Afghanistan. Talibans, Daech, al-Qaida : quels liens, quelles rivalités ?

L’attentat perpétré à l’aéroport de Kaboul a fait plus de 160 blessés, selon un nouveau bilan daté de ce vendredi. Photo by Wakil KOHSAR / AFP)

Les attentats perpétrés jeudi 26 août devant les portes de l’aéroport de Kaboul ont été revendiqués par l’organisation dite de l’État islamique. Retour sur son implantation dans cette région et ses liens avec les nouveaux maîtres du pays.

Au moins 85 morts et 160 blessés. C’est le bilan, peut-être pas définitif, des attentats perpétrés jeudi à l’extérieur de l’aéroport de Kaboul. L’État islamique d’Irak et du Levant-Khorassan (EI-K) a revendiqué l’une des attaques suicides via son agence de presse, Amaq.

Celle-ci rapporte qu’un djihadiste a pu « pénétrer toutes les fortifications de sécurité » mises en place par les forces américaines et la « milice talibane autour de la capitale » de Kaboul. Il a ensuite atteint un « grand rassemblement de traducteurs et de collaborateurs » travaillant avec l’armée américaine. Le kamikaze a alors « fait exploser sa ceinture d’explosifs ».

Comment est né l’État islamique d’Irak et du Levant-Khorassan ?

Après que l’État islamique a proclamé un « califat » en Irak et en Syrie en 2014, d’anciens membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais) ont prêté allégeance au chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi. Des Afghans déçus par les talibanq et ayant fait défection les ont ensuite rejoints.

Début 2015, l’EI a officiellement annoncé la création de sa province du Khorasan. Il s’agit de l’ancien nom donné à une région qui englobait des parties de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et de l’Asie centrale actuels. L’EI-K a établi sa tête de pont en 2015 dans le district montagneux d’Achin, dans la province orientale de Nangarhar, la seule où il parviendra à s’implanter durablement avec celle voisine de Kunar.

Les précédents attentats perpétrés par ce groupe

La branche locale de Daech a décidé de se rappeler au – mauvais – souvenir de tout le monde. Car il semble que les Américains – dont 13 soldats ont trouvé la mort – n’étaient pas les seuls visés. L’agence Amak se félicite que des talibans fassent partie des victimes.

L’EI-K a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan et au Pakistan. Notamment des attentats suicides dans des mosquées, des hôpitaux et dans d’autres lieux publics. Le groupe a en particulier ciblé des musulmans qu’il considère comme hérétiques, en particulier les chiites de la minorité hazara. En août 2019, il a ainsi revendiqué un attentat contre des chiites à un mariage à Kaboul, où 91 personnes ont été tuées.

Il serait aussi derrière une attaque en mai 2020 contre une maternité d’un quartier majoritairement chiite de la capitale qui a coûté la vie à 25 personnes, dont 16 mères et des nouveau-nés. Dans les provinces où il s’est implanté, ses hommes ont tué par balle, décapité, torturé et terrorisé des villageois et laissé des mines partout.

Combien de combattants l’EI-K compte-t-il ?

Bien qu’ayant gardé une capacité de nuisance, l’EI-K a subi une série de revers militaires successifs qui ont commencé à Jozjan à l’été 2018. Celui-ci demeure actif et dangereux, en particulier s’il est en mesure, en se positionnant comme le seul groupe de rejet pur en Afghanistan, de recruter des talibans mécontents et d’autres militants pour qu’ils viennent grossir ses rangs. Depuis juin 2020, il a un nouveau chef ambitieux, Shahab al-Muhajir.

Selon un rapport de l’ONU établi au mois de juin, « même s’il conserverait un noyau principal d’environ 1 500 à 2 200 combattants dans des secteurs des provinces de Kounar et de Nangarhar, (l’EI-K) a été contraint de se décentraliser et il est composé principalement de cellules et de petits groupes dans tout le pays, qui agissent de manière autonome, tout en partageant la même idéologie ».

Le groupe principal dans le Kounar comprendrait principalement des Afghans et des Pakistanais, tandis que de plus petits groupes situés dans les provinces de Badakhchan, de Kondoz et de Sar-e Pol sont constitués majoritairement de Tadjiks et d’Ouzbeks de souche faisant partie des populations locales.

Quels liens entre les Haqqani, les Taliban et al-Qaida ?

Il est intéressant de noter que, toujours selon l’un des rapports de l’ONU, Shahab al-Muhajir aurait également été précédemment un commandant de rang intermédiaire dans le réseau Haqqani et continuerait de maintenir une coopération avec l’entité, fournissant « des compétences clefs et un accès aux réseaux [d’attaque] ».

Le réseau Haqqani est l’une des organisations insurrectionnelle afghane parmi les plus expérimentées et les plus sophistiquées d’Afghanistan. Elle a longtemps été dirigée par Jalaluddin Haqqani, ancien chef moudjahidin (tout comme le commandant Massoud ou Gulbudin Hekmatyar), avec le soutien des services de renseignements pakistanais, l’ISI. Son fils, Sirajuddin, est maintenant à la tête du réseau. Il est également l’un des principaux dirigeants des talibans et a été nommé responsable de la sécurité à Kaboul après la prise de la ville le 15 août. Or, selon des sources du renseignement, certaines attaques perpétrées dans le passé contre des cibles gouvernementales pouvaient être réfutées par les Taliban et revendiquées par l’EI-K, sans que l’on sache clairement « si elles avaient été purement orchestrées par le réseau Haqqani ou étaient des opérations conjointes, avec l’aide d’agents de l’EI-K. »

Par ailleurs, les liens entre les Haqqani et les talibans d’un côté et al-Qaida de l’autre ne sont plus à démontrer. Des fichiers récupérés dans la maison où Oussama ben Laden a été abattu décrivent la façon dont al-Qaïda travaillait avec Sirajuddin Haqqani pour coordonner les attaques contre les forces de l’Otan en Afghanistan en 2010.

La promesse des talibans de rompre avec les groupes terroristes

En 2001, si les États-Unis ont envahi l’Afghanistan ce n’était pas contre le régime des talibans, mais pour punir le groupe de ne pas avoir livré Ben Laden et al Qaida. Cette dernière serait présente dans au moins 15 provinces afghanes, principalement dans les régions de l’est, du sud et du sud-est et aurait fourni une aide non négligeable aux talibans pour la reconquête du pays.

Cette rupture des liens avec des entités terroristes, la promesse des talibans de ne pas faire de l’Afghanistan une base arrière pour ces organisations, est la préoccupation première des États-Unis et de leurs alliés occidentaux. Sans parler de la présence de combattants étrangers dont le nombre est estimé entre 8 000 à 10 000. Ils seraient principalement originaires d’Asie centrale, de la région du nord du Caucase en Fédération de Russie, du Pakistan et de la région chinoise du Xinjiang (Ouïghours), entre autres. Tous talibans mais souvent avec une double appartenance, al-Qaida ou État islamique.

Incompétence ou fébrilité : l’accord de Doha qui avait été signé entre les talibans et les Américains mentionnait cette dimension mais, dans sa partie publique, ne développait pas les attentes en la matière. Quant aux annexes, elles sont restées secrètes. On évoque pourtant de nouveau la possibilité d’un partenariat antiterroriste contre l’État islamique entre les États-Unis et le nouveau régime de Kaboul.


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