trouver ceux qui le permettent. » Cela montre comment la volonté politique doit passer par-dessus la technique, par-dessus le juridique. Nous sommes majoritaires à vouloir un véritable service public de l’énergie en la sortant d’un marché fou. Ce qui se passe dans l’énergie est un symptôme flagrant d’un marché qui ne marche plus. Et nous ne sommes pas les seuls à le constater. En congrès, les maires parlent de leurs factures qui sont multipliées par quatre, par cinq. Certains disent ne plus arriver à en dormir la nuit. J’ai rencontré un patron d’une fonderie, dans le Sud-Ouest, où le coût de l’énergie est passé en deux ans de 4 % à 15 % de son chiffre d’affaires. Un choc pour lui. Des alliances sont possibles : avec le patronat, avec les maires. Nous sommes à un moment de tête-à-queue, dont la fausse nationalisation d’EDF est un exemple. Avec des dirigeants qui veulent continuer à diriger sous le modèle de la concurrence, de la croissance et de la mondialisation dans une espèce d’apesanteur idéologique qui percute le désir profond des gens et le réel. Pour mener une politique de gauche, il suffit de s’appuyer sur le moment où la classe dirigeante s’est retrouvée à poil pendant le cœur de la crise Covid et où, en panique, elle nous disait ce que nous voulions, ce que nous devions faire. Nous ne sommes pas une minorité sur tous ces combats-là. Sur les questions économiques et sociales, nous avons, dans la société, un socle majoritaire. Nous sommes même la force de stabilité qui a permis que, pendant des décennies, les gens se chauffent, écoutent de la musique, mettent leurs aliments au frigo, sans avoir des inquiétudes sur leurs factures à venir. De même, nous avons permis que les entreprises puissent tourner sans le Yo-Yo des cours du gaz et de l’électricité.
Quel regard portez-vous sur la crise actuelle et comment faire vivre et gagner ce socle majoritaire qu’évoquait François Ruffin ?
Sébastien Jumel
Député PCF de Seine-Maritime
La crise que nous traversons nous donne raison. Depuis vingt ans, nous disons que le marché est dans l’incapacité de prendre soin des gens, des usagers, de réguler, de mettre en place un bouclier qui préserve les collectivités locales. L’explosion des prix de l’énergie en témoigne. C’est une manière de donner raison à Marcel Paul, qui avait compris, dans son discours de nationalisation, à quel point la maîtrise publique de la politique énergétique était centrale, vitale pour la relance et la maîtrise de l’économie. Il serait temps d’avoir un bilan exhaustif, global, précis des vingt années de libéralisation. D’ailleurs, la commission d’enquête lancée par mon collègue Olivier Marleix le permettra. Elle n’épargnera personne sur les responsabilités politiques, ni la droite, qui a commis des erreurs stratégiques et des renoncements forts, ni la gauche, molle. Et je le dis en fraternité, y compris pour qu’on progresse collectivement, nous avons les clefs. En matière de politique énergétique, la loi peut être écrite à plusieurs mains, et nous ne partons pas d’une copie vierge. Le travail réalisé par les syndicalistes, en diagnostic, en propositions, peut y contribuer. Pour commencer, il faut mettre fin au virus inoculé par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui a siphonné EDF et qui a fait rentrer le loup dans la bergerie du marché pour gaver les profiteurs de guerre. Et aussi considérer l’énergie non pas comme une marchandise, mais comme un bien commun, comme un bien de première nécessité. C’est vital. La TVA à taux réduit portée par les organisations syndicales est centrale. Le statut de société anonyme (SA) ne permet pas cela, même avec un capital à 100 % public. Seul le statut d’Epic avec une nationalisation renouvelée, réactualisée, est le chemin, mais encore faut-il se doter de moyens démocratiques plus importants. Il faut aussi tirer les leçons d’une nationalisation qui quelquefois s’est sclérosée avec un État qui laissait faire, avec des administrateurs de l’État aussi mauvais que des patrons libéraux. Nous avons un point commun, un point de départ avec la bataille contre le projet Hercule. Parler de nationalisation n’est pas ringard. C’est moderne. Et cet espace politique existe, avec les socialistes, avec les insoumis, qui doivent progresser sur l’étendue du mix énergétique, avec les écologistes, qui doivent renoncer à considérer que tout doit se faire d’une manière décentralisée et que l’avenir passera uniquement par les énergies renouvelables (ENR). Nous devons démocratiquement débattre d’un mix énergétique équilibré, intelligent. Or, la vision qui consiste à accélérer les ENR pour gaver le marché vise à accélérer le démantèlement du service public. Nous devons nous préparer, car le gouvernement a déjà son calendrier. Après nous avoir trimballés sur les ENR pendant quinze jours, ce sera sur l’accélération du nucléaire, avant de repousser la discussion sur le plan pluriannuel de l’énergie en 2023. Et tout cela en faisant, en catimini, évoluer le statut d’EDF.
Table ronde animée par Marion d’Allard et retranscrite par Clotilde Mathieu
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