Philippe Corcuff : « Le confusionnisme renforce la possible victoire du RN en 2027 »
Pour le politologue/sociologue Philippe Corcuff, droite et extrême droite jouent sur l’effacement des repères politiques et sur une définition dévoyée de la République, pour avancer leurs pions en vue de conserver ou de prendre le pouvoir.
Comment le confusionnisme favorise-t-il les tentatives d’excommunication de la gauche du camp républicain ?
Le confusionnisme, c’est cette grande hybridation, pas forcément consciente, des thèmes de gauche, de droite et d’extrême droite. C’est une sorte d’ère du temps, l’effondrement des repères et des clivages, qui efface progressivement la frontière symbolique avec l’extrême droite.
Cette dernière en est consciente et veut diaboliser la gauche à son tour pour apparaître comme la seule alternative. La droite, LR ou macroniste, veut quant à elle marquer la gauche à la culotte après les retraites et la mort de Nahel, deux forts moments de colère sociale.
Notamment avec les retraites : les forces de droite se sont retrouvées minoritaires dans le pays. Il leur faut donc rebondir. La diabolisation de la gauche est un coup tactique d’abord immédiat, opportuniste, et ceux qui usent de cette rhétorique ne se rendent pas forcément compte des effets à moyen et long terme de ce discours.
Quels seraient ces effets ?
Plus on diabolise la gauche, plus le RN est banalisé. Ces discours renforcent la possibilité de voir l’extrême droite gagner la prochaine présidentielle. Ce n’est pas ce que souhaite la droite libérale, évidemment : elle voudrait la gagner !
Mais, pour exister dans le champ politique, taper sur la gauche reste une bonne stratégie. La droite a besoin d’adversaire à diaboliser : n’ayant plus l’épouvantail soviétique et communiste, elle cible désormais le wokisme, par exemple.
Le supposé « wokisme » est l’un des bâtons utilisés contre la gauche. Pourquoi est-elle attaquée sur le plan culturel et sociétal – laïcité, rapport à la violence, aux minorités – plutôt que sur l’économique et le social ?
La droite fait face à un épuisement du néolibéralisme, c’est donc plus difficile de s’en revendiquer. On entend même les macronistes, qui sont pourtant toujours néolibéraux, émettre des critiques sur la mondialisation et parler de souveraineté et de relocalisation.
Ils ne peuvent pas pour autant faire comme le RN, et aller sur le terrain social et l’acclimater à des thématiques de droite, xénophobes. Ils ont tout intérêt à marquer la différenciation sur le culturel.
On entend beaucoup parler d’« arc républicain » sans qu’il ne soit jamais défini par ses locuteurs. La République, dans son usage strictement rhétorique, est-elle devenue un motif confusionniste ?
On peut noter en tout cas que les usages ultraconservateurs et confusionnistes du mot République sont omniprésents dans l’espace politicien. Il y a trente ou quarante ans, tout le monde était républicain, sauf le FN. C’était un cadre commun qui n’était pas ou peu discuté.
Le RPR avait le mot république dans son nom, mais c’était aussi le cas du groupe communiste à l’Assemblée. Puis il y a eu la « conversion républicaine » de l’extrême droite avec Marine Le Pen. Et, en parallèle, on note un usage de plus en plus conservateur des thèmes républicains, comme la laïcité.
Voilà un motif qui n’était pas mobilisé par la droite jusque dans les années 1990, puisqu’elle défendait l’école privée et que les controverses laïques portaient précisément sur l’école. À partir des premières polémiques sur le voile, c’est devenu un outil de la droite contre les musulmans.
C’est le début de la réinvention conservatrice du contenu du mot république, associé au sécuritaire, à la police, à l’identité nationale. Le terme est dévoyé de son sens et brandi à tout-va.
En réaction aux attaques qui ont ciblé notamment la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’en prend à l’« arc républicain réactionnaire » et dénonce une convergence RN-Macronie. Ce faisant, participe-t-il à l’atmosphère confusionniste ?
Le principal canal rhétorique de l’extrême droite, c’est le conspirationnisme. C’est une très mauvaise idée de donner l’impression qu’il y a un complot unifié contre la gauche.
Macronie, LR et extrême droite participent à un même mouvement d’assaut contre la gauche, mais ce sont pour des raisons politiques et des calculs différents. Ils sont en concurrence entre eux.
Ensuite, il y a aussi un danger à tirer un trait d’égalité entre Macronie et RN, à diaboliser Macron en le repeignant en dictateur ou fasciste. Si tel est le cas, il n’y aurait plus de raison de s’inquiéter d’une potentielle victoire de Le Pen en 2027.
Cela participe un peu plus à effacer la frontière symbolique entre l’extrême droite et le reste de l’échiquier politique. Là encore, pour des coups tactiques à courte vue, en ignorant les effets délétères sur le long terme.
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