Si les ubérisés étaient requalifiés en salariés, près d’un milliard en plus dans les caisses de retraite

NDLR de MAC: les communistes de Castel/Moissac/Pays de Serres/Beaumont travaillent et se forme sur la question des salaires et de la part socialisée qu’il contient pour affuter leurs arguments sur auto-entrepreneuriat et les ubérisations en tout genre. Le grand gagnant de cette situation est le Capital.

 

L’Humanité a calculé ce que cela rapporterait à la solidarité nationale, et au système des retraites, si les faux indépendants, travailleurs des plateformes, étaient requalifiés en salariés.

 © GEORGES GOBET/AFP

Le « en même temps » macronien est un art que le gouvernement pousse jusqu’au raffinement. Pour justifier sa réforme des retraites, l’exécutif se plaint des prévisions de déficit du régime général. Or, en même temps et en digne héraut de la « Start up nation », il s’en prend méthodiquement au salariat, principale source de financements de nos retraites via les cotisations, en défendant les Uber et compagnies qui rêvent de transformer les travailleurs en autoentrepreneurs, sans cotisations sociales ni patronales à verser.

Le gouvernement ne ménage en effet pas ses efforts pour protéger le business des plateformes en faisant pression au niveau européen ou en tentant de modifier le droit français (tentatives deux fois censurées par le Conseil constitutionnel) pour diminuer leurs régulières condamnations en justice pour travail dissimulé et requalification de leurs indépendants en CDD ou CDI.

Au moins 1,45 milliard d’euros par an de manque à gagner pour la Sécu

Pour la Sécu et son régime des retraites, le manque à gagner est considérable. Si tous ces travailleurs de plateformes – nous avons évalué leur nombre à 300 000 – au contestable statut d’indépendant étaient requalifiés en salariés et rémunérés au SMIC, leurs cotisations abonderaient nos systèmes de solidarité nationale de 1,45 milliard d’euros par an.

La rentrée d’argent serait même bien plus conséquente si les rémunérations au Smic (20 511 euros bruts au 1er janvier 2023) ne voyaient pas « en même temps » leurs cotisations patronales plafonnées à 2,3 %, cette exonération participant aussi de l’assèchement des financements de la Sécurité sociale et de notre assurance chômage. Avec un barème « normal » de cotisations patronales (34,06 %), le gain pour la solidarité nationale de salarier ces travailleurs s’élèverait alors à 3,4 milliards d’euros, dont 951 millions d’euros pour les seules caisses de retraite. Rappelons que l’ensemble des baisses de cotisations offertes aux entreprises représente 70 milliards d’euros par an, selon un rapport de l’Ires paru à l’été 2022 !

Comment la machine à ubériser et à dé-cotiser se met en marche

Dans les détails, voilà comment la machine à ubériser et à dé-cotiser se met en marche. Pour se connecter aux plateformes, il faut un numéro de siret. Quasiment tous les travailleurs utilisent le statut d’une micro-entreprise, anciennement appelée auto-entreprise. Ce statut est même obligatoire pour certaines d’entre elles. Ce n’était pas le cas il y a quelques années pour les chauffeurs VTC qui déclaraient trop de chiffre d’affaires et privilégiaient alors les SASU, sociétés par action simplifiée unipersonnelle. Mais depuis que le plafond de chiffre d’affaires a été rehaussé à 72 000 euros, ces « vétécistes » se reportent aussi sur le statut de micro-entrepreneurs. Ce type de statut représente ainsi 75 % des créations d’entreprises en France.

Dans un rapport remis en novembre dernier sur le travail dissimulé, le Haut Conseil du financement de la protection sociale, organisme rattaché à Matignon, se penche particulièrement sur ce statut considéré comme « très fraudogène ». Les micro-entrepreneurs ne déclareraient qu’une partie de leur chiffre d’affaires à l’Ursaff. Le rapport estime que le manque à gagner en matière de cotisation s’élève à 1,5 milliard d’euros par an. L’auto-entrepreneur doit en effet cotiser à hauteur de 22 % de son chiffre d’affaires, 11 % pour ceux bénéficiant du dispositif d’aide à la création d’entreprise ACRE.

La situation « fraudogène » est particulièrement mauvaise pour les travailleurs de plateformes. Le Haut conseil s’est employé à un exercice de chiffrage. « Les deux-tiers de la population étudiée ont un chiffre d’affaires déclaré à l’Urssaf inférieur aux montants des transactions enregistrées par les plateformes ; près de la moitié d’entre eux n’a rien déclaré. Cette part est de 90 % pour les VTC et de 73 % pour les livreurs à domicile » , affirme le rapport.

L’urgence de les requalifier en salariés

Il n’est pas question ici de pointer du doigt ces travailleurs, mais bien au contraire d’insister sur le fait que comme ce sont de faux indépendants, subordonnés à la plateforme donneuse d’ordre, et que, privés de droits, ils ne cotisent pas, il est plus qu’urgent de les requalifier en salariés. C’est ce qu’entend faire la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, qui devrait être votée à Strasbourg courant février. Non seulement ces requalifications apporteraient à ces travailleurs les droits fondamentaux qu’ils réclament : chômage, arrêts maladie, congés payés… Mais cela permettrait aussi, grâce aux cotisations patronales et salariales, de renflouer les caisses de la protection sociale.

Combien sont-ils ? L’étude d’impact de la commission européenne chiffre les travailleurs des plateformes qui seraient requalifiés par la directive à près de 5 millions dans l’Union. Nous sommes partis sur le nombre de 300 000 en France, certainement sous-estimé. En 2022, il y avait, malgré les nombreuses restrictions (en ancienneté notamment), 125 000 inscrits pour l’élection des représentants des livreurs à vélos et des chauffeurs VTC. L’Urssaf a enregistré cette année-là, 80 000 nouvelles créations de micro-entreprises, juste sur la livraison ! Et il faut ajouter les travailleurs d’autres plateformes comme StaffMe, StudentPop, Brigad, OneStaff, Comet, JobyPepper… Autant de services qui parfois abusent du statut d’auto-entrepreneur pour faire du dumping social dans les secteurs de l’intérim, de l’hôtellerie-restauration, du service à la personne ou encore du médico-social. Chacune revendique au moins 10 à 15 000 travailleurs “indépendants”. Comme le fait la directive européenne, nous écartons bien entendu les freelances véritables, ceux qui peuvent négocier leurs tarifs, gérer leur emploi du temps et leur organisation du travail, accéder à leur portefeuille client…

Pour nos calculs, nous avons aussi opté pour des emplois au Smic. Les livreurs à vélo déjà salariés chez Just Eat sont payés ainsi, comme la plupart des coursiers du Quick Commerce. Beaucoup néanmoins arrondissent leurs fins de mois grâce aux heures supplémentaires et au travail de nuit ou du dimanche. Les chauffeurs VTC affichent plutôt des chiffres d’affaires mensuels autour de 4 000 euros, mais si on enlève les frais du véhicule, les 25 % ponctionnés par les plateformes et le fait qu’ils travaillent souvent plus de 60 heures par semaine, ils peinent à atteindre le Smic horaire.

Merci à la juriste en droit social Barbara Gomes, à l’économiste Thomas Dallery et à l’administrateur CGT de la CNAV Régis Mezzasalma pour leurs conseils éclairés.


 


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